« Cheikh Mo », PDG de Dubaï

Rien n’est trop beau ni trop ambitieux pour cet homme d’affaires et d’État qui a fait de son émirat l’un des plus prospères et les plus modernes de la région. Sans miser sur le pétrole.

Publié le 30 octobre 2006 Lecture : 7 minutes.

Gouverneur de Dubaï, vice-président et Premier ministre de la fédération des Émirats arabes unis (EAU), Mohamed Ibn Rached al-Maktoum, 56 ans, pointe à la quatrième place dans le palmarès 2006 du magazine américain Forbes des hommes les plus riches du monde. Fortune estimée : 14 milliards de dollars. Encore n’est-ce là que sa richesse personnelle, à laquelle il faudrait ajouter celle du très prospère émirat de Dubaï, dont il a su faire, notamment à la faveur de sa position géographique, tout à la fois un hub international, tant aérien que maritime, un paradis pour les investisseurs immobiliers, une zone touristique, un haut lieu du shopping de luxe et un centre financier régional en devenir. Sous sa houlette, l’émirat, qui ne compte que 1,2 million d’habitants, dont 90 % d’étrangers d’origine asiatique ou anglo-saxonne, s’est considérablement enrichi, dégageant des bénéfices servant à financer des projets aussi rentables les uns que les autres dans des pays tels que les États-Unis ou le Royaume-Uni, et, fait nouveau, en Tunisie ou au Maroc. Demain, ce sera en Asie En 2005, Dubai Holding, directement lié à la famille Maktoum, a investi quelque 30 milliards de dollars à l’étranger.
C’est à cette dynastie et à « Cheikh Mo », comme l’appellent ses nombreux employés anglo-saxons, que Dubaï doit donc sa modernisation et sa prospérité. Il y a trente ans, il n’y avait là qu’un bout de désert (avec une crique en guise de port) peuplé de Bédouins vivant du négoce de la pêche perlière et se nourrissant essentiellement de viande et de lait de chamelle. En 2006, changement de décor : gratte-ciel en verre à perte de vue ; navires déchargeant chaque jour des milliers de tonnes de produits de consommation ; ballet des superjumbos sur le tarmac de l’un des plus grands aéroports du monde ; et autoroutes ultramodernes.
Dubaï, ce sont de gigantesques centres commerciaux, des hôtels immenses et luxueux, dont le fleuron, Borj al-Arab, le plus haut du monde, culmine à 321 mètres (1 000 à 15 000 dollars la nuitée). Ou encore Palm Islands, le complexe résidentiel construit sur deux îles artificielles en forme de palmier, avec dix-sept frondes et un tronc, encerclées par un récif. Dubaï, ce sont aussi des parcs d’attractions plus vastes que Disney World, le projet Hydropolis, unique palace sous-marin au monde, qui sera relié au continent par un tunnel sous la mer en plexiglas transparent, ou encore Sunny Mountain Sky, une station de ski couverte avec neige artificielle, alors que la température extérieure dépasse souvent 45 °C ! « Dubaï, c’est tellement propre et ultramoderne que New York, à côté, ressemble à une poubelle », estime un banquier.
Visage sévère dissimulant une courtoisie et une ouverture d’esprit rare dans la région, Cheikh Mo sait ce qu’il veut et l’obtient. Les hommes d’affaires du monde entier le respectent. « Il est sérieux. On peut avoir confiance en lui », confie un diplomate occidental. Poète à ses heures (voir www.sheikhmohammed.com), Cheikh Mo est le plus grand propriétaire de chevaux du monde – il en posséderait près deux mille, sur tous les continents, pur-sang anglais pour la course, demi-sang pour l’obstacle, ou arabes pour l’endurance -, doublé d’un champion international de sport équestre, passion qu’il partage avec son épouse actuelle, la princesse Haya Bint al-Hussein, ?fille de feu le roi Hussein de Jordanie ?et demi-sur du roi Abdallah II. Il élève aussi des faucons avec lesquels il chasse les outardes dans les déserts d’Orient et d’Afrique du Nord. Certains d’entre eux sont même équipés de transmetteurs satellites miniatures de manière à suivre leur trajectoire.
Cheikh Mo aurait pu s’adonner aux mêmes activités que les princes des familles régnantes du Golfe tout en dilapidant les rentes pétrolières, mais il a choisi une autre voie. Très tôt, il assiste, avec son père, Rached Ibn Saïd, au Majliss quotidien à côté des riches commerçants et financiers. Ainsi fait-il l’apprentissage des réalités de l’économie locale. Devenir riche, cela s’apprend dès l’enfance.
Comme la plupart des princes du Golfe, il fait des études d’anglais à Cambridge, en Angleterre, et suit une formation militaire de six mois, toujours en Angleterre. Mohamed n’a pas encore 20 ans quand, le 1er novembre 1968, son père le nomme chef de la police et de la sécurité publique de Dubaï. En 1971, son frère aîné, Maktoum, devient Premier ministre des EAU, une fédération de sept émirats tout juste créée sous l’impulsion du Cheikh Zayed d’Abou Dhabi et de Maktoum père. Mohamed, lui, hérite du ministère de la Défense avec grade de général. À moins de 22 ans, il devient le plus jeune ministre de la Défense du monde. Il s’offre alors quelques folies. Le Guinness des records précise que, pour son premier mariage, en 1981, avec la princesse Salama, il a dépensé 44 millions de dollars. En 1983, il battra un autre record avec l’acquisition d’un yearling, Snaafi Dancer, dont le rendement sera bien inférieur à son prix d’achat : 10,2 millions de dollars.
Cheikh Mo a beau dépenser sans compter, il a la baraka et parvient à créer de la richesse. Parallèlement à ses fonctions officielles, il fréquente les milieux d’affaires et suit de près le développement économique de l’émirat, désormais géré d’une manière autonome dans le cadre des EAU. C’est ainsi qu’en 1985 il fonde la compagnie aérienne Emirates, qui, depuis, aligne les exercices records. En 2001, elle commande 60 nouveaux appareils pour 10 milliards de dollars. C’est aussi la première compagnie au monde à passer commande de sept superjumbos Airbus A-380 de 555 sièges, dont la livraison est prévue à partir de 2007.
En 1985, Cheikh Mo développe la zone franche autour du port de Jebel Ali. C’est la naissance de ce qui deviendra le plus grand entrepôt de marchandises de la région. À la mort de Cheikh Rached, en 1990, Maktoum accède au trône. En janvier 1995, il nomme son frère prince héritier. C’est alors que débute la chevauchée fantastique. « Au galop ! » lance Cheikh Mo à son staff en guise de cri de ralliement, lors de la présentation, en 1995, de son programme d’action pour moderniser le petit émirat. Son frère, qui réside le plus souvent en Grande-Bretagne ou en Australie, lui cède de facto les rênes du pouvoir.
Dubaï produit moins de 200 000 barils de pétrole par jour (moins de 7 % du PIB). Mohamed est conscient que ses réserves seront épuisées vers 2010. Autrement dit demain. Il faut donc s’y préparer en diversifiant l’économie, d’autant que l’émirat ne dispose pas d’autres ressources naturelles. Sa situation géographique (à mi-chemin entre Orient et Occident) est mise à profit. Le modèle de Cheikh Mo, même s’il ne l’avoue pas, est Singapour. « J’ignore si je suis un bon leader, déclare-t-il, mais je sais que je suis un leader visionnaire. Je regarde l’avenir au-delà des vingt ou trente prochaines années. »
Il est aussi un homme de terrain, un chef des opérations. « J’observe, dit-il, je prends des décisions et j’agis vite. » Pour imposer son émirat sur la carte du monde, il développe un concept, « Destination Dubaï », qu’il concrétise au rythme d’un grand projet par an en moyenne. Dans ce cadre, il lance, en 1996, le premier Dubai Shopping Festival. Depuis, tous les ans en mars, des centaines de milliers de visiteurs affluent des quatre coins de la planète pour vendre ou acheter des produits de luxe détaxés tels que l’or (environ 400 tonnes par an), les montres (50 millions par an) ou les diamants. Chiffre d’affaires annuel du festival : 1,5 milliard de dollars.
Fort de sa célébrité dans l’univers hippique, Cheikh Mo crée, en 1997, la Dubai World Cup. Quelques-uns des meilleurs chevaux du monde (surtout américains) participent à cette course, la plus richement dotée de toutes : 4 millions de dollars, dont 2,4 millions pour le cheval gagnant.
En 1998, Cheikh Mo fait agrandir l’aéroport de Dubaï avec la construction du terminal Rachid. Grâce aux compagnies internationales qui opèrent entre l’Orient et l’Occident et aux prix compétitifs pratiqués par les hôtels, l’aéroport devient incontournable. Les passagers en transit s’accordent, au passage, quelques jours de repos ou de shopping, et les avions y déversent leurs cargaisons. Une centaine de compagnies aériennes relient Dubaï à 145 destinations. En 1999, Cheikh Mo fait un pari fou : promouvoir l’économie du savoir. Il construit une sorte de Silicon Valley qui rayonne sur l’ensemble du Golfe et qui englobe Dubai Internet City, Dubai Media City, Knowledge Village. Un investissement de quelque 7,65 milliards de dollars. Plus de 5 500 personnes y travaillent. On y recense quelque 700 firmes opérant dans les nouvelles technologies de l’information, 200 dans les médias. Elles ne payent aucune taxe. Parmi elles, de grandes multinationales comme Sun, Microsoft, Oracle, IBM, Hewlett-Packard, Compaq, Dell, Siemens, Canon, Sony, Ericsson, Cisco, ainsi que des médias internationaux qui y ont ouvert leur bureau régional comme Reuters, CNN, MBC et CNBC. Les investissements directs étrangers s’élèvent à environ 2 milliards de dollars par an. En parallèle, Cheikh Mo instaure le e.government (« gouvernement électronique ») qui permet à l’ensemble des départements de l’administration de communiquer entre eux et avec les usagers. Dubaï est précurseur en la matière.
Parmi les derniers grands projets du prince, la Dubai Aerospace Enterprise (DAE), une société de services aéroportuaires et aéronautiques, dont l’ambition est de devenir le troisième groupe mondial de leasing (location d’avions). Montant de l’investissement : 15 milliards de dollars. Pays ciblés, outre ceux de la région : la Chine et l’Inde. Même en matière de marchés boursiers, l’émirat voit grand, avec le Dubai International Financial Center (DIFC), destiné à concurrencer les places de New York, Londres et Hong Kong. Dès le départ, Mohamed Ibn Rached al-Maktoum a vu grand et compris que la chance souriait aux audacieux. « Ne jamais faire de petits pas quand on peut faire de grandes enjambées », telle est la devise du « PDG de Dubaï ».

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