Boat people d’aujourd’hui

Publié le 30 octobre 2006 Lecture : 3 minutes.

Barça ou Barzakh, Barcelone ou l’au-delà, un autre monde ou l’autre monde. Voici le leitmotiv de tous ces candidats à l’exil qui s’entassent quotidiennement dans ces pirogues en direction des îles Canaries pour des traversées de plus de 2 000 kilomètres. Depuis le début de l’année, ils sont plus de 25 000 à avoir atteint les côtes espagnoles, bien plus que le « record » établi à 9 929 pour toute l’année 2002. Mais combien y ont-ils laissé la vie ? La question est sans réponse. Le 8 mars, alors que le nombre des victimes recensées par Madrid était de 106, la Croix-Rouge espagnole estimait pour sa part que le nombre réel était probablement dix fois plus élevé. Même son de cloche du côté du Croissant-Rouge mauritanien, pour qui 40 % d’entre eux n’arrivent jamais à destination.

Récemment, de nouveaux chiffres officiels ont été divulgués par le gouvernement régional canarien : 590 corps noyés ont été repêchés au cours des sept premiers mois de 2006. Mais à ce décompte macabre des victimes, on se doit d’ajouter les centaines de corps refoulés par l’océan sur les rives marocaines, mauritaniennes et sénégalaises. On se doit de citer les 47 émigrants morts à bord d’une embarcation qui a dérivé pendant quatre mois dans l’Atlantique jusqu’à l’île de la Barbade, face au Brésil. On se doit aussi de se rappeler ce bébé de 7 mois mort de froid dans les bras de sa mère alors que les côtes canariennes étaient en vue
Un nombre indéterminé d’aspirants à Barça ont donc connu Barzakh dans leur tentative. Et en reprenant les estimations de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, ils pourraient être entre 6 000 et 16 000 à avoir péri dans leur folle traversée.
Pour expliquer cet exil effroyable, les observateurs avancent toujours la fuite de la pauvreté et la recherche de conditions de vie moins pénibles, classant ainsi ces boat people dans la catégorie « réfugiés économiques ». Mais on ne parle jamais de ces conditions environnementales qui se dégradent, qui rendent les conditions de vie des Subsahariens toujours plus difficiles et qui modifient profondément les sociétés touchées.
L’évolution des richesses locales observées dans le Sahel septentrional est édifiante. Jusqu’à l’aube des années 1970, la majorité de ces populations étaient nomades, et leurs richesses s’évaluaient au nombre de têtes de bétail. Puis, une dramatique sécheresse s’est abattue sur ces régions arides, et le cheptel a été décimé. Les populations nomades n’ont eu d’autre choix que la sédentarisation et la reconversion dans l’agriculture ou la migration vers les villes. Dans les zones rurales, les richesses s’évaluaient alors en fonction des terres et des accès à l’eau. Actuellement, la désertification progressant, la sécheresse persistant, les ressources en eau s’amenuisent et les sols s’appauvrissent. Parallèlement, les populations affectées se sont appauvries et certains ont migré vers le Nord. Actuellement, on reconnaît les familles riches à celles qui sont soutenues depuis l’Europe par un ou plusieurs des leurs. Clairement, ce nouveau modèle de richesse donne des idées aux autres familles, qui n’ont pas encore exploré cette voie. Alors, les jeunes sont attirés par cette option et, souvent, les familles se cotisent pour permettre à un de leurs enfants de partir et de devenir leur nouveau placement à haut rendement.
Ce qui se déroule actuellement est le reflet de nos échecs successifs, au Nord comme au Sud. Qu’attendons-nous pour nous occuper réellement de ce nombre sans cesse croissant de désespérés ? Après l’échec de grandes campagnes des Nations unies comme « la santé pour tous en l’an 2000 » et l’insuccès programmé des « Objectifs du millénaire pour le développement » sur le continent africain, le Nord va-t-il s’interroger sur la pertinence de ses soutiens et réformer ses politiques d’aide au développement ? Le Nord osera-t-il dire non à la corruption, au népotisme ou au gaspillage de l’argent de l’aide qui s’en va remplir les poches du cercle des plus nantis dans les pays du Sud ? Le Nord va-t-il enfin donner les fonds nécessaires à la mise en place de véritables projets de relance agricole et de lutte contre la désertification ?

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L’Europe ne peut pas s’emmitoufler indéfiniment dans des mesures bancales et qualifier l’arrivée massive de ces clandestins d’« inadmissible », comme le fait Adán Martin, chef du gouvernement régional canarien. Il est temps de s’attaquer aux racines du problème et non de réfléchir consciencieusement à la mise en place de mesures automatiques de refoulement « conformes aux droits de l’homme » de ces déracinés. Pour cela, les dirigeants du Sud doivent aller de l’avant et démontrer qu’une autre Afrique est possible !

*Pierre Ozer est professeur à l’Université de Liège, en Belgique, Abdoul Jelil Niang doctorant et Mohamed Ahmed Ould Sidi Cheikh, spécialiste des risques naturels.

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