Le pouvoir des ondes

Ce moyen d’information s’est imposé comme un outil indispensable auprès de populations privilégiant l’oralité et la convivialité.

Publié le 30 août 2004 Lecture : 5 minutes.

Du quidam qui vient de se faire subtiliser son porte-monnaie dans les allées du marché à la fillette fugueuse exploitée et maltraitée par sa marâtre, en passant par la femme révulsée par la dernière infidélité de son époux, jusqu’à l’étudiant écoeuré par le rigorisme des parents de sa « copine »… Du matin à la tombée de la nuit, l’affluence ne se tarit jamais devant les portes métalliques de la station, plantée au coeur du marché international de Dantokpa, une ville dans la ville qui s’étend sur les rives de la lagune de Cotonou. Ce concentré de la société béninoise ne peut plus se passer de son porte-voix : Radio Tokpa, émettant sur la fréquence 104.3 FM. On vient confier ses problèmes et les partager avec les fidèles de cette radio à la fois urbaine et communautaire. La radio ici, c’est la vie, tout simplement.
L’Afrique parle, l’Afrique écoute. Le titre de l’ouvrage que l’universitaire français André-Jean Tudesq a consacré aux radios en Afrique subsaharienne (Karthala, février 2002) dit tout sur la vitalité de cet outil d’information et de communication couvrant l’ensemble du continent. Oui, les populations africaines, pétries dans la culture de l’oralité, n’en finissent pas d’accaparer les ondes, de se les approprier, de s’abreuver d’informations locales, nationales ou internationales, de vibrer au rythme des programmes musicaux des radios commerciales, de se pâmer des confidences épicées des auditeurs libérés par l’anonymat des libres antennes. Bref, le poste radio, qu’il s’agisse de l’appareil antédiluvien des vieux sages dans les villages reculés ou du dernier fleuron technologique à réception satellite, est toujours aussi vital que la pâte de manioc du soir à l’ère des nouvelles technologies de l’information et du tout-Internet.
Quelques hommes ont joué un grand rôle dans la formidable épopée de la radio africaine. Alpha Oumar Konaré, l’ancien président malien, aujourd’hui à la tête de la Commission de l’Union africaine, est de ceux-là. « Je ne suis pas d’accord avec vos idées, mais toute ma vie je me battrai pour que vous puissiez les exprimer ! » lançait-il – reprenant Voltaire – en septembre 1993 à Bamako, lors d’un colloque sur la radio en Afrique de l’Ouest. Cette rencontre devait déboucher sur la Déclaration de Bamako pour le pluralisme radiophonique. Fini le monopole de l’État sur tous les médias, fini la monochromie de l’information, la litanie des communiqués officiels et la geste du parti unique déclamée dans les différentes langues locales aux quatre coins du pays.
Le Mali compte actuellement plus de 140 radios, dont 132 sont privées (commerciales, associatives, communautaires). La « libéralisation des ondes » au pays mandingue s’est propagée dans toute la sous-région. Dans le dernier répertoire des médias publié en mars par l’Institut Panos-Afrique de l’Ouest, on référence 62 radios privées au Togo, 50 au Sénégal et 45 au Burkina Faso. Le paysage médiatique béninois compte, outre la radio publique, 9 radios commerciales, 19 radios associatives (ou communautaires) et 3 radios confessionnelles. Ici, chacun fait son marché entre les paroles bibliques de Radio Maranatha, la libre antenne matinale de Golf FM Magic Radio ou les faits divers croustillants de Radio Tokpa.
Quelques centaines de kilomètres plus au Nord, le Niger a également connu, non sans heurts, sa transition démocratique. Là aussi, la radio a explosé, a mué. Vouée à l’actualité politique, au développement à la base ou à la lutte contre l’exclusion des villages isolés de tout, elle n’a jamais été aussi écoutée. Inaugurée en avril 2001, La Voix de l’Hémicycle permet aux habitants de Niamey et de sa périphérie de suivre les débats à l’Assemblée nationale et de parfaire leur éducation civique. Comme cette radio parlementaire fait partie du réseau des radios rurales « Ruranet » initié en 1999 par le Programme des Nations unies pour le développement (Pnud), sa couverture de la vie politique est relayée dans les langues locales, partout sur le territoire nigérien. En Afrique centrale, l’essor des radios est plus lent, notamment en raison des nombreux conflits qui ont émaillé la région. Près d’une cinquantaine de radios pour une dizaine de pays sont actuellement opérationnels, tous genres confondus. L’Afrique du Sud compte, quant à elle, une centaine de stations communautaires.
Toutes ces nouvelles radios émettent en modulation de fréquence (FM). Elles s’implantent plus facilement que les journaux parce qu’elles n’ont pas toujours le droit de faire de la politique (au Tchad et au Togo). Et pour de simples raisons financières. On peut équiper une radio locale avec quelque 10 000 euros en utilisant du matériel d’occasion. De nombreux bénévoles peuvent assurer des tranches horaires, et les petites annonces constituent une source de financement facile vu l’engouement des auditeurs pour ce type de messages. Les radios privées, à l’exception de celles qui sont exclusivement musicales, se veulent des instruments d’éducation populaire et de communication sociale. Reste toutefois que les programmes proposés sont souvent pauvres par manque de moyens. De très larges plages horaires sont consacrées à la musique et aux débats entre auditeurs. En milieu rural, les langues vernaculaires sont largement utilisées, ce qui fait le succès de ces antennes. Certaines radios privées remplissent également une vocation économique et sociale. « J’écoute régulièrement le cours des produits agricoles, ce qui permet de mieux négocier avec les acheteurs », témoigne un producteur de café-cacao de la région de San Pedro en Côte d’Ivoire. De nombreuses stations reprennent aussi les bulletins d’information des radios publiques ou étrangères comme la BBC et RFI. Et pour les catholiques, de Radio Vatican.
Au-delà des radios commerciales qui ont conquis les villes africaines, la multiplication des radios dites communautaires est sans doute la grande nouveauté du paysage médiatique de ces dernières années. La directrice Afrique de l’Association mondiale des radiodiffuseurs communautaires (Amarc), Michelle Ntab Ndiaye, en dénombre 363 sur le continent, dont 156 en Afrique de l’Ouest. Généralement animées par des bénévoles, ces radios font du service public de proximité. Informations locales, programmes éducatifs, conseils d’hygiène, de santé, recommandations techniques aux agriculteurs, tout y passe, avec l’ambition de maintenir les solidarités traditionnelles. Les contraintes sont, bien sûr, légion : chemin de croix pour obtenir l’attribution d’une fréquence, dénuement matériel (l’ordinateur et Internet relèvent du rêve), absence de formation des animateurs, dépendance à l’égard de rares « sponsors » aux motivations parfois douteuses, etc. Qu’importe ! Il en faut davantage pour empêcher l’Afrique de parler, et d’écouter.

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