Sénégal-Japon : ambiance électrique à Sine Kane, village sénégalais sans courant
Le village de Sine Kane, 700 habitants, situé à moins de 2 km de la nouvelle centrale photovoltaïque de Santhiou Mékhé, n’a toujours pas d’électricité. Alors les villageois se sont organisés bon an, mal an, dimanche, pour suivre le match des Lions contre le Japon.
Dans la chambre de Modou, 12 mètres carrés à peine, une quarantaine de supporters s’agglutinent devant l’un des trois seuls téléviseurs du village. Le coup d’envoi doit être donné dans 15 minutes, les hymnes n’ont pas encore retenti sur le petit écran plat, mais tout le monde a trouvé un bout de lit, une place au sol ou une étagère pour voir le deuxième match du Mondial des Lions de la Teranga. « C’est ma télé, lance Modou, avec fierté. J’aimerais que tout le monde en ait une mais bon, ici, c’est la réussite. »
Le chauffeur de taxi-moto a déboursé 330 000 FCFA (environ 500 euros) pour s’équiper d’un panneau solaire, d’une télé et d’un décodeur. « C’est le cœur du village », sourit-il, un maillot sénégalais de Keita Baldé sur le dos. À Sine Kane, à 50 km au nord de Thiès, on attend avec impatience l’électricité produite par la centrale photovoltaïque installée à moins de 2 km, il y a tout juste un an. « On a tout fait, reçu les ministres, les maires, manifesté, fait des demandes sur les réseaux sociaux, mais on nous a oublié », s’emporte Moustapha Kane, 18 ans.
Fil d’aluminium en guise d’antenne
Alors, ici, on s’adapte. Chez Modou, il ne fallait pas arriver en retard pour voir le but inscrit dès la 11e minute par l’inévitable Sadio Mané. Une ouverture du score chanceuse du genou qui attire les femmes, occupées à tresser des paniers en osier – la spécialité du coin – dans la cour. « C’est toujours comme ça avec les Lions, tout le monde finit par laisser son travail de côté », rigole Moustapha.
À l’extérieur, certains ont préféré suivre le match à la radio, à l’ombre et au grand air. Idrissa Kane, le chef du village, se penche régulièrement sur sa belle radio rouge et grise pour repositionner le fil d’aluminium bricolé en guise d’antenne. « Je me débrouille avec le kit solaire donné par la centrale », explique-t-il en pointant le minuscule carré noir relié à la radio. Lui aussi est en colère contre l’État et attend que le courant arrive enfin. « Les poteaux électriques sont plantés au milieu du village, mais rien ne vient », s’impatiente-t-il.
Joint par téléphone, Michel Bara Ndiaye, le maire de la commune de Mewane dont fait partie Sine Kane, « proche de Macky Sall » selon les villageois, assure que « les travaux ont pris du retard pour des raisons administratives mais l’électricité viendra, c’est une question de semaines ». Ce à quoi Idrissa, qui dirige cette terre depuis treize ans, répond : « Plein de villages autour ont du courant, à 500 mètres, il y en a. À cause de ça, beaucoup ont quitté le village. »
« Ma télé saute »
Peu avant la mi-temps, le Japon égalise dans un silence interloqué. À la pause, l’homme de 68 ans regrette le score, mais parie sur une victoire des siens. « 2-1 », indique-t-il avec ses doigts et un large sourire.
Quelques maisons plus loin, la chambre de Mbakhane, la cinquantaine, est l’un des rares autres points de communion. « Les panneaux solaires éclairent douze lampes jusqu’à 22h et ça permet aux élèves d’apprendre leur leçon », se félicite-t-il. Mais l’intensité reste faible. « Ma télé saute un peu, et n’a aucune autonomie la nuit ».
Pas de quoi décourager les villageois. Au retour des vestiaires, ils sont une vingtaine à suivre la rencontre à l’intérieur, pour les plus rapides, ou depuis la fenêtre les pieds sur un bidon d’eau vide, pour les plus lents.
À 17 heures, après deux heures de passion, la pièce se vide, les rues de sable s’animent et l’activité reprend
71e minute, la télé grésille, le Sénégal subit, mais le défenseur Moussa Wagué redonne l’avantage au Sénégal contre le cours du jeu. Une joie immense envahit alors la cour. Rire, sourires complices, et même vuvuzelas aux couleurs du pays accompagnent les minutes qui suivent jusqu’à l’égalisation des Japonais à la 78e. Nouveau silence.
Score final 2 buts à 2. « C’est pas mal », estime Ndeye-Fatou, qui a suivi le match avec beaucoup de nervosité. À 17 heures, après deux heures de passion, la pièce se vide, les rues de sable s’animent et l’activité reprend. Babacar, lui, ouvre déjà son cahier de philosophie. « Vendredi, c’est le bac », rappelle-t-il. Et dans trois heures, « la nuit noire tombera très vite et tout le monde dormira », anticipe Moustapha, sa lampe solaire à la main.
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