Panique sur la planète pétrole
Alors que les cours de l’or noir piquent du nez, certains analystes craignent que la croissance du continent perde le rythme. Mais l’Afrique a d’autres cordes à son arc.
Où s’arrêtera la chute du prix du baril de pétrole ? En descendant à 85 dollars (67 euros) le 15 octobre, le cours de l’or noir – qui tournait encore autour de 110 dollars début juillet – a atteint son plus bas niveau en quatre ans. Et d’après certains analystes, cette dégringolade devrait se poursuivre puisque l’Agence internationale de l’énergie (AIE) a revu à la baisse ses prévisions de demande de brut en 2015.
Les raisons ? La morosité qui domine en Europe et le ralentissement des dragons asiatiques. Il n’en fallait pas plus pour mettre l’industrie en émoi. Notamment en Afrique, où les conséquences de la hausse de la production du pétrole de schiste aux États-Unis, l’un des principaux clients du continent, se font déjà sentir.
« Entre juillet et septembre, le Nigeria [premier producteur africain d’or noir] n’a pas exporté un seul baril vers les raffineries américaines. C’est une première depuis 1973 », signale Rolake Akinkugbe, vice-présidente de l’énergie et des ressources naturelles chez First Bank of Nigeria (FBN), qui ajoute que cette tendance devient une réalité pour « de nombreux exportateurs d’or noir ».
Inquiétude
Un peu partout sur le continent, on commence à s’inquiéter des effets négatifs que cette conjoncture pourrait avoir sur les budgets des pays exportateurs. « Il ne faut pas minimiser les impacts à court terme, et ce d’autant que certains pays ont des déficits budgétaires, et d’importants déficits des comptes courants [déficits jumeaux]. Il ne faudrait donc pas commettre trop d’imprudences budgétaires », prévient Bakary Traoré, analyste économique au bureau Afrique de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).
L’Algérie, troisième producteur africain de pétrole, a déjà annoncé une baisse de ses recettes fiscales pétrolières de 10 % (à 23 milliards de dollars) au premier semestre.
Une situation inquiétante dans un pays où le pétrole et le gaz représentent entre 80 % et 90 % des exportations tout en finançant dans les mêmes proportions les caisses de l’État. Surtout que l’Algérie importe presque tout (sa facture de lait en poudre a atteint 1,45 milliard de dollars sur les neuf premiers mois de 2014, soit +106 % sur un an) et subventionne quasiment tout, des denrées alimentaires aux produits énergétiques (à hauteur de 30 % du PIB).
Également très dépendants du pétrole, l’Angola, le Congo, la Guinée équatoriale ou le Gabon ne sont pas non plus à l’abri de tensions budgétaires.
Pour Nicholas Staines, le représentant du Fonds monétaire international (FMI) en Angola (deuxième producteur africain d’or noir), « il n’y a pas dans l’immédiat de risques majeurs pour les dépenses publiques puisque, pendant une grande partie de cette année, les cours sont restés supérieurs à 100 dollars le baril et que les budgets des pays producteurs ont été établis sur la base d’un prix du baril relativement bas [entre 75 et 90 dollars en moyenne]. »
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Durée
Pour les producteurs africains, il s’agit désormais de savoir si cette tendance va s’inscrire dans la durée et si la baisse va se stabiliser ou non (en 2009, le prix du baril était descendu à environ 70 dollars).
Car c’est sur ce point que va se baser l’essentiel de leurs stratégies. La banque d’affaires russe Renaissance Capital a étudié différents scénarios.
D’après son hypothèse la plus sévère, si le baril se maintenait à 85 dollars jusqu’en 2015, le Nigeria, première économie du continent, verrait le solde de son compte courant passer dans le rouge l’an prochain. Et sa monnaie se déprécier, s’il ne met pas en oeuvre une politique monétaire adéquate.
Par ailleurs, qu’il s’agisse de l’Angola, de la Guinée équatoriale, du Congo ou du Gabon – qui ont lancé la diversification de leur économie à travers d’importants investissements publics -, des inquiétudes s’expriment également sur leur capacité à poursuivre dans cette voie si le cours du pétrole s’établit durablement à des niveaux bas.
L’Afrique pourra-t-elle maintenir son rythme de croissance ?
Mais, au-delà de ces économies, c’est sur la capacité de l’Afrique dans son ensemble à maintenir un rythme de croissance soutenu que s’interrogent les analystes. D’autant que, outre le pétrole, plusieurs ressources minières ayant contribué à son décollage grâce à leurs cours élevés sont entrées dans un cycle baissier (voir les infographies ci-contre).
C’est le cas du fer par exemple, dont la Mauritanie est l’un des principaux producteurs africains et dont les cours ont chuté de plus de 40 % depuis le début de l’année. Ou encore du platine, produit notamment en Afrique du Sud et au Zimbabwe (- 14 % sur les trois derniers mois).
« Une conjoncture mondiale peu favorable aura un impact sur la trajectoire de la croissance africaine. Toutefois, il faut bien mesurer cet impact, éviter d’exagérer son ampleur et, surtout, différencier sa nature selon le pays en question.En Afrique, les moteurs de croissance sont plus robustes et plus structurels. Sur la dernière décennie, seuls 35 % de l’accélération du PIB du continent peuvent être attribués aux ressources naturelles », tient à noter Amine Tazi-Riffi, directeur senior du bureau suisse McKinsey & Company et coresponsable des activités africaines du cabinet.
Demande intérieure
Carlos Lopes, le secrétaire exécutif de la Commission économique pour l’Afrique des Nations unies (CEA), et Bakary Traoré ne disent pas autre chose. Pour ce dernier, près des deux tiers de la croissance africaine sont dus « à une demande intérieure assez soutenue dans beaucoup de pays ».
Carlos Lopes : « Les matières premières ne sont plus le principal moteur de la croissance africaine »
Jeune Afrique : Peut-on dire que l’Afrique va entrer dans une période de ralentissement, dans la foulée de la baisse des cours des matières premières ?
Carlos Lopes : Toutes les projections indiquent le contraire.
D’abord parce que cette croissance est liée à un certain nombre d’éléments structurels qui vont au-delà du prix des matières premières.
Ces éléments représentent des tendances lourdes, que ce soit la progression démographique, l’expansion de la classe moyenne – responsable pour les deux tiers de la croissance du continent -, ou les possibilités réelles d’industrialisation
Lire l’interview complète ici…
Les chiffres le montrent : en 2013, la consommation finale et l’investissement ont généré environ 3,5 points de croissance du PIB en Afrique, et cela devrait encore augmenter sur les deux prochaines années.
« Ces éléments resteront les principaux facteurs de croissance dans les années à venir. Les marchés alimentaires [agro-business] devraient par exemple tripler d’ici à 2030, selon la Banque mondiale », poursuit Bakary Traoré.
Par ailleurs, « les États, y compris les producteurs de pétrole et de matières premières minières, ne sont plus dans la même situation que lors des chocs extérieurs précédents. Ils gèrent mieux leurs rentes pétrolières grâce à des fonds de stabilisation, font montre d’une plus grande prudence macroéconomique en veillant à leur désendettement et à l’élargissement de leur assiette fiscale, et se diversifient à travers de nouveaux moteurs de croissance, notamment les services », rappelle Amine Tazi-Riffi, l’un des coauteurs du rapport « Lions on the move » (2010).
Le Nigeria a ainsi lancé un fonds souverain de 1 milliard de dollars pour ses infrastructures et son agriculture. Idem pour l’Angola, qui mise davantage sur son agriculture, ou le Gabon avec son fonds d’investissements stratégiques.
Transformation
Reste que cette dynamique doit être entretenue par de véritables programmes de transformation productive. Et surtout en accélérant l’intégration régionale et la création d’emplois.
Deux éléments dont la faiblesse constitue aujourd’hui davantage une menace pour la durabilité de la croissance africaine que la baisse des cours des matières premières.
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