Margerie l’Africain

Surnommé « Big moustache », le dirigeant de Total, mort dans le crash de son jet à l’aéroport de Moscou, a su faire fructifier l’héritage africain du groupe français. Portrait.

Christophe de Margerie sur le site d’Akpo au Nigeria en juin 2009. © Marc Roussel/Total

Christophe de Margerie sur le site d’Akpo au Nigeria en juin 2009. © Marc Roussel/Total

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Publié le 21 octobre 2014 Lecture : 4 minutes.

Décédé dans un crash d’avion à Moscou le lundi 20 octobre, Christophe de Margerie pilotait Total depuis 2007. Surnommé affectueusement « Big moustache », il a beaucoup sillonné le monde arabe et l’Afrique subsaharienne, deux régions où son groupe est fortement implanté.

Sous sa houlette, la compagnie française a accru son empreinte africaine et conservé ses rangs de 5ème producteur de brut (2,3 millions de barils par jour en 2013), et de 6e groupe pétrolier par le chiffre d’affaires annuel (227,8 milliards de dollars à fin mars 2014), juste devant le géant américain Chevron.

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>>> Découvrez ici la grande interview accordée par Christophe de Margerie à « Jeune Afrique » en 2010

Un parcours marqué par le Moyen-Orient

Pur produit maison d’un groupe où il était entré en 1974, à sa sortie de l’Ecole supérieure de commerce de Paris, Christophe de Margerie s’est frotté d’abord aux pays du Golfe. « C’est là que j’ai éclos » racontait-il, évoquant ses premiers voyages au Moyen-Orient à partir de 1992, quand le patron de l’époque Serge Tchuruk lui confie la responsabilité commerciale de la zone.

Grâce à ses talents de négociateur, notamment avec les dirigeants du Golfe, Margerie réussira le démarrage de nouveaux champs dans la région pour Total. Cette expérience réussie lui vaudra en 1999 le poste convoité de directeur de l’exploration-production, la division amont du groupe français.

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Sous la direction de « Big Moustache », l’empreinte africaine de Total s’est accrue, surtout en dehors du « pré-carré » francophone.

Un héritage africain qu’il a su faire fructifier

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A ce nouveau poste, Christophe de Margerie n’a pas manqué de se frotter à l’Afrique. Après l’absorption en 2000 du – très africain – Elf-Aquitaine, présent depuis des décennies au Gabon et au Congo Brazzaville, l’empreinte africaine de Total était devenue majeure.

Sous la direction de « Big Moustache », dauphin déclaré du PDG Thierry Demarest au moment de la fusion, elle s’est encore accrue, surtout en dehors du « pré-carré » francophone. On lui doit les investissements majeurs du groupe dans l’exploration sous-marine profonde en Angola à partir de 2011, notamment autour des gisements « antésalifères » (sous une couche de sel au fond de l’océan), techniquement complexes, semblables à ceux, prometteurs, du Brésil.

En avril 2014, il avait confirmé le développement du champ Kaombo, au large de Luanda, dont le pétrolier espère une production de 230 000 barils par jour. A terme, l’Angola pourrait devenir par sa production le premier pays extractif pour Total. Le patron de la compagnie française s’est aussi beaucoup impliqué dans l’implantation de son groupe en Ouganda, où il développe des champs sur le lac Albert.

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Autre empreinte africaine que le PDG de Total n’a pas voulu lâcher, celle de son réseau de distribution.

Contrairement à ses principaux concurrents sur le continent, l’italien ENI – avec lequel il est au coude à coude au niveau de la production en Afrique – l’anglo-hollandais Shell et BP, il n’a pas revendu son réseau africain de stations-service.

Une situation qui lui permettait de se revendiquer la place de premier groupe pétrolier du continent, grâce à une présence dans 43 pays africains à travers ses trois divisions opérationnelles : l’amont (exploration et production), le raffinage, et la distribution de produits pétroliers.

Aujourd’hui, Total tire 30 % de son extraction de pétrole brut d’Afrique où il compte quelques 12 000 salariés directs, pour environ 30 000 emplois indirects sur l’ensemble de ses implantations industrielles.

Un homme au caractère bien trempé

Aimant le contact et le débat, connu pour son franc-parler, le patron français était une personnalité appréciée de ses collaborateurs et interlocuteurs. Constamment en voyage, il préférait les négociations directes. « Rien ne remplace la chaleur humaine et la poignée de main, affirmait-il. Vous n’arrachez jamais un contrat au téléphone. »

Son caractère contrastait avec un milieu pétrolier connu pour sa discrétion. En France, on le voyait régulièrement sur les plateaux télévisés, n’hésitant pas à apporter la contradiction aux hommes politiques, journalistes et ONG critiques de son secteur et de son entreprise.

« Je suis triste pour ceux qui pensent que les gens sont plus heureux sans pétrole. C’est tout simplement faux », clamait-il dans les colonnes de Jeune Afrique.

Interrogé par Jeune Afrique sur la fameuse malédiction pétrolière sur le continent, le chef d’entreprise français reconnaissait les problèmes de transparence, mais rappelait la nécessité de sa filière.

« Ce pauvre pétrole n’est pour rien [dans les affaires de corruption et de mauvaise gestion] ! Le sujet est la gouvernance, pas le pétrole. En Afrique, ce sont des comportements qui sont en cause. Et ça ne vaut pas que pour les Africains, mais pour tous les maillons de la chaîne. Aujourd’hui, les choses sont beaucoup mieux gérées, même si cela peut encore s’améliorer. Mais je suis triste pour ceux qui pensent que les gens sont plus heureux sans pétrole. C’est tout simplement faux », clamait-il.

Une entreprise sous le choc

Encore sous le choc ce mardi 21 octobre, la direction de Total présentait dans un communiqué ses condoléances à l’épouse, aux enfants et aux proches de Christophe de Margerie, indiquant que, suite à ce décès, « le comité de gouvernance et d’éthique puis le conseil d’administration se réuniront dans les plus brefs délais ».

Même s’il est beaucoup trop tôt pour évoquer un successeur, trois noms de potentiels remplaçants sont évoqués dans la presse française : Philippe Boisseau , le responsable de l’activité marketing et services (distribution), Patrick Pouyanné, qui dirige le secteur du raffinage, et enfin Arnaud Breuillac, nouveau patron de l’exploration-production, les trois « numéros deux » actuels de Total.

Compte tenu de l’importance de Thierry Desmarest dans la trajectoire de Total ces dernières années, l’ancien PDG, toujours président d’honneur du groupe, sera certainement très écouté dans les jours qui viennent.

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