La médaille du coeur
Publié le 30 août 2004 Lecture : 3 minutes.
«La jeunesse perdue de l’Irak », titrait, le 25 août, le quotidien londonien Al-Quds al-Arabi, évoquant le mal de vivre des jeunes Irakiens, confrontés à la violence et au chômage.
Mais alors que les combats se poursuivaient à Nadjaf, Fallouja et Bassora, les Irakiens se sont pris à rêver. Avant de s’incliner le 24 août, par trois buts à un, devant l’équipe paraguayenne, en demi-finale du tournoi de football masculin des jeux Olympiques d’Athènes, leur équipe de football espoir les a fait vibrer, battant successivement le Portugal (4-2), le Costa Rica (2-0) et l’Australie (1-0).
Comme par miracle, les Irakiens, toutes communautés confondues, se sont unis derrière leurs « héros » : des garçons bien en jambes, survoltés et enivrés par le parfum d’une liberté retrouvée. « Ils en voulaient un peu plus que les autres, car ils revenaient de loin. S’ils n’ont pas remporté la médaille d’or, ils ont gagné celle du coeur », commente un confrère.
Ces « Tigres de l’Euphrate » dont les prénoms (Younis, Hawar, Salah, Sabri, Emad…) deviennent familiers, ont dépassé les clivages communautaires. Sur les vingt-deux joueurs de l’équipe, vingt sont chiites, l’un est kurde et le dernier, sunnite.
Le même groupe avait remporté, en 2000, le championnat d’Asie des moins de 19 ans. La plupart jouent à l’étranger, notamment dans les pays du Golfe. Les autres, qui appartiennent aux clubs locaux d’Al-Zawra et Al-Talaba, participent aux tournois régionaux et continentaux, comme la Coupe d’Asie des nations, organisée en juillet en Chine.
Le championnat national étant suspendu, ils sont toujours prêts à honorer les invitations émanant des pays arabes voisins. En raison de la guerre, ils ont d’ailleurs joué tous leurs matchs de qualification pour les J.O. à l’extérieur. Leur bonne prestation à Athènes leur ouvre de nouvelles perspectives. Ainsi, le gardien, Sabri Nour, 20 ans, est en pourparlers avec le prestigieux club italien de l’AS Roma et le buteur, Emad Mohamed, a signé un contrat de 500 000 dollars avec un club qatari.
La délégation irakienne aux J.O. (quarante-huit membres au total) était arrivée le 9 août à Athènes après un périple de deux jours via Amman. « Ils sont ici pour montrer au peuple irakien que leur pays est de retour », avait déclaré le chef de la délégation, Tiras Odisho. Le directeur général du Comité olympique irakien a cependant évité de s’attarder sur les années noires durant lesquelles le fils de l’ancien dictateur, Oudaï Hussein, responsable autoproclamé du sport dans son pays, rasait les cheveux des athlètes « coupables » de mauvaises performances et, parfois, les torturait.
La joie des Irakiens de renouer avec ces joutes sportives a été gâchée par l’attitude indélicate des responsables de la campagne électorale du président George W. Bush. Faisant fi des règles internationales interdisant l’utilisation des J.O. à des fins de propagande, ils ont fait diffuser sur les chaînes américaines un spot publicitaire montrant un nageur, puis les drapeaux de l’Irak et de l’Afghanistan, avec, en voix off, cette phrase saugrenue : « La liberté se répand dans le monde comme un lever de soleil. À ces J.O., il y aura deux pays libres de plus. Et deux régimes totalitaires de moins. »
Exprimant le sentiment de ses coéquipiers, le milieu de terrain du Onze olympique Salah Sadir a répliqué sur le site Internet américain si.com : « L’équipe irakienne ne veut pas être utilisée par M. Bush dans sa campagne. Il peut trouver d’autres moyens de faire sa publicité. » Le commentaire de l’entraîneur, Hamad Adnan Majid, a été encore plus cinglant : « Bush a contribué à détruire notre pays. En un an et demi, notre situation est devenue exécrable… Nous ne croirons jamais qu’il puisse être notre ami. » De quoi dissuader le président américain d’effectuer une visite surprise à Athènes au cas où l’Irak se qualifierait pour la finale, comme le lui avaient suggéré certains de ses conseillers…
