La censure sous toutes ses formes

Les atteintes à l’exercice du journalisme demeurent encore trop fréquentes dans de nombreux pays.

Publié le 30 août 2004 Lecture : 5 minutes.

Il n’existe pas une, mais plusieurs formes de censure. Le pouvoir politique a – parfois – retenu les leçons de l’Histoire : interdire les journaux, exécuter ou emprisonner les journalistes, bloquer l’accès à Internet sont des mesures qui vous propulsent d’emblée dans la catégorie honnie des dictatures ou des autocraties. Dans un monde globalisé où l’économie est largement dominée par les démocraties occidentales et où rôdent les empêcheurs de censurer en rond, recevoir ce label n’est jamais très bon pour les affaires… Alors, nombre de dirigeants peu respectueux de la liberté de presse se sont acheté une conduite, portant le cynisme et l’hypocrisie jusqu’à des sommets inégalés, tout en restant fidèles à Dame Censure. Afficher de justes intentions en public ne mange pas de pain. Surtout quand, en coulisses, on multiplie les procédés pour réduire au silence ceux qui essaient de transmettre des parcelles de vérité. Comme l’écrit Pierre Veilletet, président de Reporters sans frontières France (RSF), « […] certains malfaisants deviennent plus malins. À la répression frontale et sanguinaire ils substituent volontiers le harcèlement insidieux d’apparence légale, la pression économique, la protection de la vie privée, les contournements de toutes sortes, y compris les gages de bonne volonté, afin d’abuser l’opinion. »
Comme chaque année, RSF a dressé en 2004 un bilan de la liberté de presse dans le monde (cf. Le Tour du monde de la liberté de presse et www.rsf.org, à visiter d’urgence, pour ceux qui le peuvent !). L’organisation en profite pour peindre la galerie des « prédateurs de la liberté de la presse ». Le continent africain est loin de se retrouver seul au palmarès. Personne ne s’étonnera donc de trouver dans cette liste noire des groupes aussi sympathiques que les talibans afghans, les Forces armées révolutionnaires de Colombie (Farc), l’ETA basque ou les maoïstes népalais. Personne ne s’étonnera non plus d’y rencontrer de célèbres « héritiers » comme Abdallah Ibn al-Saoud d’Arabie saoudite ou Mswati III, roi du Swaziland, de non moins célèbres dictateurs comme Kim Jong-il (Corée du Nord), des militaires comme Than Shwe (Birmanie), des « autoritaires » comme Ali Khamenei (Iran) et d’indéboulonnables « dinosaures » que rien n’effraie : Fidel Castro (Cuba), Robert Mugabe (Zimbabwe) ou Mouammar Kadhafi (Libye). Il va de soi que cette liste est loin d’être exhaustive… Mais il y a plus intéressant, peut-être, et tout aussi dangereux : les « démocrates de façade ». Altaf Hossain Chowdhury du Bangladesh voisine avec Vladimir Poutine (Russie), Goh Chok-tong (Singapour), Mélès Zenawi (Éthiopie) et bien d’autres encore qui, s’ils font semblant d’accepter la critique, ne la tolèrent guère. Ces derniers sont passés maîtres dans l’art de travestir la censure. Ils usent et abusent de mille et un procédés pour entraver la vérité tout en restant politiquement fréquentables. Blocage des imprimeries, harcèlement judiciaire, lois liberticides, amendes, écoutes, mises à sac des locaux, menaces : tous les moyens sont bons, et les meilleurs sont les plus discrets.
Et si la loi est le meilleur des garde-fous, elle peut être utilisée à mauvais escient, même en démocratie, surtout sur le continent africain. Ainsi la notion répandue de « diffamation » peut donner lieu à diverses formes d’interprétations. Nombreux sont ceux qui en font les frais. Ainsi, en Algérie, le journaliste Hafnaoui Ghoul a été condamné à deux mois de prison pour « outrage à corps constitué et diffamation », tout comme le directeur du groupe de presse Er-Raï, Ahmed Benaoum. Les peines sont lourdes. Le gouvernement resserrerait-il la vis ? Oui, répondrait Mohamed Benchicou, directeur du quotidien Le Matin, condamné en appel à deux ans de prison pour « infraction à la législation sur le contrôle des changes et les mouvements de capitaux »…
Sous prétexte de lutter, à l’instar des États-Unis, contre le terrorisme, bien des pays africains ont profité de l’occasion pour glisser ici et là des lois leur permettant de museler, en toute discrétion, des journalistes trop bavards. De même, les guerres et les conflits permettent bien souvent de multiplier les procédures visant à contrôler la presse et, surtout, l’audiovisuel. On citera l’exemple du président ougandais Yoweri Museveni qui a tenté, en vain, de créer le délit de « publication de fausse nouvelle », qui ne cesse de chercher des noises au Monitor, le quotidien d’opposition et qui contraint au silence des radios trop impertinentes… On pourrait allonger à l’infini la liste des brimades quotidiennes : interdiction momentanée des radios au Burundi, interdiction de la presse privée en Érythrée, acharnement contre un quotidien au Zimbabwe, condamnation du journaliste et directeur de publication du Citoyen, Maka Gbossokotto, à un an de prison pour « injures publiques », éphémère incarcération de Mandiabal Diagne au sénégal… Sans parler de la Côte d’Ivoire : menaces contre les journaux d’opposition, dénonciations et appels au lynchage, attaques et assassinats de journalistes. Mais à quoi bon noircir un tableau déjà bien sombre ? Surtout quand il existe des raisons d’espérer.
Si l’on s’en tient à l’Afrique, où les ennemis de la liberté de presse sont encore quelques-uns, on peut sans grand risque parier que les évolutions technologiques et le développement inexorable d’Internet rendront vaines les gesticulations de tel ou tel autocrate. On peut aussi faire confiance aux peuples et à certains élus pour garantir la liberté de presse. Début avril 2004, le ministre kényan de la Justice et des Affaires constitutionnelles, Kiraitu Murungi, a annoncé que son gouvernement soutiendrait la création d’un Conseil des médias indépendant et que les lois restrictives de 2002 seraient supprimées. Et il suffit de surfer un peu sur la Toile pour se rendre compte qu’en Afrique les publications à contre-courant, souvent éphémères, se multiplient même dans les pays les plus durs.
En outre, le programme « Médias pour la démocratie », financé par la Commission européenne et mis en oeuvre par l’Union des journalistes d’Afrique de l’Ouest, soutient la création d’observatoires des médias et de systèmes d’autorégulation efficaces et indépendants et promeut la liberté de l’information. La Fédération internationale des journalistes et son partenaire sur ce projet, le Gret (Groupe de recherche et d’échanges technologiques) appuient le développement de projets pilotes en Afrique de l’Ouest (Sénégal, Ghana, Mali et Bénin). Autant d’exemples annonciateurs de frémissements positifs, rendus possibles par l’implication de la société civile, les pressions extérieures et, malgré tous les bémols que l’on peut y mettre, les progrès de la démocratie. Dirigeants de tous les pays, encore un effort !

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