Faux juges pour vrais prisonniers

Publié le 30 août 2004 Lecture : 3 minutes.

Les « commissions militaires » chargées par George W. Bush de juger les étrangers soupçonnés d’avoir participé à des actions terroristes contre les États-Unis ont ouvert leurs audiences préliminaires le 24 août. Deux Yéménites, un Australien et un Soudanais – propagandiste, chauffeur, logisticien et trésorier présumés de Ben Laden – incarcérés à Guantánamo parmi près de six cents suspects, se voient ainsi accorder le redoutable privilège de jouer le rôle de cobayes dans une procédure d’exception qui suscite l’indignation des juristes et de nombreux observateurs dans le monde.

Comme le souligne Reed Brody, le directeur adjoint de Human Rights Watch (HWR), la puissante organisation de « défense des droits humains » basée à New York, « les juges, les avocats, les jurés, les membres des tribunaux d’appel, et peut-être, demain, les bourreaux » sont en effet des militaires américains en activité, quand ce ne sont pas des retraités de l’armée qui ont pour seule légitimité de s’être improvisés juges à titre volontaire. Pour Human Rights Watch, comme pour Amnesty International, l’American Civil Liberties Union ou les représentants du barreau des États-Unis qui ont obtenu d’être présents à Guantánamo, la quasi-totalité des règles que ces juridictions d’exception se sont fixées contreviennent aux principes fondamentaux des conventions internationales et du droit, fût-il militaire.

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Human Rights Watch a publié, dans un communiqué, la longue liste des anomalies qu’elle a relevées. Parmi elles, les multiples restrictions – notamment financières – apportées au choix du défenseur par l’accusé, les entraves aux contacts entre détenus (étrangers) et avocats (américains), l’impossibilité pour ces derniers de vérifier la nature des accusations portées contre leurs « clients » (on sait que nombre de témoignages, parfois de simples racontars, ont été arrachés sous la torture). Ou encore, la violation des conventions de Genève sur les prisonniers de guerre (les détenus sont soumis à un statut bâtard de « combattant ennemi » qui les prive des garanties habituelles), le manque flagrant d’indépendance de ces « tribunaux » au regard de la hiérarchie militaire, le caractère purement formel des rares demandes de révision de leur situation qui ont été concédées aux prisonniers… Bref, autant de dispositions bafouant la quasi-totalité des principes acquis au fil des siècles dans les États de droit.
Pour autant, Reed Brody refuse de baisser les bras : en collaboration avec les autres ONG présentes aux audiences, HRW a entamé un travail d’explication qui semble porter ses fruits, non seulement dans la presse internationale, mais jusqu’au coeur des institutions américaines. L’idée selon laquelle l’impératif sécuritaire peut être brandi à tout moment par le pouvoir pour justifier son affranchissement des contraintes du droit commence à faire long feu. Les rapports s’accumulent, concernant le comportement des services de renseignements et des troupes américaines, dans la prison irakienne d’Abou Ghraib ou ailleurs.

Enfin, ainsi que Brody nous l’a confié, un élément, souligné par les comptes rendus des premières audiences, apparaît comme « la bonne surprise » de cet avant-procès : le comportement particulièrement courageux des avocats de la défense, pourtant nommés par la hiérarchie militaire dont ils sont issus. N’hésitant pas à affronter cette dernière en critiquant d’une manière radicale le système qui leur a été imposé, ces hommes sauvent l’honneur de l’institution dont ils portent l’uniforme. « L’un des défenseurs s’est vu d’ores et déjà menacé de représailles dans sa vie professionnelle », sans accepter pour autant de se laisser réduire au silence.

Il en faudrait pourtant bien davantage pour que le jugement des « quatre de Guantánamo » qui sera prononcé dans quelques semaines, ou dans quelques mois, ne porte pas la marque de ces graves irrégularités. Et pour que le sort des quelque 585 personnes encore détenues sur l’île échappe au vide juridique que le Pentagone s’acharne à creuser autour d’elles.

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