Emine lève un coin du voile…

Publié le 30 août 2004 Lecture : 3 minutes.

Elle n’a jamais accordé d’interview depuis que son mari, Recep Tayyip Erdogan, est devenu Premier ministre, en mars 2003. Pourtant, Emine Erdogan est aujourd’hui au centre de toutes les attentions médiatiques… pour des motifs bien différents. Commentant sa présence dans les tribunes des jeux Olympiques d’Athènes, au côté de son époux, les quotidiens turcs de tendance kémaliste, comme Hürriyet, ont déploré qu’« alors que nos athlètes donnent une image moderne de notre pays, l’épouse de notre Premier ministre [apparaisse] vêtue en musulmane fondamentaliste, en contradiction avec le monde occidental et avec l’esprit olympique ». Fâcheux, à quelques mois du sommet européen qui devrait décider de l’opportunité d’ouvrir des négociations avec la Turquie en vue d’une adhésion à l’Union européenne (UE). Les éléments les plus radicaux de l’AKP, le parti au pouvoir à Ankara, s’offusquent, eux, de la bise par laquelle le Premier ministre grec Kostas Karamanlis a accueilli Emine Erdogan dans son pays.
L’épouse voilée du Premier ministre turc, âgée de 49 ans, a marié sa fille Esra en grande pompe à Istanbul le 11 juillet dernier. On l’avait vue à Téhéran et à Washington, aussi à l’aise avec la femme du vice-président iranien qu’avec Laura Bush. Comme les épouses du ministre turc des Affaires étrangères et du président du Parlement, Emine est exclue depuis des mois de toutes les réceptions officielles de la Çankaya (siège de la présidence, à Ankara), sur décision du chef de l’État, Ahmet Necdet Sezer. Ni ce juriste pointilleux ni les militaires ne badinent avec la laïcité, dans un pays où elle constitue un principe fondateur.

Meurtrie par l’opprobre, Emine Erdogan passe pour avoir remarquablement dominé cet ostracisme. On la dit réfléchie, intelligente et pleine d’humour. Très engagée en politique depuis sa jeunesse (elle a rencontré son futur mari lors d’un meeting du Selamet, un parti islamiste), elle appelle les Turques à s’engager dans la vie publique et exerce, dit-on, une grande influence sur son époux. Elle aurait ainsi aidé à choisir les candidats de son parti, l’AKP, aux municipales de mars dernier.
Aux États-Unis, où le modèle turc est cité en exemple à l’Irak et aux pays de la région, on se montre volontiers laudateur. Ainsi, dans son édition du 22 août, le Los Angeles Times vante les mérites d’une femme qui « se bat pour prouver que piété et modernité peuvent aller de pair ».

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Née dans une famille modeste, de souche arabe, dans la région de Siirt (Sud-Est anatolien), Emine Erdogan porte le foulard islamique (türban) depuis l’adolescence. Ce ne fut pas, au début, de gaieté de coeur, aurait-elle confié en 1995 à Güler Atasoy, auteur d’un ouvrage sur le port du voile, racontant qu’elle aurait un instant songé à se suicider lorsqu’un de ses frères lui enjoignit de se vêtir conformément aux préceptes de l’islam. « J’avais 15 ans à l’époque. Il était normal que je résiste. Aujourd’hui, je me sens bien ainsi. »

Mais celle qui aurait renoncé à accompagner son mari en France en juillet dernier en raison du débat sur le port du voile à l’école a assoupli ses positions depuis 1998, date à laquelle son mari fut condamné à une peine de prison pour avoir tenu des propos « incitant à la haine religieuse ». Elle a délaissé une école juridique très stricte de l’islam, le shafiisme, au profit de la plus libérale d’entre elles, le hanafisme, et accepte désormais de serrer la main à des hommes. Elle vient même d’expliquer aux éléments les plus radicaux de l’AKP que la bise du Premier ministre grec n’avait rien de déplacé. Révolutionnaire !

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