Beau métier ou sale boulot ?

Le journalisme reste une profession difficile à exercer sur le continent. Avec de faibles salaires, les dérives sont fréquentes.

Publié le 30 août 2004 Lecture : 6 minutes.

On dit que c’est le plus beau métier du monde. À condition de pouvoir l’exercer dans de bonnes conditions ! Dans encore trop de pays africains, les journalistes se battent pour pouvoir s’exprimer librement. Ils se battent à coups de plume ou de verbe acéré. Une arme souvent insuffisante pour ouvrir les cachots ou racheter le matériel entièrement détruit par les sbires d’un chef d’État mécontent d’avoir été égratigné à l’encre noire…
« La liberté de la presse demande un long apprentissage. Les Africains doivent savoir compter avec le temps », nuance Gabriel Baglo, le coordinateur du bureau Afrique de la Fédération internationale des journalistes (FIJ), qui rappelle que l’émergence de la démocratie en Afrique ne date que du début des années 1990. En moins de quinze ans, d’énormes progrès ont néanmoins été accomplis dans le secteur des médias. La plupart des Constitutions ont intégré une loi garantissant la liberté d’expression et d’information, « même si dans la pratique, les choses ne sont pas aussi simples », convient cependant le coordinateur de la FIJ. Les médias étatiques sont concurrencés par des organes indépendants et critiques. Des codes de déontologie ont été définis et distribués aux journalistes, lesquels, en cas de dérive, sont rappelés à l’ordre devant une commission d’autorégulation, à l’instar de l’Observatoire de la liberté de la presse, de l’éthique et de la déontologie (Olped), créé en Côte d’Ivoire en 1995, ou de l’Observatoire de déontologie et d’éthique dans les médias (Odem), son équivalent béninois né en 1999, ou encore de l’Office national de la presse (Onap), créé au Mali en 2000.
Malgré ces garde-fous, le métier de journaliste reste difficile. Le premier obstacle à surmonter est la rétention de l’information. « Il existe encore des lois qui obligent les administrations publiques à ne pas divulguer d’informations les concernant », affirme Gabriel Baglo. Un constat dressé aussi par Casimir Samgala, journaliste au quotidien malien Info Matin : « Au Mali, les administrations n’ont pas la culture de la communication. Un bon journaliste est donc quelqu’un qui a un épais carnet d’adresses. C’est grâce à nos relations qu’on réussit à informer les lecteurs. »
Ces accointances ne sont pas sans danger. À trop fréquenter ses sources, ne tombe-t-on pas sous leur influence ? Pis, à trop dépendre d’elles, ne devient-on pas corruptible ? « C’est le plus grand risque que nous courons : la manipulation, admet le journaliste malien. Il faut sans cesse vérifier ses informations et recouper les sources pour éviter cette dérive. » Pour Vanessa Nana, journaliste au sein de la rédaction du Messager, un trihebdomadaire camerounais d’opposition, « l’administration ouvre ses portes à partir du moment où elle se sent coincée par une information obtenue grâce à une source informelle. Dans ce cas, elle préfère parler pour donner sa version des faits. Et en tant que journaliste, nous veillons à relater ces différentes opinions pour enrichir ou prolonger le débat ».
Le recoupement de l’information est un principe de base auquel dérogent parfois les professionnels du secteur. Trop de pression, pas assez de temps pour mener à bien les enquêtes, manque de moyens… La liste des embûches est longue. « En somme, le métier est de plus en plus précaire », convient Gabriel Baglo. Avec un salaire qui permet laborieusement de nourrir une famille – 50 000 F CFA (76 euros), en moyenne, par mois (lire encadré page suivante) -, un rythme de travail interdisant toute autre activité complémentaire, il est encore plus facile de succomber à la tentation des pots-de-vin. Vanessa Nana sourit, mi-figue mi-raisin : « Au Cameroun, on dit que le journalisme est un sacerdoce. C’est comme entrer dans les ordres. On milite, on lutte pour des idées… Quant à la survie physique, c’est une autre histoire… » Certains, comme elle, ont la chance d’être aidés par la famille ou les amis. « Mais beaucoup d’autres sont fragilisés ; ils deviennent vulnérables à la pression de l’argent », convient la jeune femme.
La corruption gangrène le métier, au même titre que la désinformation, estime le président de l’Odem. François Awadou déplore le fait que certains journalistes endossent aussi le rôle d’attaché de presse. Une pratique courante, surtout pour ceux qui travaillent au sein des organes publics. Comment se montrer critique et objectif quand on a aussi pour mission de vanter les mérites de telle politique ou de telle organisation ? « L’article 18 du code de déontologie publié par l’Odem quelques mois après sa création interdit pourtant le couplage de ces deux fonctions », explique Awadou.
Mais les dérives que doit sanctionner l’Odem concernent principalement la diffamation et les injures (lire encadré ci-dessous). « C’est le motif invoqué dans 90 % des saisines », précise le président de l’Odem. Tout le monde, du citoyen lambda au député, peut saisir l’Odem. Depuis septembre 2003, une vingtaine de plaintes ont été déposées et dix d’entre elles ont été traitées – il faut environ deux semaines pour étudier un dossier. Quant aux moyens de rétorsion, ils sont limités. « Nous ne sommes pas un tribunal », insiste Awadou. L’Odem peut quand même exercer une pression indirecte dans la mesure où un média doit être vierge de toute condamnation de l’Observatoire pour bénéficier des subventions de l’État. Est-ce suffisant pour résorber les manquements à la déontologie ? Probablement pas puisque, après une petite accalmie entre 2001 et 2003, le nombre de plaintes a augmenté au Bénin depuis le début de l’année.
Si les dérives persistent, c’est aussi parce que les journalistes ne sont pas toujours bien informés de leurs devoirs. « Il y a un réel déficit de formation », convient Gabriel Baglo. Le coordinateur n’exclut pas la possibilité de mettre en place une formation continue et informelle au sein même des rédactions. « Rien ne remplace l’expérience du terrain », entend-on souvent de la bouche des journalistes en poste. Reste que l’enseignement dispensé par les écoles de journalisme, comme le Centre d’enseignement des sciences et des techniques de l’information de Dakar (Cesti) ou celui de Yaoundé et de Niamey, offre une base de départ solide. « Dommage qu’il n’y ait pas de cours de déontologie », regrette Baglo.
Félix Nzale, aujourd’hui journaliste à Sud Quotidien, fleuron de la presse sénégalaise indépendante, a fait ce choix de suivre une formation. Après une maîtrise de sociologie, le reporter en herbe a entamé un troisième cycle en journalisme dans l’espoir de « faire bouger les choses ». Son idéal s’est heurté à une dure réalité : la précarité du métier. En presque six ans, Nzale a toutefois observé quelques changements positifs. « Une bonne formation n’empêche pas certaines personnes d’être malhonnêtes, constate-t-il. Mais on peut noter une professionnalisation du secteur ces dernières années. » Cette tendance sera renforcée par la nouvelle carte de presse que délivre depuis peu le ministère de l’Information. Pour être éligible, il faut répondre à des critères assez stricts, tels qu’être diplômé d’une école de journalisme reconnue, présenter l’attestation d’un employeur ou encore la preuve que la rémunération principale du demandeur provient de cette activité. Le ministère a commandé début mars 500 nouvelles cartes de presse, mais n’a enregistré pour l’instant qu’une quarantaine de demandes. « À terme, seuls les détenteurs de cette carte pourront assister aux conférences de presse officielles du gouvernement et jouir des facilités généralement accordées aux journalistes », promet le directeur de cabinet, Madièye Mbodj. De son côté, le Cameroun a décidé de distribuer 139 cartes professionnelles sur les 155 dossiers de candidature présentés.
Être journaliste sur le continent, c’est aussi mettre sa vie en péril. « Depuis le début de la crise ivoirienne, la question de la sécurité des journalistes se pose avec d’autant plus d’acuité », résume Alfred Dan Moussa, le président de l’Olped à Abidjan. L’accès à l’information est dangereux physiquement mais aussi intellectuellement, car le reporter doit se méfier des tentatives de propagande, de manipulation et de censure. Est-il alors plus difficile de respecter les règles déontologiques ? À cette question, Alfred Dan Moussa répond : « Nous nous sommes rendu compte que la nature de ces manquements n’avait guère changé. Ce sont toujours les plaintes pour injure et diffamation que nous traitons en majorité. Force est d’admettre que les dérives ont existé avant la crise, qu’elles font rage aujourd’hui et qu’elles ne disparaîtront certainement pas demain. Notre objectif est au moins d’en réduire le nombre et la portée », conclut-il.

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