Scandale à Bouaké

L’affaire des Casques bleus marocains soupçonnés d’abus sexuels met une nouvelle fois l’ONU sur la sellette. Et conforte ses détracteurs.

Publié le 30 juillet 2007 Lecture : 4 minutes.

Comme dans toutes les armées, il y a des brebis galeuses chez les Casques bleus. Mais parce qu’ils sont affublés d’un uniforme prestigieux et chargés d’une noble mission, leurs écarts scandalisent davantage. Le 21 juillet, l’Opération des Nations unies en Côte d’Ivoire (Onuci) a annoncé la suspension et le cantonnement des 732 hommes du contingent marocain basé à Bouaké, la capitale de l’ex-rébellion, en raison d’allégations « de nombreux cas d’exploitation et d’abus sexuels portées contre certains de ses éléments ». L’enquête n’est pas encore bouclée qu’elle conforte déjà les détracteurs de l’Onuci qui, plus de trois ans après son déploiement, le 4 avril 2004, n’a toujours pas réussi à gagner la confiance des forces gouvernementales, ni celle de la population.
Difficile de savoir quand tout a commencé. « Depuis un certain temps, des informations nous parvenaient », témoigne, sans plus de détails, Hamadoun Touré, porte-parole de l’Onuci. Les récits font état de jeunes filles se livrant à des Casques bleus, sous la contrainte ou moyennant une modeste rétribution. « De l’argent, des rations de nourriture qu’elles peuvent partager avec leur famille », avance le porte-parole d’une association de défense des droits de l’homme. La plupart des victimes seraient mineures. « Il y en a même qui faisaient cela dans le camp du contingent », ajoute un témoin.

Particulièrement malmenée depuis la partition du pays, en 2002, la population du Nord ivoirien est une proie facile. Et le soldat, loin des siens, parachuté dans un univers où l’uniforme onusien ne laisse pas indifférent, est enclin à enfreindre le quatrième commandement du « code de conduite du Casque bleu ». Lequel lui interdit de se livrer « à des actes immoraux de violence ou d’exploitation sexuelle, physique ou psychologique à l’égard de la population locale ». Rien que de tristement banal Ce qui l’est peut-être moins, c’est l’ampleur du scandale. « À grande échelle », consent à lâcher Hamadoun Touré. « Ce ne sont pas des cas isolés », confirme le membre d’une ONG, tandis que d’autres sources parlent d’une centaine de victimes.
Alertée par la persistance des rumeurs, l’« unité de contrôle et discipline » de l’Onuci ouvre une enquête interne, en juin. Mi-juillet, le « bureau des services de contrôle interne », basé à New York, débarque en Côte d’Ivoire. Deuxième enquête. De ses conclusions et de ses recommandations dépend le sort du contingent marocain. D’ordinaire, les coupables sont rapatriés dans leur pays où ils sont censés être jugés (voir encadré). « Nos services sont en train de mener l’enquête, confie une source au ministère marocain des Affaires étrangères. Si tout cela est vrai, ce sera très dur pour les coupables. L’armée marocaine a ses lois, et je peux vous assurer que la réponse sera très, très rapide. »

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Si l’Onuci ne parle que d’« allégations », c’est uniquement pour des questions de procédure. Les mesures de suspension et de cantonnement à l’encontre d’un contingent tout entier, le deuxième plus important en Côte d’Ivoire, après celui du Bangladesh, dans une zone dont le contrôle échappe encore à l’État, ne sont pas prises sur de simples soupçons. Les questions sont ailleurs. Pourquoi l’Onuci se penche-t-elle sur le seul cas de Bouaké quand il est de notoriété publique que des faits similaires ont cours en d’autres endroits du pays ? « Même à Abidjan, il y a toujours des jeunes filles qui traînent autour des camps, ce n’est pas fortuit », s’indigne un témoin. Et pourquoi l’affaire éclate-t-elle à ce moment précis ? « Cela ne peut être une manuvre contre l’Onuci, estime un autre témoin. C’est elle-même qui a révélé l’affaire. »
À Abidjan, d’aucuns penchent pour le scénario d’un coup tordu ourdi par un pouvoir invariablement méfiant à l’égard de la force internationale. Selon eux, seul le patron de l’Onuci, le Tchadien Abou Moussa, représentant spécial par intérim du secrétaire général de l’ONU depuis février 2007 et établi en Côte d’Ivoire de longue date, où il a dirigé, en 1999, le Bureau du Haut-Commissariat aux réfugiés (HCR), est à même de diligenter une enquête interne. La proximité de Moussa avec Laurent Gbagbo nourrit la controverse au sein de la classe politique. Mais le représentant par intérim irait-il jusqu’à se tirer une balle dans le pied rien que pour rester dans les bonnes grâces du chef de l’État ? Jusqu’à faire éclater un scandale à un moment où l’image de l’Onuci est déjà mise à mal par l’attentat visant le Premier ministre Guillaume Soro, le 29 juin à Bouaké (les forces internationales ont été accusées d’avoir failli à leur mission de protection de l’aéroport qu’elles utilisent pour leurs activités) ? Et à mettre hors d’état de nuire un contingent marocain dont l’application à mener sa mission lui a valu la réputation d’« empêcheur de tourner en rond » ? De là à penser que l’affaire conforte le camp présidentiel, qui venait de marquer un point avec l’adoption par le Conseil de sécurité, le 16 juillet, de la résolution 1 765 mettant un terme au mandat du haut-représentant pour les élections, il n’y a qu’un pas.

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