Sarkozy et « l’homme africain »

Publié le 30 juillet 2007 Lecture : 3 minutes.

Nicolas Sarkozy aime surprendre, c’est un adepte de la rupture : avec le passé et avec les idées reçues, comme avec les politiques de ses prédécesseurs. À Cotonou, en mai 2006, alors qu’il n’était que ministre de l’Intérieur, il avait annoncé son intention d’instaurer, s’il venait à être élu président de la République, des relations nouvelles avec les partenaires traditionnels de la France en Afrique.
Pourtant, les 26 et 27 juillet, sa première tournée présidentielle au sud du Sahara n’a pas vraiment révolutionné l’exercice. À Dakar, en route pour le Palais présidentiel, il a apprécié les acclamations de la foule massée le long de l’autoroute. À Libreville, il s’est fendu d’une visite en forêt avec Omar Bongo Ondimba. Pourquoi ces deux villes, maintes fois visitées par ses prédécesseurs ? « Ce fut un choix très difficile, a-t-il lancé, en forme de boutade, lors d’une conférence de presse dans la soirée du 25 juillet. Mais il fallait bien que je me rende dans la ville natale de Rama Yade » (sa secrétaire d’État aux Droits de l’homme). « Plus sérieusement, a poursuivi le président français, il était impossible de ne pas aller voir le président Abdoulaye Wade. Quant au Gabon, je n’y suis jamais allé et, en Afrique, l’ancienneté d’un chef d’État, ça compte. » Pas d’autre explication, mais les intéressés, piliers de la Françafrique depuis bien longtemps, ont dû rougir de plaisir « La diplomatie, finalement, ramène rapidement les dirigeants au principe de réalité », admet un proche de Sarkozy.
Les surprises chères à celui que certains de ses compatriotes appellent déjà « Super Sarko » ne sont finalement pas venues de ses actes, mais du discours à l’adresse de la jeunesse africaine qu’il a prononcé le 26 juillet à l’université Cheikh-Anta-Diop de Dakar. Sans indiquer la moindre direction concrète d’action, il a exposé sa vision du continent. Une conception culturaliste, mythique, presque mystique, dans laquelle « l’homme africain » est censé avoir conservé « un antidote au matérialisme et à l’individualisme qui asservissent l’homme moderne ». Problème : « Dans cet univers où la nature commande tout, l’homme reste immobile au milieu d’un ordre immuable où tout est écrit d’avance. »
Fustigeant l’idée selon laquelle la colonisation – bien que néfaste – serait responsable de toutes les difficultés de l’Afrique, critiquant l’immobilisme des sociétés du continent, Sarkozy est convaincu que l’Histoire, malheureuse mais commune, a lié à jamais l’Afrique et l’Europe. Dans une grande envolée lyrique, il s’est pris à rêver d’une hypothétique « Eurafrique », qui est en réalité une vieille idée datant des années 1960.
Sans craindre les contradictions, il n’a cessé d’opposer « l’homme africain » à « l’homme moderne », tout en invitant les jeunes Africains à se nourrir de leurs deux cultures. Il a exalté la grandeur d’une Afrique mythifiée, tout en dénonçant ses paralysies. Avec une bonne dose d’ambition, sinon de prétention, il a expliqué aux Sénégalais présents dans l’amphithéâtre Ucad II qui ils étaient, d’où ils venaient et pourquoi leur façon de penser, bien que riche et féconde, était en partie responsable de leur éloignement du reste du monde. Les réactions de son auditoire ont indiscutablement manqué de chaleur
Pour savoir ce que sera, concrètement, la politique de la France en Afrique, il faudra en revanche repasser. Interrogé sur la privatisation de Dagris et le renvoi du responsable d’Areva au Niger, Sarkozy admet « ne pas savoir quoi dire et ne pas avoir de réponse à toutes les questions ». Sur les crises au Tchad et au Darfour, dans lesquelles la France est largement impliquée, ses réponses ne sont pas si éloignées de celles que son prédécesseur aurait pu faire. « Que je sache, en l’état actuel des choses, le président Déby Itno n’est pas fauteur de troubles, a-t-il affirmé. Il est possible que la force hybride au Darfour stabilise les régimes de Déby Itno et de Béchir, mais tant pis, on ne peut pas laisser des gens se faire tuer. »
La rupture chère à Sarkozy ne se fera donc pas en un jour. Et si le discours de Dakar planait dans les hautes sphères de l’Histoire, de la philosophie et de l’ethnologie, c’était aussi, admet un proche de l’Élysée, parce qu’à chaque jour suffit sa peine et que deux mois d’exercice du pouvoir ne sont pas suffisants pour définir un certain nombre de stratégies et, encore moins, de programmes. Rendez-vous est donc pris à l’automne pour la deuxième visite de Sarkozy en Afrique subsaharienne.

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