Nouvelles retrouvailles

Pourquoi et comment le chef de l’État Abdoulaye Wade et son ex-Premier ministre Idrissa Seck, brouillés, réconciliés puis opposés lors de la présidentielle de février, ont décidé d’enterrer la hache de guerre.

Publié le 30 juillet 2007 Lecture : 6 minutes.

« Je ne peux pas dire qu’Idrissa Seck ne reviendra pas à mes côtés. Le mot jamais ne s’emploie pas en politique. » Cette confidence du chef de l’État sénégalais, Abdoulaye Wade, faite fin septembre 2004 à Jeune Afrique, au plus fort de la brouille avec son ex-homme de confiance, sonne aujourd’hui comme une prémonition. Comme dans une sitcom, les deux hommes ne cessent de se séparer et de se retrouver.
Le 25 juillet, Wade a reçu, au palais de l’avenue Léopold-Sédar-Senghor, les membres du directoire de Rewmi, la formation mise en place par Seck au lendemain de son exclusion, en juillet 2005, du Parti démocratique sénégalais (PDS), au pouvoir. La rencontre signe de nouvelles retrouvailles entre Gorgui (« le vieux », en wolof, comme les Sénégalais surnomment affectueusement leur président), 81 ans, et Ngorsi (« le petit bonhomme »), 48 ans. Elle intervient après moult tractations menées dans l’ombre par un missi dominici aussi efficace que discret. Et devrait aboutir à une reconstitution de la famille PDS déchirée par des querelles fratricides.
Tout, dans ce retour de flamme, commence le 22 janvier dernier. À la surprise générale, Idrissa Seck, candidat déclaré à la présidentielle du 25 février, rencontre Abdoulaye Wade. L’événement est d’autant plus inattendu que les deux hommes, qui ne s’étaient pas revus depuis le lendemain du 21 avril 2004, date du limogeage de Seck de son poste de Premier ministre, étaient engagés dans une bataille sans pitié avec son lot de déballages, de règlements de comptes et de poursuites judiciaires.

Que se sont-ils dit après cette longue séparation au cours de laquelle l’ex-chef du gouvernement a même séjourné en prison sous l’accusation de malversations financières, de juillet 2005 à février 2006 ? Une seule certitude : il ressort de leur conclave un pacte de non-agression. Pendant la campagne électorale qui s’ensuit, Seck ménage Wade qui lui rend la pareille. Jusqu’à ce que Gorgui, en meeting à Thiès, le fief de Ngorsi, prononce un discours à charge contre lui. Le 21 février, le cortège du leader de Rewmi est attaqué à Dakar par les sbires du marabout Cheikh Béthio Thioune, soutien notoire du chef de l’État sortant. Le lendemain, Seck réagit violemment contre son ex-mentor, indiquant au passage qu’il voterait contre lui en cas de second tour.
La messe est dite dès le premier tour et, au cours de la conférence de presse organisée au lendemain de sa victoire, Wade prend à parti Seck qu’il accuse d’avoir détourné et placé 40 milliards de F CFA (61 millions d’euros) sur un compte-trust domicilié dans le cabinet d’un avocat américain. Un véritable réquisitoire qui relance la controverse et consacre ce que le Tout-Dakar perçoit alors comme une rupture définitive entre les deux hommes.
Arrivé deuxième – un résultat honorable pour un premier essai -, le leader de Rewmi félicite le vainqueur, évite de polémiquer sur les accusations du chef de l’État et s’installe en France, où réside sa famille depuis début juillet 2005. « Si on est démocrate, on laisse celui qui a remporté l’élection gouverner. Le Sénégal ne peut pas être en éternelle campagne électorale », confie-t-il à ses proches pour justifier son éloignement.
« Raisonné » par certains de ses amis, Wade réalise la maladresse de ses propos. De source proche de son entourage, il s’en veut même quelque peu d’avoir raté une occasion de réconciliation en or. Il décide de se garder de toute attaque contre son ex-Premier ministre et invite ses porte-flingue du Palais à en faire autant. Et va même plus loin devant les bonnes dispositions de son ex-protégé à « coopérer ». Sorti épuisé de l’épreuve de la présidentielle, embarqué par le reste de l’opposition dans le boycottage des législatives, Seck n’a pas tellement le choix. D’autant que se profilent devant lui cinq années d’opposition qui s’annoncent longues. Et que des piliers de Rewmi, telle son égérie Awa Guèye Kébé, ne tardent pas à quitter le navire pour rejoindre Wade, sur les berges bien plus tranquilles du pouvoir

la suite après cette publicité

De son côté, le chef de l’État, secoué par le succès du mot d’ordre de boycottage des législatives du 3 juin (le taux de participation n’a pas atteint 35 %) lancé par l’opposition, entreprend de renforcer son camp pour mieux faire face aux assauts de ses adversaires réunis au sein du front Siggil Sénégal. Et ce alors qu’une lutte de succession, aussi impitoyable que prématurée, mine son camp, qui voit ses forces s’émietter. Un contexte plus que favorable pour tenter de renforcer la famille avec le retour dans la maison du « père » de son fils spirituel qui purge une disgrâce depuis plusieurs mois.
Après des échanges d’amabilités entre les deux hommes par l’intermédiaire d’amis communs, un émissaire du chef de l’État séjourne à plusieurs reprises à Paris pour prendre langue avec Seck. Ce n’est pas la première fois que le colonel Malick Cissé, très introduit au palais et bénéficiant de l’oreille de Wade, intervient entre Gorgui et Ngorsi. En janvier 2007, c’était lui, déjà, qui avait préparé jusqu’aux derniers détails leurs retrouvailles, avant de s’éclipser au profit du marabout Abdoul Aziz Sy Junior, afin de conférer un parrainage moral à la rencontre.
À partir de la mi-juin 2007, le colonel demande à Seck de revenir dans la maison du « père », le PDS, et s’entend répondre : « Je n’ai pas quitté le PDS de mon plein gré. J’en ai été exclu. Je n’ai posé depuis le début que des actes de légitime défense. Je ne pouvais rester inactif après avoir été chassé du parti, accusé de malversations, incarcéré Mais mon discours n’a jamais varié : je suis et demeure de la famille du PDS. Mon cadre naturel est la mouvance du Sopi [le changement, en wolof, credo du PDS, NDLR] que j’ai contribué à enraciner. »

Le principe du retour au bercail acquis, reste à définir le rôle des dirigeants de Rewmi dans le parti présidentiel. Si les proches de Seck assurent que celui-ci n’a pas demandé à occuper une position précise, le colonel, lui, précise à Wade : « Il n’y a que deux hypothèses possibles : soit Idrissa Seck joue un rôle institutionnel – dans ce cas, il ne peut être que vice-président, président du Sénat ou, à la rigueur, Premier ministre -, soit il se cantonne à un rôle politique – auquel cas il faudra lui trouver une fonction importante au sein de l’appareil du PDS. »
Mais il n’y a pas que Wade et Seck qui sont en cause. Le sort des proches de ce dernier, qui connaissent une dure traversée du désert pour délit de proximité avec le « fils » en disgrâce, n’est pas oublié. Le cas de Me Nafissatou Diop, notaire de l’ex-Premier ministre suspendue de ses fonctions le 8 mai pour avoir pris part à la polémique entre Wade et Seck, est réglé. Le 2 juillet, à la faveur d’une grâce présidentielle, elle est rétablie dans ses fonctions.
Un geste d’apaisement qui scelle le cessez-le-feu entre Gorgui et Ngorsi. Mais peut-être pas encore la paix. Leurs deux camps respectifs, qui s’entredéchirent depuis plusieurs mois, ne sont pas sans ressentiments ni défiance réciproque. Les réticences ne vont pas manquer. Idrissa Seck l’a compris. Les retrouvailles de janvier avaient suscité des tiraillements dans son propre camp et quelque peu brouillé son image lors de la présidentielle. Aussi a-t-il décidé cette fois, pour convaincre l’état-major de son parti, de le faire recevoir directement par Wade, le 25 juillet. Lequel aura, lui, assez à faire pour amener les plus remontés de son entourage ainsi que les proches de son fils Karim (réunis au sein d’une association dénommée Génération du concret) à accepter d’accueillir les « revenants ».

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires