Moussa Koussa

Négociateur clé dans l’affaire des infirmières bulgares, le patron des services spéciaux a incarné vingt ans durant la face sombre du régime libyen.

Publié le 30 juillet 2007 Lecture : 5 minutes.

« J’ai serré la main du diable », commentait le général canadien Roméo Dallaire, ancien patron des forces de l’ONU au Rwanda, à l’issue d’une rencontre avec le chef des génocidaires hutus de Kigali. Toutes proportions gardées, Claude Guéant, le très affable secrétaire général de l’Élysée, s’est peut-être fait la même réflexion ce jour de 2005 où il reçut pour la première fois dans son bureau le patron des services secrets libyens. Il était à l’époque directeur de cabinet du ministre de l’Intérieur Nicolas Sarkozy

On s’habitue à tout dans le monde cynique des réseaux parallèles. Depuis, Guéant et Moussa Koussa se sont parlé à de multiples reprises, négociant ensemble, à Paris puis à Tripoli, le dénouement de l’affaire des infirmières bulgares. Dire qu’ils sont devenus amis serait évidemment excessif, mais il existe désormais entre le Français et le Libyen une relation de travail, presque de confiance, identique à celle qui existe déjà entre ce dernier et ses collègues de la CIA et du MI6 britannique.
Car Moussa Koussa, 57 ans, n’est pas seulement chargé du dossier des infirmières. Depuis cinq ou six ans, il est au cur de toutes les tractations, revirements et autres abandons qui ont accompagné le retour de la Libye dans le concert des nations fréquentables. Après avoir, deux décennies durant, incarné la face sombre du régime Kadhafi, ce Tripolitain symbolise aujourd’hui l’ouverture. Seul un électron libre ne répondant qu’au « Guide » était en mesure de réussir une telle mutation

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Avec Abdallah Senoussi, responsable de la sécurité intérieure, et Béchir Salah, directeur de cabinet du colonel, Koussa est l’un des hommes clés de l’entourage (non familial) de Mouammar Kadhafi. Issu d’une famille modeste, boursier et titulaire d’un master’s degree de l’université américaine du Michigan (1978), il commence sa carrière dans les services spéciaux comme responsable de la sécurité des ambassades libyennes en Europe du Nord. À ce titre, il supervise la traque des « chiens errants » – les opposants en exil -, dont une demi-douzaine sont abattus entre 1979 et 1982.
Début 1980, Koussa monte en grade : il est nommé secrétaire du bureau de la Jamahiriya à Londres (en d’autres termes : ambassadeur). Pas pour longtemps. Le 12 juin de cette même année, sur les marches de la représentation libyenne à St James Square, il affirme sans ciller à des journalistes que les Comités révolutionnaires sont déterminés à poursuivre leur chasse meurtrière sur le sol britannique. Quatre jours plus tard, il est expulsé.
De retour à Tripoli, celui qui apparaît dès lors comme l’un des plus durs parmi les dirigeants des Comités poursuit la campagne d’éradication des « ennemis de la révolution ». Le parrain du clan radical est alors le commandant Abdessalam Jalloud, officieux numéro deux du régime. Avec Ahmed Kaddafedem, Sayed Rachid, Abdessalam Zedma et quelques autres, Koussa fait partie du directoire qui planifie et ordonne les opérations « homo ».

En 1984, il rejoint le Bureau pour la sécurité extérieure, le Mathaba, que dirige le colonel Younès Bilgasim. À charge pour lui de coordonner les mouvements de libération à travers le monde, particulièrement en Afrique. Alors hôtes assidus du régime de Tripoli, les opposants tchadiens, centrafricains, maliens, zaïrois, congolais et sud-africains font la connaissance de cet homme brillant, mais aussi cassant et distant, qui n’hésite pas à exiger des postulants qu’ils fassent leurs preuves concrètes (voire explosives) sur le terrain avant de leur accorder une aide financière.
Même si, a priori, son profil très « comité révolutionnaire » le rapproche davantage du clan Jalloud que des « modérés », dont le chef de file est alors Senoussi, Koussa n’accompagne pas l’ancien condisciple de Kadhafi dans la disgrâce. Ce solitaire n’a qu’un maître, le « Guide ». Il est en outre suffisamment habile pour se lier avec Ali Abou Chaaraya, le très influent frère de Safiya Kadhafi (l’épouse du colonel), responsable des opérations au sein du département des renseignements extérieurs.
En décembre 1988, puis en septembre 1989, le nom de Moussa Koussa est évoqué à propos des terribles attentats de Lockerbie et du Ténéré. Sans preuve, à ce jour, mais tout de même. Dans ses mémoires récemment parus, George Tenet, l’ancien patron de la CIA, n’hésite pas à écrire que, selon ses sources, Koussa a été « l’homme qui a planifié l’explosion du vol 103 de la PanAm ». Quant au juge français Jean-Louis Bruguière, il a émis contre lui une « note de recherche internationale » pour sa participation présumée à l’attentat contre le DC10 d’UTA. De très lourdes présomptions qui contraindront Koussa à la plus grande discrétion pendant des années, mais qui lui vaudront aussi de prendre du galon.

En novembre 1994, Kadhafi le nomme à la tête des services de sécurité et de renseignements extérieurs, poste qu’il occupe toujours aujourd’hui. Cette fonction de confiance et le passé chargé de Koussa font de lui l’homme idoine pour négocier le grand revirement libyen qui s’annonce. Le personnage pèse aussi lourd que son pedigree, et c’est justement pour cela que Kadhafi le choisit. C’est un fidèle d’entre les fidèles, et ses états de service plaident en faveur de sa crédibilité.
À partir du début de 1999, des réunions secrètes qui déboucheront à la fois sur le règlement de l’affaire de Lockerbie et sur l’abandon par la Libye de son programme d’armes de destruction massive ont lieu à Londres, puis à Genève et à Prague, entre Koussa et des agents de la CIA et du MI6. Le Libyen rencontre Martin Indyk, le « monsieur Maghreb/Moyen-Orient » de l’administration Clinton, puis son successeur auprès de George W. Bush, William Burns. Anglophone, policé, volontiers élégant, parfois charmeur, l’ancien chef des brigades de choc de la révolution devient peu à peu un interlocuteur fréquentable.

C’est lui qui, jusqu’en décembre 2003, pilotera les équipes d’agents spéciaux américains et britanniques venus en Libye évaluer, puis détruire, le stock d’armes chimiques et bactériologiques ainsi que les centrifugeuses acquises à grands frais par le colonel. Lui aussi qui « balancera » à la CIA – sur ordre de son chef – la liste complète des fournisseurs et intermédiaires de l’arsenal libyen. Dans cet exercice de déballage, comme lorsqu’il s’agissait de débusquer les « chiens errants », Moussa Koussa n’a jamais, pour autant qu’on sache, manifesté le moindre état d’âme. S’il a largement participé, en tant qu’interface, à la libération des infirmières et du médecin palestinien, il aurait tout aussi bien pu faire échouer les négociations si tel avait été le bon plaisir du prince.
Sa capacité d’adaptation et son aptitude à « sentir » les desiderata du colonel, et à les mettre en uvre, sont, dit-on, hors normes. Sans doute est-ce là la clé de sa survie et ce qui explique que, à l’instar de nombre de ses collègues européens et américains, Claude Guéant n’a pas hésité à lui serrer la main, encore moins à l’emmener, un certain jour de 2005, dans le bureau de Nicolas Sarkozy, pour évoquer ensemble le sort des otages de Benghazi

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