Le Sénégal éliminé du Mondial 2018 : fin de la parenthèse dans les universités
Dans les universités sénégalaises de Dakar et Saint-Louis, chahutées dernièrement par des crises estudiantines, le troisième et dernier match des Lions de la Teranga a été vécu entre passion, stress et désillusion. La parenthèse du Mondial se referme en laissant renaître les préoccupations.
Souleymane est complètement bloqué. La chaise sur la tête, les yeux perdus face à l’écran, l’étudiant ne réalise pas encore l’élimination des siens contre l’équipe de Colombie. « On mérite de passer, je suis très très triste », lance-t-il, dans un rire nerveux.
À l’université Gaston-Berger (UGB) de Saint-Louis, jeudi 28 juin, plus de 3 000 étudiants se sont massés face à l’écran géant posé au centre du campus pour le match des Lions. « Je n’ai jamais vu ça, confie Ousmane, son appareil photo à la main. C’est plein, c’est de la folie ! » Danses, musiques, vuvuzelas, une ambiance de stade de foot envahit les terrains de handball et de basket du campus. « Ça fait du bien, poursuit Ousmane. Il y a encore une semaine il n’y avait que des étrangers et quelques Sénégalais. La reprise et le Mondial, ça redonne un peu de vie au campus. »
« Une sorte de réconciliation »
Côté dakarois, à 250 kilomètres de là, les mêmes bouffées d’enthousiasme agitent l’université Cheikh Anta Diop (UCAD). Devant l’écran géant de la cité Claudel, habituellement réservée aux filles, il faut jouer des coudes pour trouver une place assise, un bout de marche ou de jardinière et espérer voir la rencontre. L’hymne sénégalais ramène un peu d’ordre avant que ne se lancent les chants d’encouragement en wolof.
Trois semaines après la fin des grèves étudiantes à Dakar, « le Mondial signe une sorte de réconciliation », avance Lamine Ndiaye, agent du Centre des œuvres universitaires de Dakar (Coud) et auto-proclamé chauffeur de salle avec son drapeau du Sénégal XXL qu’il brandit à tout-va pour animer le public. Durant plusieurs semaines, les manifestations, les affrontements avec la police, la mort d’un étudiant de l’UGB, puis la grève illimitée ont mis en branle la fac saint-louisienne et ses 14 000 élèves. Les étudiants de tout le pays ont suivi.
Les bourses, toujours au centre de la colère
Le 22 juin, la grève a été levée à Saint-Louis et depuis la fac revit peu à peu. « C’est bizarre, c’est une ambiance de début d’année », s’étonne Abdoulaye. « La tristesse diminue un peu, on fait avec », confie Khadim, dans une allusion à la mort de Fallou Sène, l’un de ses camarades qui avait perdu la vie en mai dernier, par balle, lors d’échauffourées avec les forces de l’ordre. Celles-ci étaient intervenues après la décision des étudiants de l’UGB de ne pas payer le restaurant universitaire de leur campus pour protester contre le retard de versement des bourses.
Quand le Mondial sera terminé, les problèmes des bourses ou des infrastructures saturées n’auront pas disparu
À Dakar, les mouvements étudiants ont pris fin le 29 mai, après une audience avec le président de la République Macky Sall. Signe de « l’entente retrouvée », selon l’agent du Coud, les restaurants universitaires de Dakar ont offert le déjeuner aux étudiants à l’occasion du dernier match de poule des Lions. Tout un symbole. « Les problèmes sont toujours les mêmes, tempère Djibi Sow, étudiant en médecine qui a fondé « Ucad infos » – une plateforme d’information sur la vie du campus -. Durant le Mondial, on fait comme si on les laissait un peu de côté, mais quand ce sera fini, les problèmes des bourses ou des infrastructures saturées n’auront pas disparu. »
Mais en ce jour de match, le déjeuner gratuit « aura au moins eu le mérite de ramener des garçons à Claudel », ironise Yacine, 20 ans, étudiante en gestion des ressources humaines. Durant les quarante-cinq premières minutes, le demi-cercle de béton du stade saint-louisien se remplit et les supporters se lèvent, crient et agitent leurs bras à chaque fait de jeu marquant. « Je ne suis pas d’un naturel pessimiste, tempère Ousmane, mais je n’y crois pas. » Très vite pourtant, Sadio Mané s’écroule dans la surface de réparation. Scène de liesse, les étudiants courent, agitent leur drapeau et leur chaise, pensant au penalty. Émotion de courte durée après le ralenti vidéo, le jeu continue. Jusqu’à la mi-temps, moment auquel les Lions sont virtuellement qualifiés.
J’adore regarder le foot, mais eux, les footballeurs, ils ont réussi. Nous on galère vraiment
Ambiance tendue
À la pause, Aïssata quitte le cœur du campus pour prier dans sa chambre. « On est quatre ici », dit-elle en montrant les matelas et sa chambre de 10 mètres carrés. « J’adore regarder le foot, mais eux, les footballeurs, ils ont réussi, c’est bon pour eux. Les études c’est plus important, ah ça oui ! Nous on galère vraiment. Je n’ai pas eu de bourse depuis avril », explique-t-elle avant de prier. « On pense à la Coupe du monde mais les examens commencent à me stresser, confie un peu plus loin Bakary, en deuxième année. Dans le programme on en est qu’au premier trimestre ».
Sur le grand campus de l’UCAD, l’ambiance n’est pas moins tendue. « Pour l’instant le Sénégal est qualifié, mais pas d’emballement avant la fin du match », glisse un étudiant qui a réussi à se trouver une place assise devant l’écran. Tous n’ont pas eu cette chance. À une centaine de mètres de l’écran, certains suivent le match à la radio, ou sur leur smartphone, faute de visibilité. Tout autour, des dizaines de jeunes sont agglutinés aux fenêtres des dortoirs. D’autres ont pris position sur les rebords, les pieds ballants dans le vide.
Du monde, mais peu de bruit à Dakar, où la foule plisse le front tant la pression est forte
L’esplanade du campus donne la mesure de la saturation de l’université. « On pourrait croire qu’il y a du monde là, mais beaucoup d’étudiants sont partis voir le match chez eux, dans des bars ou place de la Nation, parfois on n’arrive même pas à circuler », explique Djibi Sow. Du monde, mais peu de bruit à Dakar, où la foule plisse le front tant la pression est forte. Le moment est historique pour cette génération trop jeune pour avoir vécu pleinement la ferveur de 2002. Ici, pas de vuvuzelas pour couvrir le grésillement des enceintes.
59e minute, le commentateur du match annonce le but polonais contre le Japon, match qui se déroule au même moment et dont dépend la qualification du Sénégal pour les phases finales. Joie immense dans la foule, qui applaudit et souffle un peu. Mais quinze minutes plus tard, le défenseur colombien Mina place sa tête piquée sur corner. Stupeur générale. Le Sénégal passe de la première à la troisième place.
Le dernier quart d’heure est étouffant. Aliou quitte la foule, se met à l’écart et fait les cent pas. « Ça va pas, ça va pas du tout », angoisse-t-il, son téléphone collé à sa bouche. Le temps passe. Quelques étudiants dépités se lèvent, reprennent leur chaise et s’en vont, avant même la fin du temps réglementaire.
Les joueurs vont retourner dans leur club, et nous à l’école
Dernier raté sénégalais, dernier mouvement de rage de la foule, puis le vide. En cinq minutes, les étudiants ont déserté. Les étudiantes rangent les chaises. D’autres ont la tête baissée, les yeux embués. « Allez, on n’a pas démérité mais c’est le foot, conclut Souleymane. Chacun reprend ses activités, les joueurs vont retourner dans leur club, et nous à l’école. »
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