« Les armateurs ont besoin d’infrastructures performantes »

Le numéro deux de CMA-CGM détaille la stratégie de son groupe en Afrique et les défis que doit relever le continent dans ce domaine.

Publié le 30 juillet 2007 Lecture : 6 minutes.

Après le rachat de Delmas et de la Comanav (Compagnie marocaine de navigation) et avec son implication à Tanger, CMA-CGM est l’un des deux acteurs majeurs du transport maritime en Afrique. Créé par Jacques R. Saadé, le groupe français, basé à Marseille, réalise un chiffre d’affaires de 8,4 milliards de dollars.

Jeune Afrique : Le groupe émirati DP World a remporté la concession du terminal à conteneurs du Port de Dakar, au détriment du consortium formé par le groupe Bolloré et vous-même. Est-ce un échec ?
Alain Wils : En tant qu’armateur, nous avons besoin d’infrastructures performantes en termes de qualité de service, de coûts, de capacité d’accueil, notamment pour la nouvelle flotte que nous allons mettre en service à l’horizon 2009-2010 sur l’Afrique. Et nous nous réjouissons donc qu’un port comme celui de Dakar puisse enfin offrir des facilités qui soient en phase avec notre stratégie de développement. Ensuite, en tant que client important du Port de Dakar avec la volonté d’en faire un port de transbordement pour la sous-région, il est vrai que nous aurions souhaité être impliqués en tant que partenaire dans son développement. Non pas pour avoir le contrôle complet de l’outil, mais pour avoir un droit de regard sur l’organisation, les investissements, la tarification, de façon à s’assurer que la politique du terminal est compatible avec notre stratégie maritime sur le long terme.

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Comptez-vous contester la concession ?
Non, pas du tout. Nous l’avons dit clairement au groupe Bolloré.

Dakar est-il un port stratégique ?
Un port de transbordement est un choix logistique sur le long terme. Il est donc important de faire le bon choix. Dakar offre une localisation stratégique. C’est pour cela que nous avions décidé de répondre à l’appel d’offres avec le groupe Bolloré. Le résultat n’a pas été celui que nous espérions, mais peut-être le dossier peut-il évoluer. On peut se demander s’il serait judicieux d’exclure du capital du terminal les armateurs qui peuvent être des partenaires à long terme, moteurs de la croissance de l’activité. En tout cas, nous restons prêts à participer au développement du Port de Dakar.
Quels autres ports pourraient vous intéresser ?
Il y a deux catégories de ports : ceux qui sont dédiés à l’importation et à l’exportation et qui, en raison de leurs contraintes nautiques actuelles, n’ont pas vocation à être des ports de transbordement. Il en va ainsi des ports de Matadi, de Luanda, voire de Lagos. Et il y a les ports de transbordement, qui, par leurs caractéristiques, notamment leurs profondeurs d’eau et l’espace qu’ils pourront offrir, leur permettront d’accueillir les grands navires. Ces ports constitueront les plaques tournantes de nos lignes maritimes, et il nous paraît essentiel d’y être impliqués en tant que partenaires. Dakar est clairement au carrefour de l’Afrique, de l’Europe et de l’Amérique du Sud. Il y a aussi le Port d’Abidjan. Nous travaillons également sur un projet à Lomé, qui a vocation à devenir un port de transbordement. Pointe-Noire présente également de telles capacités. Et il y a peut-être d’autres sites à créer : des projets existent en ce sens, mais il est prématuré d’en parler. Toutefois, tous ces ports ne pourront voir le jour. Ce sont les deux ou trois premiers projets qui se matérialiseront qui auront la meilleure chance de réussir sur le plan économique.

De quoi souffrent les ports africains ?
De nombreux ports africains sont saturés, faute d’infrastructures. Il y a aussi des problèmes d’organisation et d’équipements. Ces ports n’offrent donc pas les cadences souhaitées par les armateurs.

Et les liaisons terrestres ?
Ce sont également des infrastructures vitales, qui doivent être en bon état. Il faut des corridors organisés, reliés à des ports qui fonctionnent. Des efforts ont déjà été faits, mais je pense qu’il faut aller beaucoup plus loin. Je ne surprendrai personne en évoquant les difficultés qui existent pour transférer des conteneurs de Pointe-Noire à Brazzaville et vers la République centrafricaine, ou des aléas d’exploitation qui persistent sur le chemin de fer Matadi-Kinshasa. Ces deux axes sont pourtant vitaux.

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Quelle est la stratégie d’un groupe comme CMA-CGM en Afrique subsaharienne ?
Le potentiel de croissance en Afrique est évident. Elle souffre en revanche d’un déficit considérable dans le domaine du transport et de la logistique. CMA-CGM veut être l’un des acteurs principaux du développement logistique de l’Afrique dans les années à venir en tant que transporteur maritime, mais aussi en participant à la modernisation des infrastructures portuaires et au développement du fret ferroviaire, et pourquoi pas, via Comanav, notre nouvelle filiale marocaine, à des actions de codéveloppement régional Sud-Sud, telles que la gestion des ferries régionaux. CMA-CGM a décidé de repenser sa stratégie maritime sur le continent : Jacques Saadé a confirmé la commande de dix navires de 3 500 boîtes, qui seront l’épine dorsale de nos lignes entre l’Afrique et l’Asie. Ces navires auront un tirant d’eau de 12,5 mètres. En complément, nous avons commandé quatre grands RO/RO, qui restent indispensables pour assurer l’acheminement du fret roulant et du fret conventionnel qui ne supporte pas la conteneurisation.

Un an et demi après le rachat effectif de Delmas, quel bilan tirez-vous ?
Ce rachat est intervenu au bon moment dans la mesure où CMA-CGM cherchait à développer son activité sur le continent africain. Nous avions déjà ouvert une première ligne entre l’Asie et l’Afrique, mais il nous manquait incontestablement le savoir-faire spécifique de Delmas, sa flotte spécialisée et sa part de marché. CMA-CGM a apporté à Delmas des synergies avec son réseau mondial et sa stratégie d’investissement. Nous avons augmenté considérablement la capacité des lignes Afrique, et l’activité de Delmas s’est développée : sur les cinq premiers mois de 2007, les volumes transportés ont augmenté de plus de 20 % par rapport à la même période de 2006.

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Environ 40 % du commerce mondial de conteneurs passe chaque année par la Méditerranée. Cette zone manque-t-elle de ports ?
Sûrement. Tous les ports méditerranéens traditionnels sont plus ou moins saturés et devront investir dans de nouvelles infrastructures pour accueillir les navires du futur. C’est pour cela que nous avons investi à Malte, à Tanger et à Marseille-Fos.

Des projets existent aussi en Tunisie ou en Algérie
Le principal problème des armateurs en Algérie est l’engorgement du port d’Alger. Ce pays a un besoin urgent de développer ses infrastructures portuaires pour faire face à la croissance de son commerce extérieur. À ma connaissance, il y a également le projet de créer un grand port de transbordement.

Vous venez de racheter la Comanav. Êtes-vous intéressé par la privatisation d’autres sociétés au Maghreb ?
Oui, si des opportunités intéressantes se présentent, nous les étudierons.

Les armateurs, désormais opérateurs portuaires et ferroviaires, ont-ils vocation à être présents sur l’ensemble de la chaîne de transport ?
La stratégie du groupe est d’organiser ses opérations dans le port et au-delà, car un porte-conteneurs de 12 000 boîtes coûte plus de 150 millions de dollars, et il faut rentabiliser cet investissement en réduisant le séjour du navire au port et en accélérant l’entrée et la sortie des conteneurs. Ensuite, les clients nous demandent de plus en plus fréquemment de prendre en charge le transport de bout en bout. La solution est donc de créer des corridors où l’on peut massifier le fret entre un port performant et un grand marché intérieur. Nous avons créé à cet effet des partenariats avec des spécialistes (par exemple, Veolia en France et en Allemagne pour la traction ferroviaire) de façon à avoir le meilleur contrôle possible de la chaîne de transport et donc de la qualité du service.

La concentration dans le secteur va-t-elle se poursuivre ?
Il est difficile de faire des pronostics, mais il y a une logique à la poursuite de la consolidation du secteur dans la mesure où les investissements à réaliser par les armateurs sont de plus en plus importants. Il restera toujours des opérateurs de niche mais, sur les grands axes, où l’emploi de navires de 8 000 EVP à 12 000 EVP va devenir le standard, les investissements massifs à réaliser en navires, en conteneurs et en systèmes d’information ne seront pas à la portée des petits opérateurs, notamment en Afrique. D’ailleurs, les deux premiers opérateurs maritimes du continent représentent déjà plus de 50 % du marché.

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