Le pari nord-africain

Le Maroc vise une place de choix sur cet axe majeur du trafic mondial. L’Algérie et la Tunisie ne veulent pas être en reste.

Publié le 30 juillet 2007 Lecture : 5 minutes.

Le Maroc a pris une bonne longueur d’avance sur ses voisins méditerranéens. En ouvrant officiellement en juillet la première partie de son tout nouveau port, Tanger-Med, après deux années de travaux, le royaume a pris la place qu’il fallait prendre, à l’entrée occidentale de la Méditerranée, une mer qui voit passer chaque année environ 40 % du trafic mondial de conteneurs. Avec Port-Saïd, situé à l’autre extrémité de la Méditerranée, en Égypte, et Algésiras, situé juste en face de Tanger, en Espagne, Tanger-Med est venu fermer une zone où le volume de conteneurs pourrait croître de près de 10 % par an au cours de la prochaine décennie. Une manne d’autant plus importante que, pour l’essentiel, les ports méditerranéens du sud de l’Europe sont quasiment tous surchargés Pour saisir les enjeux, il suffit d’énumérer les principaux sites de la zone : au Nord, on trouve les plus gros. L’Espagne compte Algésiras, Valence et Barcelone. La France a Marseille. L’Italie a Gènes-La Spezia et Gioia Tauro, la Grèce a Le Pirée et la Turquie, Ambarli. À cela s’ajoute le port de Malte, devenu l’un des plus importants de la zone. Le sud de la Méditerranée, mis à part Port-Saïd, agrandi il y a un peu plus de deux ans, et, aujourd’hui, Tanger-Med, est plutôt démuni. D’où la déferlante à venir. Une vague de projets d’autant plus importante que nombre de ports du Nord sont des ports d’hinterland, dont la vocation principale est de servir l’intérieur du pays. C’est le cas notamment de Barcelone, de Gènes ou d’Athènes. Algésiras, à la pointe méridionale de l’Espagne, Gioia Tauro en Sicile, Malte, Tanger-Med ou Port-Saïd sont en revanche des ports de transbordement, dont la fonction essentielle est d’accueillir des bateaux arrivant, entre autres, d’Asie, de décharger leurs conteneurs et de les transférer dans un autre bateau à destination, par exemple l’Europe du Nord. Ici, l’enjeu est simple : il s’agit d’être positionné à un endroit stratégique sur une route fréquentée par le commerce mondial.
À ce titre, « l’Afrique du Nord est bien placée sur les axes du transport maritime mondial, explique Paul Tourret, directeur de l’Institut supérieur d’économie maritime. Elle peut récupérer les lignes qui vont de l’Asie à l’Europe du Nord, celles qui vont de l’Amérique du Sud à l’Europe et peut-être, demain, celles qui vont de l’Asie à l’Amérique du Nord. » Du coup, devant le succès annoncé de Tanger-Med, les autres pays de la zone, Libye exceptée, ont eux aussi sorti des cartons de grands projets pour accroître leurs possibilités en termes de conteneurs. L’Algérie met ainsi en avant ses projets dans le port d’Alger, avec une augmentation de la taille du site et du nombre de quais, ou d’Oran, qui souhaite étendre son terminal existant.

Mais le plus grand chantier pourrait bel et bien être celui de Djen-Djen, près de Jijel, à 350 kilomètres à l’est de la capitale. Le port, inauguré au début des années 1990, a pâti d’une décennie d’attentats terroristes et reste aujourd’hui largement sous-utilisé. Mais les autorités souhaiteraient en faire le principal port du pays et l’un des plus importants sur la rive sud de la Méditerranée pour le transbordement. 200 millions d’euros seraient nécessaires pour atteindre une capacité de 1,5 million d’EVP. Les Tunisiens, eux, ont développé un vaste programme de mise à niveau des ports existants, mais privilégient surtout le site d’Enfidha. Moyennant un investissement total d’environ 1,4 milliard d’euros, ce port – aujourd’hui inexistant – serait développé en plusieurs phases, allant de 2010 à 2030, avec un objectif final de 5,7 millions d’EVP traités. Plus de quinze fois les volumes actuellement traités dans l’ensemble du pays. « Le problème de ces projets tient essentiellement à leur financement, explique Bernard Francou, consultant en économie portuaire. L’autre problème, c’est que les ports de Djen-Djen et d’Enfidha risqueraient de se concurrencer, et je ne pense pas qu’il y ait de la place pour deux. » La course est donc lancée, reste à attirer les investisseurs privés. De ce côté, Alger semble susciter un vif intérêt de la part d’investisseurs émiratis, selon des informations parues dans la presse algérienne. La Tunisie, en revanche, pourrait pâtir sur ce projet d’un intérieur plus restreint. Mais tous deux devraient susciter également la convoitise des armements asiatiques, encore absents d’une zone nettement dominée par les trois européens MSC, Maersk et CMA-CGM. Ces trois armateurs ont étendu progressivement leur champ d’intervention au point de devenir des opérateurs portuaires. À titre d’exemple, Maersk contrôle Algésiras. Alors que CMA-CGM détient Marsaxlokk à Malte. Tous trois sont présents dans quasiment tous les grands projets portuaires de la zone. Mais il y a fort à parier que les armements asiatiques ou même l’émirati DP World tentent de leur damer le pion sur les prochains projets en Méditerranée.
Il n’en reste pas moins que l’une des clés du succès des nouveaux hubs nord-africains reposera aussi, et même pour beaucoup, sur l’infrastructure logistique associée. Le Maroc l’a fort bien compris, en ayant prévu le développement aux abords du port de près de 1 000 hectares de zone franche, dédiée aux activités logistiques, industrielles et commerciales. Avec une idée forte : attirer dans ces zones des industriels – notamment dans les secteurs automobile et électronique – qui délocaliseraient la production dans la zone franche de Tanger et pourraient l’envoyer aussitôt, grâce au port voisin, vers les zones d’assemblage ou de commercialisation, notamment en Europe. Grâce au port mais aussi grâce à d’autres infrastructures absolument indispensables, à savoir l’aéroport, le train et la route. Selon des chiffres divulgués par l’Agence Tanger-Méditerranée, 120 000 emplois directs et indirects seraient attendus autour du développement des zones franches de Tanger, cinq fois plus que ceux générés par la création du port lui-même. Tunis a donc très logiquement développé son projet de port à Enfidha en parallèle à d’autres, notamment celui de création dans la même zone d’un nouvel aéroport international ainsi que d’une zone d’activités économiques et logistiques limitrophe, sur 1 000 hectares. Au premier trimestre 2007, l’appel d’offres pour la réalisation de l’aéroport a été remporté par le groupe turc TAV Airports Holding.

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