[Tribune] Migrants et réfugiés : l’assourdissant silence des chefs d’État africains

D’origine indienne, Homi Bhabha, professeur de littérature à Harvard, avait déclaré que « la démographie du nouvel internationalisme est l’histoire de la migration postcoloniale », une analyse juste au vu de ce que le monde vit de manière accélérée.

Une embarcation de migrants et de réfugiés attend d’être secourue en mer Méditerranée, en février 2018 (image d’illustration). © Olmo Calvo/AP/SIPA

Une embarcation de migrants et de réfugiés attend d’être secourue en mer Méditerranée, en février 2018 (image d’illustration). © Olmo Calvo/AP/SIPA

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  • Benaouda Lebdai

    Benaouda Lebdai est professeur des universités et chroniqueur littéraire, spécialiste de littérature africaine.

Publié le 5 juillet 2018 Lecture : 4 minutes.

Les migrants qui traversent la Méditerranée pour fuir une Afrique de la désillusion se comptent par centaines de milliers. Certains d’entre eux ont récemment été secourus par l’Aquarius, le Lifeline, voire par la marine libyenne. Mais ils sont des milliers à y laisser la vie. Les jeunes émigrent à cause d’une gestion désastreuse des indépendances et d’une économie qui ne profite qu’aux oligarques.

Les écrivains africains, du Nord au Sud, furent les premiers à décrire ces drames humains. Des textes émouvants qui narrent l’exil, les longs chemins parcourus et la capacité d’adaptation de personnages en quête de liberté et d’une vie meilleure, en position de sujets actants qui brouillent les lignes, fissurent les lois administratives.

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Dans ces textes, les migrants ne sont plus seulement des « chiffres » mais des êtres humains. Les exilés subsahariens sont en posture revendicatrice d’un monde ouvert à tous, et le désir d’exil n’est rien d’autre qu’une critique acerbe des guerres fratricides africaines, des oligarchies, du rejet de la misère, du chômage, des fondamentalismes.

L’Algérien Boualem Sansal décrit l’afflux des « gens sans terre, les harraga, les brûleurs de route », ingénieux pour toujours trouver de nouveaux itinéraires, y compris des « circuits de contrebande tissés en Afrique saharienne et subsaharienne […] ». Yasmina Khadra place l’Afrique et cette question des migrants au centre de L’Équation africaine, où il aborde la question du banditisme et de l’intégrisme dans le Sahel avec force et colère, là où « la traite des otages est devenue une industrie ».

Dans Printemps, Rachid Boudjedra dénonce la guerre que subit le Mali, ces « hordes qui détruisent Tombouctou, les manuscrits de Tombouctou, les mosquées de Tombouctou, les mausolées de Tombouctou ». Cette turbulence terroriste est une tragédie pour les deux rives du Sahara.

Hamid Skif entre dans la psychologie des sans-papiers devenus parias, pestiférés…

Ces écrivains dénoncent aussi l’horreur du trafic des « clandestins », les passeurs qui monnayent leurs services à prix d’or. Hamid Skif décrit, dans La Géographie du danger, la solitude dans l’exil. Il entre dans la psychologie des sans-papiers devenus parias, pestiférés, avec leurs misères et leurs frustrations sexuelles.

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Le migrant redevient humain sous la plume du Marocain Mahi Binebine dans Cannibales, ou sous celle de Hicham Tahir dans Jaabouq, avec la bouleversante nouvelle « Mama Africa », qui révèle ainsi les raisons de sa migration : « Je me rendais bien compte que ça devenait plus qu’un choix, ou une envie. C’était une obligation, la vie me l’obligeait, me l’imposait, me l’exigeait. Quitter ma famille, mon village, mon pays, mon continent, ma vie. Ma vie ? Ma vie n’avait plus de raisons de se faire ici. »

Cette foisonnante littérature d’écrivains du nord du Sahara montre combien ils sont sensibles à la tragédie des exilés subsahariens. Ils les décrivent comme des « zombies » qui rejettent une Afrique sclérosée par des systèmes autoritaires qui ne laissent aucun espoir aux plus démunis. « On prend la mer comme on prend le maquis », analyse ainsi Kamel Daoud, qui dénonce le racisme et la bêtise humaine où qu’ils soient.

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Et c’est aussi un Algérien, le photographe Kays Djilali, qui a publié La Nuit sur la figure, un ouvrage bouleversant de portraits de migrants camerounais, ivoiriens, maliens ou nigérians, des visages en noir et blanc, des noms, des histoires que raconte Mustapha Benfodil.

Au-delà de la littérature, qui est un reflet de la perception des migrants en Afrique du Nord, il existe une autre réalité, celle des pays nord-africains, traditionnellement terres d’émigration, qui deviennent des terres d’immigration qui s’adaptent, des pays d’accueil ou de transit comme l’Algérie, la Tunisie et le Maroc, mais où un racisme préoccupant se développe.

Ces trois pays tentent d’endiguer cette immigration illégale, ce qui explique l’attrait pour la Libye, déstructurée depuis la chute de Kadhafi. Mais des images insoutenables de vente d’êtres humains dans ce pays ont circulé dans la presse et sur les télévisions du monde entier, un choc en ce début de XXIe siècle.

Des reportages sur les migrants ont même montré que certains États encouragent les candidats à l’exil afin d’éviter les possibles révoltes dans leur pays

L’Europe, et l’Italie en particulier, se ferme et ne reçoit que les naufragés, par humanité. L’Afrique du Nord et l’Europe, unies par la mer Méditerranée, se retrouvent dans une situation de culpabilité, et les débats sont vifs au sein de l’Union européenne, avec une forte pression sur l’Algérie et le Maroc, dont l’Europe souhaiterait faire un « cordon sanitaire ».

Cependant, le silence des chefs d’État des pays subsahariens d’où partent ces migrants est assourdissant. Ils ne semblent pas concernés par la détresse de leurs ressortissants, avec peu ou pas de réactions officielles. Des reportages sur les migrants ont même montré que certains États encouragent les candidats à l’exil afin d’éviter les possibles révoltes dans leur pays.

Les images des migrants avilis, de migrants qui meurent lors de la traversée du Sahara et de la Méditerranée ne semblent pas les déranger outre mesure, comme si les pays de transit et les pays d’accueil devenaient les seuls responsables d’une telle catastrophe humanitaire. Réaffirmer la responsabilité des gouvernants des pays d’où s’exilent ces femmes et ces hommes est donc une nécessité. La question devient politique.

Néanmoins, la réalité est qu’il n’y aura jamais d’immigration zéro. Le phénomène de flux migratoires est mondial, et chaque pays doit faire face à cette nouvelle réalité du Tout-Monde, comme l’avait qualifié Édouard Glissant.

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