Spectacle : le festival de Marseille rapproche les continents

En se focalisant sur la création africaine, la capitale du Sud de la France propose un événement globish, du 15 juin au 8 juillet, où les cultures dialoguent dans l’allégresse.

Le spectacle Kirina a été chorégraphié par Serge Aimé Coulibaly, assisté pour la partie musicale par Rokia Traoré. © Philippe Magoni

Le spectacle Kirina a été chorégraphié par Serge Aimé Coulibaly, assisté pour la partie musicale par Rokia Traoré. © Philippe Magoni

leo_pajon

Publié le 1 juillet 2018 Lecture : 4 minutes.

« Tu as vu, le public est très coloré ce soir ! » Une coquette, la cinquantaine, s’enthousiasme en jetant un œil sur la salle comble du Grand Plateau, sur le site de la Friche de la Belle de Mai, à Marseille. Ce 29 juin, les quelque 350 personnes présentes créent un large nuancier rendant compte de l’extraordinaire mixité de la population marseillaise. Et l’on devine derrière ces ados scotchés à leurs portables, cette maman qui porte une coiffe en wax, ce vieux couple de notables un peu guindés, que tous les âges, tous les milieux sociaux, toutes les communautés ou presque sont représentés pour assister au spectacle Kirina, chorégraphié par Serge Aimé Coulibaly, assisté pour la partie musicale par Rokia Traoré.

Billets à un euro

Ce n’est pas un hasard. Depuis qu’il a pris la direction du festival de Marseille, qui fête cette année son 23e anniversaire, Jan Goossens a pour ambition de mélanger les mondes. Notamment en mettant en place un système de billetterie très favorable aux plus fauchés. Un tarif « super réduit » (qui s’ajoute au tarif réduit), réservé au moins de 26 ans et aux bénéficiaires des minima sociaux, permet de voir la quasi totalité des spectacles en payant 10 euros l’entrée. Mieux, grâce à Arte, et à un intense travail mené avec les associations marseillaises, certaines personnes peuvent se voir attribuer des billets à un euro.

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Cette politique a évidemment un coût. Le festival, qui se déroule cette année du 15 juin au 8 juillet s’appuie sur un budget de quelque deux millions d’euros, financés en moitié par la ville de Marseille (assistée par le département, la région et l’État). Mais l’événement monstre (32 représentations dans 17 lieux différents de la ville) attire de plus en plus de monde. « Ils étaient 17000 spectateurs en 2016, 24000 en 2017, et la fréquentation des premiers spectacles laisse penser qu’ils seront encore plus nombreux cette année », confie-t-on au service communication du festival.

Certains acteurs culturels locaux regrettent que Marseille mise autant sur cet énorme chantier, au détriment de plus petites structures moins ou plus subventionnées du tout… Mais cette politique culturelle est au diapason de celle de nombreuses villes françaises (Lille, Nantes…) qui préfèrent investir beaucoup dans de grands projets médiatisés, que d’essaimer leurs soutiens.

Focus africain

C’est aussi la programmation qui permet le décloisonnement des publics et des cultures. « La réalité métissée, multiculturelle, de Marseille, est le point de départ de nos projets, souligne Jan Goossens. Il fallait s’ouvrir au monde, savoir aller au-delà de l’Occident, en invitant les suds, le Moyen-Orient, l’Asie, l’Amérique latine, sans succomber à l’exotisme. »

En réalité, un focus particulier est fait sur l’Afrique, avec des artistes venus su Sénégal, du Mali, de l’Égypte, du Congo Kinshasa, du Burkina Faso ou d’Algérie. Et un festival dans le festival, Massilia Afropea, du 19 au 24 juin a aussi valorisé les créateurs (et surtout créatrices) afrodescendants français.

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Felwine Sarr, l’auteur remarqué d’Afrotopia (éd. Philippe Rey), à qui Emmanuel Macron a confié l’étude de la restitution d’œuvres d’art aux pays africains, est notamment venu le 16 juin évoquer son dernier ouvrage « Habiter le monde » (éd Mémoire d’encrier), en questionnant les relations de domination au niveau international. « C’est un grand penseur d’aujourd’hui, juge Jan Goossens, Il ne se limite pas aux enjeux africains, mais il part de l’Afrique pour mener une réflexion sur l’universel. »

Le 23 juin, c’était Jupiter & Okwess, l’infatigable groupe congolais, qui se produisait dans la ville. Avec, là encore, un dialogue entre les cultures : Jupiter, qui a passé une partie de sa jeunesse en Allemagne de l’Est, mixe allègrement rock, transe, afrobeat et de multiples rythmes glanés dans tout le Congo Kinshasa.

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Mandingue universel

Après sa création autour de Fela (Kalakuta Republik) acclamée de Bâle à Ouagadougou, le chorégraphe burkinabé Serge Aimé Coulibaly a cherché pour sa part à créer une épopée universelle et intemporelle avec Kirina, en partant de cette bataille fondatrice de l’empire mandingue. Présenté les 29, 30 juin, 1er et 2 juillet au festival, le spectacle mêle danseurs professionnels africains, européens, américains, et une quarantaine d’amateurs marseillais.

Dans cette longue liste de créations métissées, il faut enfin citer Requiem pour L., d’Alain Platel et Fabrizio Cassol, très attendu, qui se jouera les 6, 7 et 8 juillet et qui ressuscite Mozart en réunissant 14 musiciens danseurs d’Afrique du Sud, des deux Congo et du Brésil. Cet opéra hors-norme est un mélange de liturgie chrétienne et de rituels africains, qui, par-delà les chants funèbres, cherche à exalter la vie.

À l’heure où l’Europe voit s’exacerber les crispations identitaires, ces efforts pour mélanger ont évidemment un sens politique. Jan Goossens révèle qu’en faisant sa programmation il a cherché à répondre à la question : « dans quel Marseille voulons-nous vivre les prochaines années ? » Il reste pour sa part convaincu, et nous avec, que c’est en s’ouvrant à l’autre que l’on se retrouve soi-même.

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