Castro le petit

Depuis la maladie de Fidel, c’est le peu charismatique Raúl qui se trouve propulsé sur le devant de la scène. Ex-stalinien converti au pragmatisme, il paraît tenté par le modèle de développement chinois. Et l’apaisement avec les États-Unis.

Publié le 30 juillet 2007 Lecture : 7 minutes.

Si ce n’est toi, c’est donc ton frère Le 31 juillet 2006, Carlos Valenciaga, le secrétaire personnel de Fidel Castro, annonce à la télévision cubaine que, le temps de se remettre d’une délicate opération chirurgicale, le chef de l’État confie les rênes du pouvoir à Raúl, son frère, premier secrétaire du Parti communiste et commandant en chef des forces armées.
Un an plus tard, pour montrer qu’il est toujours vivant, Fidel se manifeste encore épisodiquement (pas cependant lors de la Fête nationale, le 26 juillet), mais c’est Raúl qui dirige le pays. « Je l’ai choisi non parce qu’il est mon frère – tout le monde sait que nous haïssons le népotisme -, mais parce qu’il serait le seul à pouvoir me remplacer du jour au lendemain si je succombais à ce combat », affirmait Fidel, en juin 2006
Après plus de quarante ans dans l’ombre de son aîné, cet organisateur hors pair qu’est Raúl Castro est désormais en pleine lumière. Et les spéculations vont bon train. Sera-t-il celui qui remplacera définitivement l’inamovible Líder Máximo ? Et qui est réellement cet homme ? Un stalinien pur et dur responsable des pires exactions du régime ? Ou un pragmatique qui, le moment venu, tentera d’engager le dialogue avec le voisin américain et d’imposer un modèle de développement « à la chinoise » ? Pour sa part, l’intéressé juge que « Fidel est irremplaçable, à moins que nous ne le remplacions tous ensemble ». Lucide sur ce point, il sait qu’il est loin d’avoir le charisme, l’aura quasi mystique qui a permis à son frère de se maintenir si longtemps au pouvoir.

Né le 3 juin 1931 à Biran, dans le sud-est de Cuba, Raúl est le plus jeune des trois frères Castro. À en croire la rumeur, il ne serait pas le fils d’Ángel Castro, le patriarche du clan, mais celui d’un commandant du poste de garde de Biran, surnommé « le Chinois ».
Avec Fidel, il fait les 400 coups chez les jésuites du collège Dolores, à Santiago, et au collège de Belén, à La Havane. Étudiant en sciences sociales, c’est un élève moins brillant et tapageur que son aîné. Alors que ce dernier papillonne d’un mouvement étudiant à l’autre, Raúl rejoint les Jeunesses socialistes, affiliées au Partido socialista popular (PSP), une formation communiste d’obédience soviétique. En février 1953, il quitte l’île pour un voyage « initiatique » derrière le rideau de fer. Il visite la Roumanie, la Hongrie, la Tchécoslovaquie
De retour à Cuba, il participe sous les ordres de son frère à l’attaque manquée contre la caserne de la Moncada, le 26 juillet, ce qui lui vaut un séjour de vingt-deux mois en prison. Toujours dans le sillage de Fidel, il s’exile à México, où il prépare la piteuse (glorieuse, selon le régime) équipée du Granma, en décembre 1956, qui marque le véritable début de la guérilla. Agent de liaison avec Moscou, il aurait, dit-on, de concert avec Ernesto « Che » Guevara, fait découvrir le marxisme-léninisme à son aîné.
Pendant trois ans, les deux frères, réfugiés dans la Sierra Maestra, combattent côte à côte. Raúl, comme d’ailleurs le Che, se montre à l’occasion d’une brutalité inouïe. Dans un entretien avec l’hebdomadaire français L’Express, Brian Latell, un ancien membre de la CIA qui fut le responsable de la question cubaine, raconte : « Le jour où, en 1956, Fidel lui demanda d’exécuter un homme, Raúl le fit sans hésiter. [] La victime était un guérillero en herbe dont Fidel se méfiait. Raúl voulait démontrer à Fidel qu’il avait la trempe d’un chef. Ce fut son premier crime de sang, le premier d’une longue série. »

la suite après cette publicité

Élevé au grade de comandante en février 1958, il ouvre un second front contre l’armée de Batista dans les montagnes de la Sierra de Cristal, au nord de la province de Oriente. Même avec ses propres hommes, il peut se montrer sans pitié en matière de discipline. Dans Castro, l’infidèle, le journaliste français Serge Raffy raconte : « Dans la Sierra de Cristal, Raúl impose une justice expéditive digne des procès staliniens. Il met sur pied une minisociété qui ressemble de plus en plus aux kolkhozes soviétiques. Mais les médias ne s’intéressent qu’à Fidel ; Raúl, lui, n’est pas une bête de télévision : il garde ses effets de manche pour les tribunaux révolutionnaires dont il est le metteur en scène et l’acteur central, celui qui élimine impitoyablement les récalcitrants et, peu à peu, ceux qui pourraient le devenir. » Et il ajoute : « Raúl dirige un laboratoire du communisme de près d’un millier d’hommes, lève l’impôt révolutionnaire auprès des industriels de la canne à sucre, à l’instar d’un fermier général, et redistribue les terres de manière arbitraire. »*
En janvier 1959, quand les Barbudos entrent triomphalement dans La Havane, il se charge de la sale besogne et fait exécuter les prisonniers fidèles à Batista, d’abord de façon sommaire, puis après des parodies de procès, suscitant l’indignation d’une partie de la communauté internationale. La même année, il épouse Vilma Espín Guillois, diplômée du Massachusetts Institute of Technology (MIT) et combattante des premiers jours. Ensemble, ils auront trois filles, Deborah, Mariela et Nilsa. Vilma Espín, qui dénonça en 1992 les discriminations contre les homosexuels, est décédée le 18 juin dernier à La Havane, à l’âge de 77 ans.
Toujours dans l’ombre de l’infatigable tribun qu’est Fidel Castro, Raúl met les mains dans le cambouis – et dans le sang – pour huiler les rouages du « stalinisme tropical » qui se met en place à Cuba. C’est lui qui obtient de Khrouchtchev l’assistance militaire soviétique (en 1960) et transforme les « rebelles » en une armée aux effectifs pléthoriques pour un pays de 11 millions d’habitants. Lui aussi qui crée une police politique et, surtout, des services de renseignements d’une redoutable efficacité, qui étoufferont dans l’uf toutes les tentatives de putsch contre le régime et toutes les tentatives d’assassinat contre Fidel. Lui encore qui persécute les intellectuels et fait ouvrir des « Unités militaires d’aide à la production » où sont enfermés homosexuels, religieux et chômeurs. Lui, toujours lui, qui s’arroge un pouvoir immense sur l’économie en prenant le contrôle d’une bonne partie du secteur touristique.
Surnommé El Casquito (« le Petit Casque »), il ne se montre guère en public. On le dit dogmatique et stalinien, mais aussi plus pragmatique que son frère. « C’est à lui que Fidel doit toute l’architecture du système, explique Latell. [] Si nous étions au cinéma, je dirais que Fidel, génie créatif et visionnaire, est le metteur en scène de la Révolution, tandis que l’austère Raúl en est le producteur exécutif. »

Et aujourd’hui ? Indiscutablement, l’image de Raúl Castro est en train de changer. À 76 ans, se serait-il assagi ? On lui prête une capacité d’écoute et une réceptivité aux conseils bien supérieures à celles de son comandante de frère. Il serait par exemple le principal promoteur de l’assouplissement du régime après que l’URSS a cessé d’aider financièrement Cuba. Pour Tim Padgett et Dolly Mascarenas, du Time, « il se peut que Raúl ait dans son ADN politique davantage de perestroïka que Fidel ». À preuve ? Début décembre 2006, il s’est permis une incursion – sur le mode pacifique, de surcroît – dans le domaine réservé de son frère, les relations avec les États-Unis : « Je répète que nous sommes disposés à résoudre autour d’une table de négociations le différend prolongé entre nos deux pays, sur des principes d’égalité, de réciprocité, de non-ingérence et de respect mutuel. »

Selon Latell, « les deux frères ont, ces dernières années, interverti leurs rôles. Au début, en 1959, Raúl était le plus intransigeant, le plus impitoyable, le plus antiaméricain. Aujourd’hui, c’est l’inverse. » À l’assouplissement politique, Raúl pourrait ajouter une bonne rasade de libéralisation économique. On le dit tenté par le modèle chinois ou vietnamien, accommodé à la sauce cubaine. En clair : davantage d’entreprises privées et d’investissements étrangers, favorisés dans un régime qui demeurerait autoritaire.
Pour mener à bien cette transition, Raúl pourrait gouverner de concert avec plusieurs proches de son frère. D’abord, l’économiste Carlos Lage Davila, secrétaire du Conseil des ministres et initiateur des réformes postsoviétiques, qui joue un rôle central dans l’approvisionnement de Cuba en pétrole vénézuélien. Ensuite, avec Felipe Pérez Roque, le très anti-américain ministre des Affaires étrangères : surnommé « Fax » pour sa dévotion sans faille à Fidel, il est la clé de voûte des relations sino-cubaines. Enfin, avec Ricardo Alarcón, président de l’Assemblée nationale et ancien ambassadeur aux Nations unies. Certains voient même entrer dans l’arène Fidelito, le propre fils de Fidel, autrefois responsable du programme nucléaire et désormais proche conseiller de son père.
Âgé et amoindri, dit-on, par une consommation d’alcool immodérée, Raúl pourrait donc s’ouvrir à la discussion. « Certains ont peur du mot divergence. Moi, je suis de ceux qui disent que plus on discute et plus on diverge, meilleures sont les décisions qui en sortent », déclarait-il récemment. S’il pense ce qu’il dit, alors Cuba pourrait vivre une autre révolution.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires