Un fantôme maghrébin

L’organisation régionale n’a jamais eu qu’une existence virtuelle. Elle ne parvient même pas à tenir un sommet des chefs d’État des pays membres !

Publié le 30 juin 2003 Lecture : 5 minutes.

Fondée dans l’euphorie le 17 février 1989 à Marrakech, l’Union du Maghreb arabe (UMA) ne cesse, depuis, de faire du surplace. Les responsables des cinq pays membres (Algérie, Libye, Maroc, Mauritanie, Tunisie) continuent certes de se rencontrer périodiquement et de développer une coopération bilatérale dans plusieurs domaines, mais ils ne semblent pas se préoccuper de l’avenir de l’organisation, dont le dernier sommet remonte à… 1994. Pour masquer leur incapacité à relancer le processus de construction régionale, ils ont souvent recours à des formules lénifiantes, du genre « il faut réunir les conditions du succès du prochain sommet » ou « la construction du Maghreb est une nécessité stratégique ».
En attendant la tenue d’un hypothétique sommet, la frontière terrestre entre le Maroc et l’Algérie reste « temporairement » fermée. Et les échanges commerciaux intermaghrébins ne dépassent guère 5 % du volume total du commerce extérieur des cinq pays membres. Lesquels continuent de se présenter en ordre dispersé dans les instances internationales.
Réunis les 3 et 4 janvier dernier à Alger, les chefs de la diplomatie des cinq pays s’étaient quittés sur la vague promesse de tenir un sommet des chefs d’État au mois de mars. Nous sommes à la fin juin, et rien n’a eu lieu, officiellement à cause de la guerre américaine en Irak, des derniers développements au Proche-Orient et des événements qui ont secoué la région : tremblement de terre en Algérie, attentats terroristes à Casablanca, tentative de coup d’État en Mauritanie…
Au siège de l’organisation, rue Zalagh, à Rabat, on avance une nouvelle date, aussi imprécise qu’improbable : « avant la fin de l’année ». Si tel était vraiment le cas, il faudrait donc que le sommet se réunisse avant l’élection présidentielle en Mauritanie, le 7 novembre. Soit en octobre, au plus tard. En visite le 20 mai à Tunis, où il a été reçu par le président Zine el-Abidine Ben Ali, Abdelaziz Belkhadem, le ministre algérien des Affaires étrangères, a pour sa part affirmé que la manifestation devrait se tenir avant le Forum euro-méditerranéen des 5 + 5 (Tunis, 5-6 décembre). Réponse marocaine : « Il ne revient pas à l’Algérie d’en décider seule. » Pis encore, Belkhadem ayant séjourné dans la capitale tunisienne en même temps que Mouammar Kadhafi, Rabat redoute, à tort sans doute, d’être victime d’une tentative de marginalisation. Ambiance.
Si les chefs d’État maghrébins ne parviennent pas à se réunir avant la fin de cette année, il est douteux qu’ils y parviennent avant fort longtemps. En tout cas, pas au cours de l’année 2004, qui sera marquée par deux rendez-vous majeurs : l’élection présidentielle en Algérie, en principe au mois d’avril, et les élections présidentielle et législatives en Tunisie, six mois plus tard.
En fait, l’UMA est, depuis sa création, victime du différend algéro-marocain sur le Sahara. Rabat estime en effet que le dossier est une question d’intégrité territoriale, et donc de sécurité nationale, et que son règlement constitue un préalable à toute action d’intégration régionale. Alger, à l’inverse, soutient qu’il n’a pas à être abordé dans le cadre de l’UMA, puisqu’il a été pris en charge par le Conseil de sécurité des Nations unies (même si celui-ci a le plus grand mal à organiser un référendum d’autodétermination dans le territoire). Les deux positions se défendent, mais elles sont inconciliables. Alors, tout en appelant sans trêve à la tenue d’un sommet en vue de relancer l’organisation, les autres membres évitent de s’exprimer ouvertement sur le fond du problème, de peur de s’aliéner l’une ou l’autre capitale.
Résultat : l’Union n’est pas en panne, puisqu’elle est en état de marche et peut à tout moment être relancée, elle est « sur cales », pour reprendre l’expression de feu Hassan II. Ou sur une voie de garage, ce qui revient au même.
Comment en sortir ? Les experts suggèrent une révision du traité fondateur de l’Union, celui de Marrakech, qui stipule que toutes les décisions doivent être prises à l’unanimité par le Conseil des chefs d’État. Cette disposition, qui revient à octroyer à chaque membre de l’Union un véritable droit de veto, bloque en effet le processus de prise de décision et doit impérativement être révisée. Par qui ? Ce ne peut être, en dernière instance, que par les chefs d’État, dans le cadre d’un sommet, dont, on l’a vu, les conditions ne sont pas encore réunies. D’ailleurs, même si une telle réunion avait lieu dans les semaines ou les mois à venir, rien ne prouve que les chefs d’État soient disposés à renoncer à la règle de l’unanimité.
Habib Boularès, le secrétaire général de l’organisation, qui a succédé le 26 février 2002 à son compatriote Mohamed Amamou (1994-2002), se montre un peu désabusé : « Nous construisons des châteaux de sable en espérant qu’ils puissent servir un jour, mais sachant fort bien qu’ils peuvent s’effondrer à tout moment. » L’ancien président du Parlement tunisien évoque quand même un certain nombre de projets que, vaille que vaille, l’organisation est parvenue à faire avancer, ne serait-ce que sur le plan des études et du démarchage des bailleurs de fonds : l’autoroute maghrébine qui devrait relier un jour Nouakchott à Syrte (7 400 km), le train à grande vitesse maghrébin (TGVM), l’interconnexion des réseaux électriques des pays de la sous-région, la Banque maghrébine d’investissement et du commerce extérieur (BMICE), dont la convention a déjà été ratifiée… Boularès, dont le mandat s’achèvera dans un an et demi, s’efforce, pour l’heure, de réunir un Conseil des hommes d’affaires maghrébins, dans le but de développer des synergies entre les opérateurs privés et d’accélérer l’intégration économique régionale. Mais il sait mieux que personne que sa marge de manoeuvre est très étroite : « Actuellement, l’UMA n’est pas une organisation, mais un simple relais, dit-il. Selon le traité de Marrakech, seuls les chefs d’État ont le pouvoir de décider. Ils décident d’ailleurs de tout, même des questions purement techniques, et confient l’exécution des décisions, après ratification des Parlements, à leurs gouvernements respectifs. Le rôle de l’organisation se résume donc à celui d’un comité de suivi. » La lenteur et la complexité de ce mécanisme constituent un obstacle difficilement surmontable. Que faire ?
Le secrétariat général a demandé à un groupe d’experts de plancher sur une refonte totale du mode de fonctionnement de l’organisation. La réforme proposée concerne notamment la définition de l’autorité de la décision, le classement des décisions et les moyens d’action mis à la disposition du secrétaire général. Elle a été soumise aux États membres pour examen, mais n’a encore fait l’objet d’aucune décision.

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