Trichet : la voie est libre

Blanchi dans l’affaire du Crédit Lyonnais, l’actuel gouverneur de la Banque de France devrait réaliser son voeu le plus cher : devenir le président de la Banque centrale.

Publié le 30 juin 2003 Lecture : 6 minutes.

Avant la fin de l’année, Jean-Claude Trichet, gouverneur de la Banque de France, devrait réaliser son voeu le plus cher : devenir le président de la Banque centrale européenne (BCE) à la place du néerlandais Wim Duisenberg. L’ultime obstacle judiciaire a été levé, le 18 juin, par le tribunal correctionnel de Paris, qui l’a relaxé des accusations de « complicité de présentation de comptes inexacts et de diffusion d’informations fausses ou trompeuses » dans l’affaire du Crédit Lyonnais. Et qui n’a pas accédé à la demande du procureur de la République d’une peine de dix mois d’emprisonnement avec sursis. L’Élysée a fait aussitôt savoir que « monsieur Trichet est le candidat de la France » à la BCE. Une annonce applaudie par les Premiers ministres belge, luxembourgeois, néerlandais et allemand, des gouvernements grec et finlandais, sans oublier l’approbation du président de la Commission de Bruxelles. Une consécration pour l’un des pères de l’euro.
Jean-Claude Trichet est un surdoué. Son père breton et normalien lui montre la voie de l’entêtement dans l’excellence. Il naît à Lyon en 1942 et suit le parcours du haut fonctionnaire modèle : École des mines de Nancy (où il s’inscrit au Parti socialiste unifié), École nationale d’administration (où il reçoit le surnom de « Justix » en raison de son sens de la mesure), Inspection des finances (où il découvre la primauté de l’économie de marché).
Il gravit les échelons et y acquiert expérience et carnet d’adresses. En 1976, il dirige le Ciasi, sorte de Samu pour les entreprises en difficulté (Lip, Boussac, Manufrance, etc.). Il n’en sort pas du tout partisan des nationalisations. En 1978, il conseille, à l’Élysée, Valéry Giscard d’Estaing dans les domaines de l’énergie et de l’industrie. En 1981, la victoire de la gauche le renvoie dans une sous-direction internationale du Trésor qui lui fait parcourir le monde ; il préside le Club de Paris, qui traite de la dette des pays en développement.
Il sert successivement la droite en devenant le directeur du cabinet d’Édouard Balladur, ministre de l’Économie en 1986, puis la gauche avec Pierre Bérégovoy, ministre de l’Économie, comme directeur du Trésor. Il est nommé, en 1993, gouverneur de la Banque de France. C’est là qu’il se muera en défenseur impavide de la monnaie, du franc « fort » d’abord, puis de l’euro, dont il sera un des plus ardents défenseurs. Il se rallie à la doctrine de la « désinflation compétitive » : les pays qui se développent le plus vite sont ceux qui obtiennent les taux d’intérêt les plus bas, et, pour cela, ils doivent avoir une monnaie crédible, donc une inflation faible et une politique de change stable. Cette stratégie a une conséquence spectaculaire : Jean-Claude Trichet colle le franc au mark allemand jusqu’à adopter des taux d’intérêt élevés, particulièrement mal venus dans la période d’étouffement économique du milieu des années quatre-vingt-dix.
Il y gagne une réputation exécrable et se voit affublé du surnom d’« ayatollah du franc fort » ou de « parangon de la pensée unique ». Il exaspère les hommes politiques de tous bords qui s’inquiètent des taux d’intérêts élevés qui empêchent la reprise économique. « La baisse des taux ne se décrète pas : elle se mérite », leur répond-il. En 1995, Philippe Séguin, président RPR de l’Assemblée nationale, se fait applaudir par vingt mille jeunes gaullistes en déclarant : « Il n’est pas de gnome [appellation péjorative désignant les parasites financiers internationaux, NDLR] qu’à Zurich ou à Londres. » Le candidat à la présidence de la République Jacques Chirac s’énerve contre le gouverneur de la Banque de France, qui n’est pas là « pour indiquer au gouvernement quelle est la politique qu’il doit mener ». Il exaspère le secrétaire d’État au Budget, Nicolas Sarkozy, par ses critiques contre les déficits budgétaires. Il déplaît tout autant à la gauche revenue au pouvoir en 1997, en critiquant le projet de réduction de la durée hebdomadaire du travail à 35 heures qui dégradera, dit-il, la compétitivité de la France, donc sa monnaie.
Et il gagne. La gauche et la droite se rallient, l’une après l’autre, à la rigueur qu’il préconise. Juppé ou Jospin s’efforcent de respecter les critères dits « de Maastricht » en matière de dette et de déficits. L’inflation est terrassée. Le franc est solide et prépare l’avènement d’un euro qui ne le sera pas moins. La signature de la France est une des plus respectées dans le monde de la finance internationale. Jean-Claude Trichet a obtenu pour son pays cette confiance nécessaire à la croissance.
Deux qualités lui ont valu ce succès. La première est son sens de la diplomatie qui lui fait rechercher systématiquement le consensus, qu’il s’agisse d’éviter l’explosion du système monétaire européen en 1992 ou de réconcilier les frères ennemis de la BNP et de la Société générale en 2001. Cela lui a fait développer une langue de bois particulièrement efficace pour ne pas effrayer les marchés, mais qui passe mal dans les médias.
Son deuxième atout : la ténacité. Ces adversaires, eux, parlent d’entêtement. Son maître mot est « répéter ». Répéter au président de la République qu’on ne peut pas faire n’importe quoi avec le budget de l’État. Répéter à coups de graphiques que ce n’est pas sa politique monétaire qui a augmenté d’un million le nombre des chômeurs, mais les rigidités du marché du travail et les déficits cumulés de la France. Répéter que la modération des revenus est la condition pour améliorer la compétitivité du pays, au contraire de Jacques Chirac pour qui « la feuille de paie n’est pas l’ennemi de l’emploi ».
Il adopte la même attitude, en 2000, lors de sa mise en examen dans l’affaire du Crédit Lyonnais. Aux magistrats qui l’accusaient de n’avoir pas su arrêter la dérive de la banque en tant que directeur du Trésor, à ceux qui disaient qu’il avait fermé les yeux sur les agissements du président du Lyonnais, il a répété inlassablement qu’« avec mes collègues, j’avais fait de mon mieux pour redresser une situation difficile ». Qu’il avait alerté Pierre Bérégovoy, devenu Premier ministre, qui ne l’avait pas écouté. Les juges ont été convaincus par cette pédagogie judiciaire comme Jacques Chirac l’avait été par son plaidoyer monétaire.
La Banque centrale européenne ne changera donc pas de cap. Le président de la BCE, Wim Duisenberg, a fait de la lutte contre l’inflation sa priorité comme les textes fondateurs de la Banque lui en font obligation. Avec Jean-Claude Trichet à sa tête, la BCE continuera à désespérer les marchés en refusant de baisser (ou de monter) les taux d’intérêt au gré des accélérations ou des ralentissements de la croissance. Parions que le débat continuera à faire rage, chez les économistes comme chez les hommes politiques européens, pour savoir s’il ne conviendrait pas de rapprocher les statuts de la BCE de ceux de la Réserve fédérale américaine, afin de l’obliger à se soucier autant de la croissance que du taux d’inflation. Surtout quand des risques de déflation sont annoncés de l’autre côté du Rhin… Mais la solidité de l’euro et l’absence de tempête monétaire en Europe depuis dix ans ont donné beaucoup de crédit à l’orthodoxie têtue incarnée par Jean-Claude Trichet. Celle-ci a encore de beaux jours devant elle.

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