Niger : le report du procès des activistes vise à « les garder en détention », selon leur avocat

La justice nigérienne a renvoyé au 10 juillet l’audience de quatre activistes, détenus depuis mars, qui dénonçaient la loi de finances 2018. Me Abdoussalam Cissé, un de leurs avocats, réagit.

Ali Idrissa est à la tête du Réseau des organisations pour la transparence et l’analyse budgétaire (Rotab) au Niger et membre du conseil d’administration de l’ONG Publiez ce que vous payez (PCQVP). © TAGAZA DJIBO POUR J.A.

Ali Idrissa est à la tête du Réseau des organisations pour la transparence et l’analyse budgétaire (Rotab) au Niger et membre du conseil d’administration de l’ONG Publiez ce que vous payez (PCQVP). © TAGAZA DJIBO POUR J.A.

Aïssatou Diallo.

Publié le 4 juillet 2018 Lecture : 5 minutes.

Prévue mardi 3 juillet, l’audience devant le tribunal de grande instance hors classe de Niamey d’une vingtaine de personnes arrêtées dans le cadre des manifestations contre la loi de finances 2018 qui ont secoué le Niger en début d’année, a été reportée au 10 juillet. Parmi les détenus, quatre grandes figures de la société civile nigérienne :  Ali Idrissa, coordinateur national du Réseau des organisations pour la transparence et l’analyse budgétaire (ROTAB) et de Publiez ce que vous payez-Niger (PCQVP), Moussa Tchangari, secrétaire général d’Alternative espaces citoyens (AEC), Nouhou Mahamadou Arzika, président du Mouvement patriotique pour une citoyenneté responsable (MPCR) et Lirwana Abdourahmane, avocat et membre du MPCR.

Arrêtés le 25 mars, ils ont inculpés deux jours plus tard pour « organisation et participation à une manifestation interdite », « complicité de violences », « agression » et « destruction de biens ». Maître Abdoussalam Cissé est membre du collectif d’avocats qui défend Ali Idrissa, tête d’affiche de ce procès, ainsi que les autres activistes co-accusés. Il nous livre sa version d’une affaire selon lui très politique.

Abdoussalam Cissé, un des avocats du collectif qui défend les activistes au Niger. © DR

Abdoussalam Cissé, un des avocats du collectif qui défend les activistes au Niger. © DR

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Jeune Afrique : Ali Idrissa est détenu à Filingué, à environ 150 km de Niamey. Il en est de même pour la vingtaine d’autres personnes arrêtées en même tant que lui, qui ont été envoyées à des centaines de kilomètres de Niamey… Est-ce une procédure habituelle ?

Abdoussalam Cissé : Ce sont des choses qui se font souvent chez nous, surtout lorsque les personnes en question sont très connues. Mais cela n’est pas légal. Normalement la loi prévoit que lorsqu’un juge met en détention une personne, elle la garde dans le ressort de sa juridiction. Ils devraient donc être incarcérés à Niamey.

Comment avez-vous accès à votre client ? Dans quel état de santé est-il ?

Ce n’est pas facile de le voir parce qu’en réalité Filingué n’est pas à 150 kilomètres mais à près de 200 kilomètres de Niamey. La route est en très mauvais état. Même avec un véhicule 4×4, il y a au minimum 4 heures de route à faire.

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Quant à son état de santé, il était très précaire il y a quelques mois. Nous avons d’ailleurs attiré l’attention des autorités là-dessus. Les choses se sont améliorées depuis. Il a le moral très haut et est prêt à se défendre.

Ali Idrissa était dans son rôle de leader de la société civile

Inculpé pour « organisation et participation à une manifestation interdite » et « complicité de destruction de biens », Ali Idrissa est régulièrement taxé par le gouvernement d’être un « opposant déguisé en militant de la société civile »…

C’est l’argument qu’utilisent les responsables politiques lorsqu’ils sont dans une situation désagréable. Toute la société civile était debout pour la cause que mon client défend : le retrait de la loi de finances. Il était dans son rôle de leader de la société civile et c’est à ce titre qu’il menait son combat pour le bien des populations. Je qualifie d’ailleurs cette loi de scélérate étant donné qu’elle contient plusieurs dispositions anti-sociales. Les populations en ressentent de plus en plus les effets dans leur quotidien. La facture d’électricité au Niger a aujourd’hui doublé.

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>>> À lire : Le match de la semaine : Mohamed Bazoum face à Ali Idrissa au Niger

Pour quel motif l’audience a-t-elle été reportée au 10 juillet ?

Le parquet qui a choisi la date de l’audience, qui nous a envoyé des avis de conseils pour nous en informer et qui a cité nos clients à comparaître, n’a pas été en mesure de prendre les dispositions nécessaires afin que ces derniers soient présents. Nous avons demandé au parquet la raison pour laquelle ils étaient absents et il nous a dit ne pas avoir de réponse. Cela ne s’explique pas ! Qu’on ne soit pas capables de les emmener au tribunal le jour de l’audience afin qu’ils répondent aux accusations qu’on leur porte… Ce qui est voulu, c’est de tout simplement continuer à garder nos clients en prison étant entendu que les charges portées sur eux ne sont pas réelles. Cela nous conforte dans notre thèse, à savoir que ce procès est fortement politique.

Nous avons mis au défi le pouvoir de démontrer que la notification d’interdiction de la marche existe

Mais la marche dont ils étaient co-organisateurs était interdite…

Lorsque vous êtes signataire d’une demande de manifestation, dans le cas où celle-ci est interdite, vous devez en être notifié. Nous avons mis au défi le pouvoir de démontrer que cette notification expliquant les raisons pour lesquelles la marche était interdite, existe. Ils ne l’ont pas fait.

Deuxièmement, les prévenus ont été arrêtés, alors que la marche n’avait même pas encore eu lieu. Moussa Tchangara a été arrêté devant son bureau. Lorsque Nouhou Arzika a appris la nouvelle de son arrestation imminente, il s’est rendu dans un cabinet d’avocat pour savoir les dispositions à prendre pour le faire libérer. C’est là-bas qu’il a à son tour été arrêté. La marche était prévue dans l’après midi. Plusieurs arrestations ont eu lieu dans la matinée. On ne peut donc pas reprocher à ces prévenus leur participation à une manifestation qui en réalité n’avait pas encore eu lieu.

Avez-vous des nouvelles des autres accusés, Moussa Tchangari, Nouhou Arzika et Lirwana Abdourahmane ?

Moussa Tchangari est détenu à Ouallam, à environ 100 km de Niamey, Nouhou Arzika à Tillabéry et Lirwana Abdourahmane à Daïkaina, à plus de 100 km de Niamey également. Nous sommes en contact permanent et communiquons avec eux, souvent par personnes interposées.

La FIDH dénonce un « acharnement » et Amnesty international parle de « détentions arbitraires »… Assistons-nous à une dérive en matière de respect des droits de l’Homme au Niger ?

Bien sûr qu’il y a violation des droits de l’homme au Niger. La procédure a été biaisée. Lorsqu’on s’est retrouvés devant le juge d’instruction, ils nous ont dit qu’ils avaient envoyé nos clients dans différentes prisons. Les mandats de dépôt décernés avaient été préparés avant même que le juge d’instruction ne les entende. C’est normal de parler d’acharnement.

De plus, le fait qu’on arrive à l’audience et qu’on ne puisse pas nous expliquer pourquoi nos clients ne sont pas là laisse penser qu’il y a quelque chose qui se cache derrière tout cela. La loi de finances qu’ils dénonçaient a été votée depuis longtemps. Nous nous dirigeons vers la fin de l’année. Une nouvelle loi sera votée. L’objectif des gouvernants, c’est de faire le maximum afin que les accusés restent en prison.

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