Ode au Liban compliqué

Le professeur d’archéologie Fady Stephan brosse un portrait mosaïque du pays du Cèdre.

Publié le 30 juin 2003 Lecture : 3 minutes.

On ouvre avec un peu d’appréhension ce (gros) livre d’un érudit, spécialiste des études savantes. Fady Stephan, né à Beyrouth en 1946, est professeur d’archéologie et de langues sémitiques à l’Université libanaise. Il a participé à plusieurs campagnes de fouilles, un peu partout. Il a traduit en français de nombreux textes araméens, syriaques, hébreux, phéniciens et puniques. Bref, Professeur, allez-vous nous assommer avec votre vaste savoir ? Allez-vous labourer les sillons de l’Histoire avec un araire pesant des tonnes ? Allez-vous discuter sans fin de l’emplacement d’une virgule dans le manuscrit d’un auteur oublié ?
Eh bien non. C’est même tout le contraire qui se produit. Nous avons rarement été aussi enchantés, c’est le mot, par un livre si touffu, si foisonnant et dont l’index – si index il y avait – se serait étalé sur plusieurs pages. C’est qu’on en croise des personnages, au fil des chapitres ! Ils sont des centaines à avoir lié leur nom à ce « berceau du monde » qu’est le Liban – l’expression est de Gérard de Nerval. Et les villes, Sidon, Byblos, Tripoli, Deir-el-Kamar – « le couvent de la Lune » – et, bien sûr, Beyrouth, ne sont pas des personnages de second rang. Cela donne des chapitres qui semblent n’avoir aucun lien entre eux mais finissent par former une mosaïque où le sublime se mêle au cocasse et le pittoresque à la désolation. Bref, je ne vais pas pouvoir éviter le mot « kaléidoscope » bien longtemps. Voilà, c’est dit : ce livre est un kaléidoscope. Et quel ! Chateaubriand et Lamartine, bien sûr. Ce dernier fut reçu en 1832 dans les appartements du prince des Druzes et du Liban, l’émir Béchir Chéhab. Nerval, déjà cité, vint y oublier ses crises nerveuses. Charles Nodier, Lucien de Samosate, Soliman le Magnifique, Isis cherchant la dépouille d’Osiris à Byblos, une nonne persécutée, quelques francs-maçons, l’émir Fakhreddine, allié de Cosme de Médicis, un certain « Ahmed le Boucher », esclave bosniaque, Bonaparte à Saint-Jean-d’Acre, le sixième calife fatimide, l’extraordinaire Al-Hakim, prince des Croyants, qui fut soit un génie mystique, soit un cinglé de première bourre (il fit interdire le chant, la mloukhia, une soupe de légumes, et les chaussures pour femmes) : tous sont convoqués ici. On entrevoit le vicomte de Marcellus et le baron Taylor. On croise aussi la grand-mère de l’auteur, étrangère énigmatique, arrivant d’Alexandrie à bord du bateau Le Champollion.
Dans la partie la plus personnelle de l’ouvrage, l’auteur évoque la famille catholique melkite il est né. Si les subtilités des dénominations religieuses libanaises vous ont toujours échappé, lisez avec attention ce chapitre. Vous y rencontrerez Maron l’ermite, dont la dépouille jugée miraculeuse fut portée par ses disciples jusqu’aux rives de l’Oronte. Vous saurez (presque) tout sur les mystérieux Druzes. Et sachez que les chrétiens qui vinrent à Amatour s’installèrent dans un quartier au-dessus du village druze. La tolérance ne fut pas l’apanage de la seule Andalousie…
En guise d’introduction, l’auteur commente une vieille eau-forte représentant un paysage libanais : « J’étais loin de croire que mon petit pays caché derrière un éventail de collines […] recelait tant de merveilleux. » Nous non plus ! Si j’étais le gouvernement de Beyrouth, je m’empresserais d’acquérir les droits du livre de Stephan, de l’imprimer à plusieurs millions d’exemplaires et de le glisser sous l’oreiller de tous les honnêtes hommes du monde. Quelle meilleure réclame pour le pays du Cèdre que ce dévoilement intime d’une Histoire aussi tourmentée que magnifique ?

Le Berceau du monde, Fady Stephan, Verticales/Le Seuil, 2003, 390 pp., 22 euros.

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