Les Lions ont perdu de leur mordant

Depuis son épopée du Mondial 2002, le onze national marque le pas. Sa qualification pour la Coupe d’Afrique 2004, obtenue au détriment d’adversaires aux moyens limités, n’a pas suffi à rassurer ses supporteurs.

Publié le 30 juin 2003 Lecture : 7 minutes.

La main « innocente » qui a tiré, pour les éliminatoires de la CAN 2004, le derby Gambie-Sénégal a failli provoquer une tragédie. Les décideurs de la Confédération africaine de football (CAF) n’ont en effet nullement mesuré les risques de confrontation fratricide et n’ont prévu, surtout après le match aller houleux qui a eu lieu le 30 mars à Banjul, aucun dispositif spécial pour prévenir les dérapages.
Les footballeurs gambiens et sénégalais se sont souvent affrontés sans incident à l’occasion du tournoi zonal de la Coupe Amilcar-Cabral ou de rencontres amicales, la logique sportive ayant toujours fait pencher la balance du côté sénégalais. Mais, cette fois-ci, pour les Scorpions de Gambie, le challenge était particulier : piquer les Lions de la Téranga encore auréolés de leur campagne du Mondial 2002 et leur faire mordre la poussière. Un défi fort honorable s’il s’était cantonné à une lutte sportive.
Las, le match nul obtenu à Banjul (0-0) par les Scorpions face à une équipe sénégalaise en petite forme allait exacerber les sentiments nationalistes. La Gambie décrétait ainsi, pour la rencontre retour fixée au 7 juin au stade Léopold-Sédar-Senghor à Dakar, la mobilisation générale. Après avoir organisé des collectes et réquisitionné une armée de féticheurs locaux et… sénégalais, elle envoyait au front ses « troupes », plus de huit mille supporteurs fanatisés.
Depuis leur exploit de la Coupe du monde 2002, les Lions ont perdu de leur mordant et traversé une zone de fortes turbulences. L’entraîneur fétiche, Bruno Metsu, alléché par les pétrodollars du club Al-Aïn, aux Émirats arabes unis, a rendu prématurément son tablier. Son poste est resté vacant de longs mois durant, l’un de ses adjoints, Abdoulaye Sarr, assurant toutefois l’intérim pour le match de la CAN 2004 Lesotho-Sénégal (0-1) disputé le 8 septembre à Maseru. Les « limiers » de la Fédération sénégalaise de football (FSF) ont fini par débusquer un autre « sorcier blanc » en la personne de Guy Stéphan, l’ancien adjoint du sélectionneur français Roger Lemerre – lequel s’est reclassé en Tunisie.
Le 25 janvier, à Dakar, l’ex-entraîneur de Lyon et de Bordeaux signait un contrat de trois ans (moyennant un salaire mensuel de 13 millions de F CFA payé par l’État, environ 20 000 euros) comme sélectionneur du Sénégal en présence du nouveau ministre des Sports Youssoupha Ndiaye et du président de la FSF El Hadj Malick Sy. Sa mission : qualifier le Sénégal pour la CAN 2004 et la lui faire gagner, obtenir un ticket pour le Mondial 2006 et atteindre les demi-finales, aider enfin l’équipe olympique à se qualifier pour les Jeux d’Athènes 2004 !
Guy Stéphan est l’antithèse de Bruno Metsu. Joueur professionnel, ce dernier a bourlingué en France et en Belgique et acquis une bonne expérience du terrain. Adepte du « laisser-faire », il est à la fois coach, copain et frère. Son management dérangeait. Par excès de proximité avec ses joueurs. Guy Stephan, lui, débute en Afrique. Il est réputé pour faire dans le footballistiquement correct. Le discours est didactique, la démarche prudente. « Nous avons eu, commente un journaliste dakarois, un défroqué à la tête des Lions. Il est remplacé par un jésuite. »
Le 12 février, au stade Charléty à Paris, le baptême de feu est particulièrement mouvementé pour le nouvel entraîneur des Lions. Son équipe affronte amicalement le Maroc. La rencontre se déroule dans une belle pagaille. Au terme d’une partie rugueuse, sans rythme, ni grand intérêt, le Sénégal peu entreprenant concède la défaite (0-1).
Le 30 mars, à Banjul, c’est une formation gambienne extrêmement motivée qui bouscule une formation sénégalaise diminuée et manque de la battre (0-0). Le 30 avril, les mondialistes sont invités à se mesurer à Tunis aux troupes de Roger Lemerre. Au stade du 7-Novembre de Radès, la vivacité et la mobilité des Tunisiens donnent le tournis à une pataude formation sénégalaise qui s’incline : 0-1.
Zéro but et deux défaites en trois matchs, les premiers pas du nouveau sélectionneur sèment le doute parmi les supporteurs sénégalais. Un sondage de Sentoo, le portail de la Sonatel (Société de télécommunications du Sénégal), publié le 20 mai, soit presque un an après la victoire face à l’équipe de France à Séoul (1-0), attribue les contre-performances des Lions à l’excès de confiance et au manque de motivation et n’omet pas de mettre en relief la responsabilité de l’encadrement technique. « Nous sommes montés tellement haut que nos supporteurs ne nous pardonneraient pas de redescendre aussi vite, déclare, lucide, l’avant-centre El Hadji Diouf. Notre mauvaise série est le résultat d’un certain laisser-aller général. Peut-être avons-nous cru un peu trop vite que nous étions devenus les plus forts du monde. »
En fait, au départ des errements de la sélection sénégalaise, il y a un problème d’effectif. Les héros du Mondial ont connu depuis juin 2002 de nombreux revers de fortune. Seuls El Hadji Diouf et Salif Diao ont bénéficié de transferts intéressants à Liverpool. Mais si le premier a fini par gagner une place de titulaire sur le couloir droit, le second a fait tapisserie. Tout comme les défenseurs Ferdinand Coly et Lamine Diatta ainsi que le gardien Tony Silva, réservistes dans leurs clubs. Se sont aussi trouvés sur le flanc pour blessures le colosse Pape Bouba Diop, le capitaine Aliou Cissé, les défenseurs Omar Daf et Habib Beye ainsi que l’attaquant Souleymane Camara. Khalilou Fadiga et Amdy Faye, pour leur part, ont régulièrement joué avec l’A.J. Auxerre. Idem pour Henri Camara à Sedan et Malick Diop à Lorient.
En fin de compte, trois Lions seulement ont évolué durant la saison 2002-2003 à un niveau élevé : Diouf, Fadiga et Faye. Comme l’a reconnu un technicien sénégalais, « les Lions ne sont pas au Real Madrid, à la Juventus de Turin ou à Arsenal ».
Et si certains d’entre eux se sont retrouvés blessés après le Mondial 2002, ce n’est pas un hasard. Comme le football de l’équipe du Sénégal s’apparente au « kick and rush », qu’il est très physique, de nombreux joueurs ont atteint le seuil de rupture et ont craqué parce qu’ils avaient trop donné en Asie.
Et quand le physique n’est pas au rendez-vous, les Lions ont du mal à faire prévaloir leur solidité et leur résistance dans les duels. Le tempérament combatif et le mental d’acier ne suffisent plus. Peut-être ces failles ont-elles été détectées par les Gambiens. Ce qui pourrait expliquer leur ambition de réussir l’exploit au match retour des éliminatoires de la CAN à Dakar.
Le samedi 7 juin, accéder au stade Senghor relève du parcours du combattant. Plus de 50 000 spectateurs (dont 8 000 supporteurs gambiens) s’entassent dans la confusion sur les gradins. Les Gambiens, débarqués la veille à Dakar, se plaignent de l’excès de zèle de la police et de la douane. Ils refusent de pénétrer dans les vestiaires et s’habillent dans les couloirs. Privés de leur capitaine Jatto Ceesay, suspendu, ils pénètrent sur la pelouse en brandissant le portrait du marabout… sénégalais Baye Niass et s’abstiennent de serrer la main de leurs hôtes. Visiblement, ils n’ont pas choisi de privilégier les arguments sportifs pour terrasser les Lions.
Neuf mondialistes titulaires sur onze sont alignés par Guy Stéphan, qui opte pour un dispositif en 5-3-2 (le demi Diao est placé en écran défensif, Diouf et Henri Camara jouent les francs-tireurs et Fadiga manoeuvre sur le flanc gauche). À peine six minutes de jeu et à la suite d’un coup de pied arrêté botté par Fadiga, Lamine Diatta reprend de la tête et envoie le ballon dans les filets : 1-0. La suite est moins brillante. Longues balles à profusion, lenteur d’exécution au milieu du terrain, erreurs de placement répétées des défenseurs latéraux. Camara, à droite, est très sollicité. Sur un service de Diouf, il tente une belle reprise de volée qui fait mouche : 2-0 (38e minute). Les supporteurs gambiens mécontents de la tournure des événements se déchaînent à la pause. Les projectiles pleuvent. La police parvient tant bien que mal à maîtriser l’échauffourée. Elle fait preuve d’un remarquable sang-froid et s’efforcera de protéger les Gambiens jusqu’à leur sortie du stade. Elle les escortera même, tard dans la nuit, jusqu’à la frontière.
Un but du Gambien Ebrima Sillah, oublié par les défenseurs sénégalais, replonge la foule dans l’inquiétude. Heureusement, une échappée de Diouf scelle le sort du match (3-1) que ne terminera pas Lamine Diatta, expulsé à juste titre pour avoir vengé son coéquipier Baye Kébé victime d’un tacle assassin.
La victoire donne lieu à d’indicibles débordements populaires. La troisième mi-temps sera désastreuse. Manifestations antisénégalaises à Banjul, émeutes, postes de douane, commerces et habitations incendiés, routes bloquées, frontières bouclées, couvre-feu, exode… Les autorités des deux pays jouent les pompiers et tentent de calmer le jeu. La guerre du foot est évitée, mais les rancoeurs et les ressentiments ont ressurgi.
Pratiquement qualifiés pour Tunisie 2004, les Sénégalais ne sont pas tout à fait rassurés avant d’aborder l’ultime obstacle face au modeste Lesotho. Guy Stéphan appelle à la mobilisation générale et avertit : « Le Lesotho ne sera pas facile à jouer. » Quarante cinq mille supporteurs sont au rendez-vous du 14 juin. Le final ne sera pas, hélas ! de toute beauté, malgré la large victoire (3-0) des locaux.
Le Sénégal décroche ainsi son billet pour la CAN 2004 à la grande joie d’un public qui a enterré momentanément ses doutes. La Gambie et le Lesotho, deux équipes aux moyens limités, n’auront toutefois pas permis d’étalonner le jeu des Lions 2003. Il est évident que ceux-ci n’ont pas plus convaincu à Dakar qu’à Tunis. L’euphorie du Mondial 2002 n’est plus qu’un souvenir. D’ici au coup d’envoi de la CAN 2004, Guy Stéphan devra redonner un nouvel état d’esprit à ses troupes. Et surtout de la fraîcheur physique.

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