Les fruits de la paix

Grâce à l’aide internationale et aux investissements étrangers, le pays maintient sa croissance. Reste à en répartir les bénéfices.

Publié le 30 juin 2003 Lecture : 6 minutes.

Le Mozambique est un pays schizophrène, tiraillé entre sa réputation de bon élève auprès des bailleurs de fonds internationaux et la misère dans laquelle est plongée la majorité de ses enfants. Infrastructures en miettes, moyens de communication anéantis, champs cultivables parsemés de mines… il est sorti exsangue d’une longue guerre civile (1976-1992) mais prêt à tout pour suivre les chemins plus calmes de la démocratie.
Avec l’apaisement politique, l’économie est repartie, affichant même une croissance à deux chiffres de 1996 à 1998. Après les inondations catastrophiques de 2000, qui ont, à nouveau, ruiné le pays, la situation semble rétablie. La croissance, de 12 % en 2002, devrait se maintenir aux environs de 8 % en 2003, et le déficit commercial ne représente plus que 14 % du Produit intérieur brut (PIB), contre 26 % en 1999. Forcément, quand on part de rien, on ne peut qu’avancer… Mais dans un pays défavorisé par les conditions climatiques (inondations ou sécheresse selon les régions et les années), disposant de peu de matières premières exploitables sur les marchés internationaux et de voies de communication en mauvais état, ces résultats, bien que médiocres par rapport au reste du monde, sont jugés encourageants par les bailleurs de fonds.
Car si le Mozambique, qui se classe 170e sur 173 au palmarès mondial du développement humain, parvient à redresser la barre, c’est qu’il est bien soutenu. Depuis la fin de la guerre civile, et surtout l’abandon des principes de l’économie marxiste, dès 1987, les aides internationales ont afflué au point de représenter aujourd’hui environ 50 % du budget de l’État. En outre, les Occidentaux ont effacé environ 4 milliards de dollars (4,4 milliards d’euros) de dettes publiques. Le Mozambique compte une cinquantaine de partenaires, au premier rang desquels les Scandinaves. La Suède, fidèle à sa tradition de soutien au Front de libération du Mozambique (Frelimo), parti aujourd’hui au pouvoir, est le pays ayant la plus grosse ambassade au Mozambique, et attire ses voisins du nord de l’Europe, jusqu’à… l’Islande !
L’aide accordée au Mozambique se double de nombreux investissements privés étrangers, principalement sud-africains (voir page 52). Plus de 1 200 entreprises ont déjà été privatisées entre 1989 et 1999. Aujourd’hui, c’est au tour des plus grosses structures d’entrer dans l’économie de marché, comme la société des chemins de fer (CFM) ou encore la société de distribution d’eau (détenue aujourd’hui à 73 % par Aguas de Portugal). La compagnie nationale de télécommunications (TDM, qui détient 74 % de mCel, le plus gros opérateur de téléphonie mobile) vient de lancer une étude de marché pour envisager sa privatisation. Même topo pour la compagnie aérienne nationale (LAM), qui cherche un partenaire intéressé par 51 % de ses parts d’ici à la fin 2003. Les ports, qui offrent une ouverture sur la mer aux pays enclavés de la sous-région, participent de ce mouvement. Une concession de quinze ans a été accordée, le 14 avril dernier, à un consortium mené par le britannique Mersey Docks & Harbour Company pour gérer les opérations du port de Maputo. Ce consortium prévoit d’investir 70 millions de dollars et de tripler la capacité du site en quinze ans.
Parallèlement, de grands projets d’infrastructure ont vu le jour depuis la fin des années quatre-vingt-dix. L’usine d’aluminium Mozal, achevée en 2000 à quelques kilomètres au nord de Maputo, est complètement opérationnelle. La matière première est importée d’Australie, transformée par Mozal et exportée en Europe. En 2001, l’aluminium représentait à lui seul 56 % des exportations du pays, loin devant les traditionnels crustacés et le coton. Forte de ses succès, l’usine s’est lancée dans une deuxième phase d’agrandissement qui devrait faire doubler sa production d’ici à 2004 pour atteindre 500 000 tonnes par an.
Si les idées et la volonté ne manquent pas, les difficultés restent nombreuses dans un pays où 70 % de la population vit en dessous du seuil de pauvreté et qui connaît un déséquilibre de développement criant entre la capitale et le reste du territoire. La dépendance à l’aide internationale est l’un des premiers maillons faibles du Mozambique. Ainsi, le programme de développement de l’agriculture (Proagri), l’un des plus importants fonds d’aide budgétaire du pays, pourrait éprouver de graves problèmes cette année. Les bailleurs s’en sont d’ailleurs inquiétés au début du mois de juin : depuis cinq ans, l’aide internationale est allouée au seul ministère des Finances, à charge pour lui de la redistribuer au ministère de l’Agriculture. Ce qu’apparemment il ne fait pas toujours. Résultat : presque un quart des 202 millions de dollars donnés par les bailleurs de fonds sur cette période n’a pas été dépensé. Pour éviter que Proagri ne périclite, ses partenaires devront se mettre d’accord d’ici au début de l’année 2004.
La principale raison du mauvais fonctionnement de cet ambitieux programme est à chercher dans la désorganisation du gouvernement. Une fonctionnaire du ministère au Plan explique d’ailleurs que « l’un des plus gros problèmes de cette administration, c’est l’absence de communication, tant horizontale que verticale ». Et la communauté internationale risque un jour de ne plus vouloir pallier les dysfonctionnements de tous ordres. « Les Mozambicains sont tellement habitués à recevoir que, quand on ne leur donne rien et qu’on essaie de faire marcher les choses par le secteur privé, il sont dépités », explique un hôtelier de Maputo. Le gouvernement en paie aujourd’hui les frais en se voyant refuser de nouvelles aides pour l’organisation du sommet de l’Union africaine, qui se tient début juillet à Maputo. « On ne peut pas sans cesse rallonger les budgets déjà alloués », explique l’un de ces bailleurs.
Le Mozambique ne sortira pas de la misère demain. Si le centre-ville de la capitale peut donner l’image d’une nation plutôt en bonne santé, les 80 % de la population qui vivent dans des zones rurales rappellent les dures réalités d’un pays qui repose essentiellement sur l’agriculture et dont les principales exportations (hors aluminium) dépendent des cours mondiaux, très fluctuants. Le revenu annuel moyen par habitant n’est que de 230 dollars (contre 2 900 dollars en Afrique du Sud, par exemple) ; l’espérance de vie pourrait tomber à 35,9 ans d’ici à 2010 en raison des ravages causés par le sida ; la monnaie nationale, le metical, perd chaque année entre 20 % et 30 % de sa valeur par rapport au dollar (1 dollar = 23 363 meticais). Coupé en trois corridors qui relient, chacun, les ports mozambicains aux pays voisins (Malawi/Zambie, Zimbabwe et Afrique du Sud), le pays ne s’en sort que grâce à son rôle de transit avec la mer. Mais les communications nationales sont rendues difficiles par le gigantesque fleuve Zambèze, qu’on ne peut aujourd’hui traverser que par bateau. Un large pont est en projet à Caia, au centre du pays, mais il nécessiterait de débloquer entre 60 millions et 80 millions de dollars, une somme que seules de grandes entreprises occidentales pourraient fournir.
Le territoire est si vaste qu’il faut trois heures pour aller en avion de Maputo, au Sud, à Pemba, à la frontière tanzanienne, et le billet coûte aussi cher qu’un Maputo-Lisbonne, l’une des seules liaisons directes avec l’Europe ! Comble du comble, les prévisions agricoles font état pour cette année de surplus dans le Nord, et de pénurie dans le Sud. Faute de moyens de communication efficaces, le Sud risque de faire, encore une fois, appel à l’aide internationale. Un espoir est pourtant permis. Si le pays réussit à moderniser ses infrastructures, le tourisme pourrait contribuer à son développement. Le nombre de visiteurs (environ 150 000 aujourd’hui) augmente chaque année de 10 %. Le sommet de l’Union africaine sera un bon test sur les capacités d’accueil de Maputo. Ne restera plus au Mozambique qu’à se faire connaître aux touristes en quête d’aventures et de plages idylliques.

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