Sénégal : Auchan accusé de nuire au petit commerce
Les commerçants dakarois, dont certains se sont regroupés dans le collectif « Auchan dégage », accusent la marque française de provoquer leur mort lente. Et des politiques se joignent à la contestation.
« Les clients font cruellement défaut, déplore Mohamed Moustapha Leye, propriétaire d’une échoppe alimentaire dans le marché dakarois de Castor. Difficile de savoir combien de temps on va tenir dans ces conditions. » Dans le viseur du commerçant : la marque Auchan, qui connaît une expansion rapide au Sénégal.
Au marché Castor, un collectif « Auchan dégage » a récemment vu le jour afin de dénoncer la voracité du groupe français. « Nous sommes prêts à nous battre, déclare Mohamed Moustapha Leye. Il en va de notre survie à tous. Même les mamans qui vendaient de petites choses au détail n’ont plus de clients. »
Une croissance insolente
Avec vingt supermarchés à Dakar, plus de 1 500 employés et des projets dans tout le pays, Auchan Sénégal connaît une croissance insolente depuis l’ouverture de son premier magasin dans la capitale, en 2015 – aidé en cela par la puissance financière du groupe appartenant à la richissime famille Mulliez. Au cœur de cette réussite, des prix très bas et une implantation à la fois dans les zones aisées et populaires de la capitale.
« Surtout, ils ont profité d’un cadre légal déficitaire pour occuper toutes les strates du commerce, estime Ousmane Sy Ndiaye, le directeur exécutif de l’Union nationale des commerçants et des industriels du Sénégal (UNACOI). Résultat : ils concurrencent tout le monde, même le marché traditionnel ! Quant à leurs prix si compétitifs, on peut se demander s’il ne s’agit pas d’un dumping destiné à acquérir un monopole de fait au Sénégal. »
Des conséquences sur l’emploi ?
À en croire Ousmane Sy Ndiaye, au moins 1 500 petits commerçants des marchés de la capitale feraient désormais face à des difficultés de remboursement vis-à-vis des banques. Sans parler de la situation des semi-grossistes et de leurs difficultés à se fournir chez les grossistes. « Auchan rafle tout », estime-t-il.
Aux yeux de ses détracteurs, la voracité d’Auchan pourrait s’avérer dramatique en termes d’emplois. D’après l’Agence nationale de la statistique et de la démographie, le tissu économique sénégalais est composé presque exclusivement d’entreprises informelles (97 %), avec une surreprésentation des activités de commerce (52 %). Au moindre choc, cette prévalence peut donc avoir des conséquences dramatiques sur le marché de l’emploi.
« On dérange »
« Grâce aux nombreuses ramifications industrielles potentielles, la grande distribution peut être aussi source de nombreux emplois, estime pour sa part Laurent Leclerc, directeur général d’Auchan Sénégal. On profite aussi beaucoup à l’économie sénégalaise, en payant la TVA, les divers impôts ainsi que les droits de douane. Cet argent peut aider à construire des écoles et des hôpitaux – ce que ne fait pas l’économie informelle. Si Auchan fait autant de bruit au Sénégal, c’est parce qu’on dérange en forgeant de nouvelles habitudes. Cela oblige les autres à s’adapter. »
Avec la perspective des élections prévues en février prochain, l’affaire Auchan Sénégal a forcément des résonances politiques. Candidat à l’élection présidentielle, l’ancien inspecteur des impôts Ousmane Sonko est ainsi parti en croisade contre les grandes surfaces au Sénégal. « Personnellement, je n’ai rien contre Auchan en particulier – et ma critique n’est pas animée un sentiment anti-français, explique-t-il à Jeune Afrique. Mais ces enseignes, qui n’emploient pas beaucoup de monde, risquent de détruire des milliers de jobs. Notre pays n’est pas prêt à affronter la mondialisation. Il faut pouvoir protéger nos entreprises avant de les livrer à la compétition internationale. »
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