L’angle mort du cinéma mondial

Notre ancienne collaboratrice Élisabeth Lequeret se penche sur le septième art en Afrique.

Publié le 30 juin 2003 Lecture : 3 minutes.

Ne serait-ce que parce qu’il est l’un des rares ouvrages récents sur le sujet, le livre sur le cinéma africain d’Élisabeth Lequeret aux éditions des Cahiers du cinéma est un outil précieux pour les passionnés du septième art. En Afrique comme ailleurs. Consacré au cinéma d’Afrique noire francophone, de loin le plus prolifique au sud du Sahara – mis à part les productions vidéo du Nigeria et du Ghana -, cet essai documenté et brillant n’incite pas le cinéphile à l’optimisme.
Cherchant des raisons d’espérer un renouveau du cinéma africain, qualifié d’« angle mort du cinéma mondial », l’auteur se félicite qu’on ait pu voir l’an dernier trois films d’Afrique noire au Festival de Cannes. Mais c’est oublier qu’aucun film du continent n’a concouru pour la Palme d’or depuis 1997. Et se contenter trop vite d’un relatif retour sur les écrans cannois des films d’Afrique noire qui n’a pas eu de lendemain. En 2003, seul Le Silence de la forêt, coréalisé par le Centrafricain Didier Ouénangaré et le Camerounais Bassek Ba Kobhio, représentait dans une section parallèle (La Quinzaine des réalisateurs) l’ensemble de la région.
Plus grave encore, la faiblesse permanente de la production – une centaine de longs-métrages depuis les indépendances – ne saurait permettre d’espérer l’émergence d’une activité cinématographique capable de rivaliser avec celle des autres continents. Ainsi, le plus connu des cinéastes d’Afrique noire, le Malien Souleymane Cissé, l’auteur de Finye et Yeleen, n’a plus tourné depuis huit ans. Quant au Sénégalais Djibrill Diop Mambéty, le plus talentueux peut-être, auquel on doit « ce sommet de poésie, de fantaisie et d’humour désespéré » intitulé Touki Bouki, il n’a réalisé en vingt-huit ans de carrière, avant sa disparition en 1998, que deux longs-métrages.
Dès l’origine, le cinéma d’Afrique noire s’est construit laborieusement, dans une relation souvent ambiguë avec la puissance coloniale, puis ex-coloniale. Il a fallu attendre 1955 pour que deux Africains puissent réaliser un film (un bref moyen-métrage de vingt et une minutes)… à condition de le tourner à Paris. Ces deux pionniers, les Sénégalais Paulin Vieyra et Mamadou Sarr, ont pu passer derrière la caméra pour montrer, grâce à l’appui du musée de l’Homme, « quelques aspects de la vie des Africains à Paris » dans Afrique-sur-Seine, où l’on « osait » défendre tout au plus les vertus du métissage et du partage des cultures. Et il a fallu patienter près de dix ans pour qu’en 1963, avec Borom Saret, un court-métrage néoréaliste de dix-neuf minutes, un autre Sénégalais, l’écrivain Sembène Ousmane, puisse réaliser le premier film africain tourné en Afrique. Une performance inédite qui précédait de plus de vingt ans les premiers succès internationaux de Cissé et du Burkinabè Idrissa Ouédraogo (Yaaba, Tilaï, etc.).
Chef de file, avec le Mauritanien Med Hondo et le Nigérien Oumarou Ganda, de la première génération des cinéastes africains, Sembène Ousmane défendait – et défend toujours, à plus de 80 ans – un cinéma engagé et militant. Les réalisateurs des générations suivantes, à l’exception de certains comme le Malien Cheick Oumar Sissoko, aborderont de façon moins directe le champ du combat politique, bien qu’une grande partie d’entre eux aient été formés dans le célèbre VGIK, la grande école de cinéma russe. Mais, comme le montre bien Élisabeth Lequeret, ces cinéastes ont privilégié une approche pédagogique, que ce soit pour évoquer la spécificité du lien entre l’être humain et son environnement, les efforts pour concilier tradition et modernité, les difficultés de l’existence et les conflits sociaux.
On ne peut pas pour autant parler d’« un » cinéma africain, qui aurait une particularité esthétique, thématique ou organisationnelle. Quoi de commun entre une comédie de l’Ivoirien Henri Duparc (Bal poussière), un récit initiatique du Burkinabè Gaston Kaboré (Buud Yam) ou un « essai » poétique décalé du Mauritanien Abderrahmane Sissako (Heremakono) ? C’est d’ailleurs tout le mérite de l’auteur que de souligner la richesse des approches « des » cinémas et « des » cinéastes africains. Car s’ils sont souvent « à la recherche de leur propre regard », ceux-ci ne cessent d’explorer de nouveaux genres, en dépit du manque de moyens. Resté, par force, une activité de francs-tireurs, le cinéma africain garde son avenir ouvert.

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