Invite à voyager dans le temps

De Maputo, la capitale, jusqu’à Inhambane, l’ancien comptoir colonial, le pays affiche ses influences indiennes et son héritage portugais.

Publié le 30 juin 2003 Lecture : 5 minutes.

La rapidité avec laquelle le Mozambique semble avoir rangé les années de guerre civile au rayon des souvenirs est frappante. Maputo la cosmopolite, l’une des plus belles capitales du continent, étonne déjà par la richesse de sa vie nocturne. Et quoi de mieux, pour redécouvrir la ville, que de déambuler dans son vieux marché municipal couvert, sur l’Avenida 24-de-Julho, longer ses blanches mosquées, visiter sa cathédrale Nossa-Senhora-de-Conceiçao ou simplement déguster une pâtisserie portugaise sur l’Avenida Vladimir-Lénine. En chemin, le regard se perd sur les vitrines des riches marchands de tissus du Gujarat ou des modestes salons de coiffure « spécialistes des tresses africaines ».
Les habitants de Maputo ne sont pas peu fiers de leur cité, qu’ils désignent volontiers comme un petit New York africain, sûrement parce que ses avenues sont larges, disposées en damier et agrémentées de hautes tours. Dans les quartiers résidentiels, les rénovations vont bon train. Certaines anciennes demeures coloniales retrouvent leurs tons pastel, et les avenidas ombragées, couvertes de jacarandas et de flamboyants, une certaine nonchalance. Le charme exceptionnel de la capitale tient à ce qu’elle a su mêler toutes les influences.
Elle s’appela tout d’abord Lourenço Marquès, du nom d’un riche marchand d’origine portugaise, qui y fonda en 1544 un comptoir commercial très prisé pour son ouverture sur l’océan Indien. Au XVIIe siècle, la cité attire les convoitises des autres puissances coloniales. On peut encore aujourd’hui apercevoir près de la zone portuaire les vestiges des fortifications de pierre érigées en ces temps anciens. Néerlandais et Anglais tentèrent de s’y établir, mais les Rongas, la population locale, les en empêchèrent. Les commerçants arabes et indo-pakistanais furent accueillis avec plus de bonheur, développant chacun leur négoce et une multitude d’échoppes de draperies colorées ou d’épices provenant d’Asie. En 1975, après cinq siècles de domination portugaise, le Mozambique accède enfin à l’indépendance. Lourenço Marquès est rebaptisé Maputo, « en souvenir d’un guerrier africain qui résista au colonialisme », nous explique-t-on.
La jeune nation se jette alors à corps perdu dans le communisme et rebaptise les avenues de sa capitale à tour de bras : Avenida Mao-Zedong, Avenida Hô-Chi-Minh… Mais les grands projets de développement sont stoppés net un an plus tard avec le début d’une guerre civile aux relents de guerre froide. En coulisse planent les ombres de l’Union soviétique d’un côté, de l’Afrique du Sud et de la Rhodésie de l’autre.
Les citoyens de Maputo n’aspirent aujourd’hui qu’à préserver cette paix retrouvée en 1992. Et affichent sans complexes la richesse de leurs origines. « Au Mozambique, la guerre civile a tué un million de jeunes soldats. Il y a aujourd’hui quatre fois plus de femmes que d’hommes dans le pays », commente Gustave, un réfugié rwandais d’une trentaine d’années. Accessoirement, cela rend encore plus difficile la « chasse » au mari. Face à la concurrence, les belles rivalisent d’élégance et se calquent sur la mode que reflètent les très regardées telenovelas brésiliennes…
Du côté de la Baixa, la ville basse, l’atmosphère est plus détendue. Une jeune mère de famille fait sécher sa lessive dans la rue. Sous de vieilles affiches publicitaires au graphisme très sixties, les épiceries indiennes se succèdent. Plus loin, on se perd dans le labyrinthe d’étals du grouillant marché de Xipamanine, l’un des plus grands d’Afrique australe. On y trouve remèdes, herbes et racines de la très réputée médecine traditionnelle locale, à nouveau tolérée par le gouvernement du président Joaquim Chissano.
Mais c’est la nuit, et en musique, que le Maputo moderne dévoile encore sa nouvelle énergie. L’ambiance est aux rythmes africains, mêlés à ceux d’un monde plus latino. En contrebas des rues résidentielles et commerçantes s’étend le périmètre de la Feira popular, au bout de cette interminable Avenida 25-de-Setembro qui longe la mer. L’endroit est envahi par des familles mozambicaines venues se distraire dans un décor de Luna Park, d’autotamponneuses chromées plantées au milieu de restaurants, dans des effluves de bière et de friture. Quelques discothèques se cachent dans d’improbables baraquements. Toujours en bordure du port, l’ancien quartier des marins débouche sur la sombre Rua de Bagamoyo, autrefois si malfamée. La vieille ruelle abrite les nouveaux pubs, comme le Gipsy, diffusant de la musique anglo-saxonne. À côté, la clientèle internationale et métissée se balance sur de la salsa dans des boîtes de nuit comme le Luso. Plus sage, c’est au café-concert l’Africa Bar, où l’on sert un jazz complexe, que se produisent les jeunes groupes mozambicains. On écoute parfois des souvenirs de la marrabenta, un genre remuant né dans les quartiers pauvres dans les années cinquante mais qui se renouvelle sans cesse et que l’on considère aujourd’hui comme l’emblème de la musique nationale. Depuis peu, la marrabenta s’acoquine avec le rap, notamment grâce au groupe Mabulu, et fait même une percée remarquable sur le marché européen. Même succès pour la voix suave de Zena Bacar, qui vivait de la pêche traditionnelle avant que ses inimitables mélopées en fassent une Cesaria Evora mozambicaine.
Départ vers la province d’Inhambane, au nord de Maputo. Pour Hans, un ancien coopérant, les escapades hors de la capitale permettent de découvrir d’autres rivages, dans un pays où l’essentiel de la population vit de l’agriculture – canne à sucre, coton, coprah, noix de cajou – ou de l’élevage. Après six heures d’une route sinueuse, on atteint la ville retranchée de Quissico. Ici se trouve le berceau de la timbila, avec ses marimbas, cohortes de danseurs et de percussionnistes. Bien ancrés dans les provinces, les orchestres traditionnels de timbila suscitent de plus en plus l’intérêt des agences de coopération, qui y voient le moyen de faire passer les messages les plus divers aux Mozambicains – entre autres, celui de la prévention contre le sida, qui touche 13 % de la population. Pour Sebastian, un étudiant allemand, c’est l’occasion de prendre des nouveaux contacts avec des formations locales en vue d’une tournée de concerts dans le pays. Ces derniers sont souvent difficiles à programmer : « Chaque orchestre peut compter entre vingt et quarante danseurs et musiciens », explique-t-il. Et tous ne parlent pas portugais.
La région est connue pour sa langue originale, le chopi. Elle est aussi recommandée pour ses curandeiros, « guérisseurs traditionnels ». C’est d’ailleurs à Quissico que réside Mateus Micas. Dans la province, il dirige une puissante association de curandeiros reconnue d’utilité publique par le ministère de la Santé. Des guérisseurs au service du gouvernement ? L’idée n’est pas nouvelle. Ils sont souvent moins chers, plus consultés et plus écoutés que les docteurs formés à la médecine occidentale, qui se concentrent dans les grandes villes et rechignent à exercer en brousse.
Il faut encore compter deux bonnes heures de route pour rejoindre Inhambane, ancien comptoir colonial échoué au bord de l’océan Indien. C’est ici que les Portugais négociaient jadis l’or, l’ivoire, les épices, mais aussi les esclaves, expédiés vers les terres du Brésil. Comme figée dans un passé peu glorieux, Inhambane se laisse gagner par le sable et une douce mélancolie. Ses vieilles demeures portugaises partent à l’abandon. La mosquée semble endormie, et le port n’assure plus qu’une activité limitée, accueillant d’antiques rafiots dans un paysage de rêve. Pleine d’amertume, l’histoire d’Inhambane la muette reste encore à écrire.

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