Gardiens de paix

Depuis janvier dernier, un contingent africain veille sur le processus de réconciliation. Loin des chicaneries politiques. Revue de détail de ces soldats venus au chevet du pays d’Houphouët.

Publié le 30 juin 2003 Lecture : 6 minutes.

Ils sont 1 271 officiers, sous-officiers et hommes du rang (auxquels il faut ajouter, pour être exhaustif, les 80 gendarmes chargés d’assurer la sécurité rapprochée des ministres et des VIP à Abidjan). Ils viennent du Bénin, du Ghana, du Niger, du Sénégal et du Togo. Ils opèrent depuis plusieurs mois en Côte d’Ivoire sous la bannière de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao), contrôlent une « zone de confiance » de 20 kilomètres de large sur 600 kilomètres de long, qui va de la frontière du Ghana, à l’est, à celle du Liberia, à l’ouest. « Bras armé » de la Mission de la Cedeao en Côte d’Ivoire (Miceci), cette force multinationale a pour but de faire respecter le cessez-le-feu, d’assurer la libre circulation des personnes et des biens, d’ouvrir des corridors humanitaires pour faciliter l’intervention des organisations non gouvernementales et, au besoin, d’apporter de l’aide à toute personne menacée.
Depuis le 29 mars dernier, les soldats ouest-africains ont même discrètement remplacé leurs camarades français de l’opération Licorne sur la ligne de front. Ils sont donc désormais seuls aux avant-postes, exposés aux éventuelles attaques des va-t-en-guerre et des groupuscules incontrôlés. « Nos camarades français sont certes en retrait, mais ils se tiennent prêts, en cas de besoin, à nous appuyer », explique un officier béninois. Le commandant en chef des troupes ouest-africaines, le général Papa Khalilou Fall, 57 ans, ancien inspecteur général des forces armées sénégalaises est, il est vrai, un homme d’expérience, un habitué des opérations onusiennes de maintien de la paix. Qui est, lui-même, placé sous l’autorité (politique) du patron de la Miceci, le Nigérian Raph Uwechue, ancien ambassadeur de l’éphémère « République » du Biafra en France, journaliste, écrivain à ses heures et ex-collaborateur de… Jeune Afrique.
Tout commence le 29 septembre 2002, dix jours après la tentative de coup d’État contre le régime du président Laurent Gbagbo et le début des graves événements qui conduiront à une partition de fait de la Côte d’Ivoire. Réunis à Accra pour la circonstance, les chefs d’État et de gouvernement de la Cedeao décident de créer un « groupe de contact » chargé de prendre langue avec les « assaillants », d’amener ces derniers à cesser les hostilités, de négocier un cadre général de règlement de la crise. Mais, aussi, de dépêcher sur place un contingent militaire. Dès le 17 octobre 2002, le Mouvement patriotique de Côte d’Ivoire (MPCI), principal groupe de la rébellion, signe un accord de cessation des hostilités avec la Cedeao, et, le 6 novembre, une réunion extraordinaire de la commission Défense et Sécurité de cette organisation d’intégration qui regroupe quinze pays d’Afrique de l’Ouest décide de fixer à 1 300 hommes l’effectif de la force de paix.
Le 17 novembre, une équipe composée de 19 officiers se rend à Abidjan pour mettre au point les détails techniques de l’opération avec les autorités ivoiriennes et le commandement français. Enfin, le 18 décembre 2002, en marge du sommet de la Cedeao à Dakar, les chefs d’État nomment un représentant spécial pour la Côte d’Ivoire (Raph Uwechue) ainsi que le commandant en chef de la composante militaire de la Miceci (le général Fall).
Tout est maintenant en place pour le déploiement en Côte d’Ivoire des troupes ouest-africaines. Cinq pays, le Bénin, le Ghana, le Niger, le Sénégal et le Togo, retenus à cause de leur neutralité supposée dans la crise ivoirienne, s’engagent à fournir, chacun, 250 soldats. Reste à trouver les moyens. La France promet l’équivalent de 3,6 millions d’euros (2,4 milliards de F CFA), dont la première tranche (2 millions d’euros) est rapidement débloquée (le reliquat a été versé en avril 2003). Les militaires prennent alors le chemin d’Abidjan. Les uns s’y rendent par la route. Les autres par avion. D’autres encore, comme les Béninois, à bord d’un navire… belge. Tous emportent avec eux des boîtes de conserve, des sacs de riz, de patates et d’ignames, bref de quoi tenir pendant quinze jours.
Une fois sur place, ils font un rapide détour par le 43e Bima, la base française de Port-Bouët, près d’Abidjan, où on leur remet armes et équipements. Ensuite, direction le front. Les Ghanéens se déploient à l’est, non loin de leur pays, les Béninois, à l’ouest, la région la plus turbulente. Nigériens, Sénégalais et Togolais assurent la jonction, dans la partie centrale. Objectif : créer une zone tampon entre les belligérants, ouvrir des couloirs humanitaires et économiques, contribuer à la mise en oeuvre du processus de désarmement, de démobilisation et de réintégration prévu par l’accord de Marcoussis, signé dans cette ville de la banlieue parisienne, fin janvier 2003, par les protagonistes de la crise ivoirienne. Une mission qui ne va pas sans risques.
Ainsi, le 2 avril 2003, les troupes ouest-africaines sont prises à partie par des éléments armés du Mouvement pour la justice et la paix (rébellion) près de la localité de Bediala, à l’ouest de la Côte d’Ivoire. « Les assaillants ont reçu la réponse appropriée. Et ils nous ont offert l’occasion de montrer notre détermination et notre cohérence tactique avec les éléments français qui sont aussitôt intervenus à nos côtés », raconte l’officier cité plus haut. Quelques semaines avant cet incident, l’hélicoptère qui transportait le général Fall à Bouaké, le bastion de la rébellion situé dans le centre de la Côte d’Ivoire, avait essuyé des tirs d’armes automatiques alors qu’il amorçait sa descente…
Chaque soldat de la Miceci perçoit un per diem de 13 120 F CFA, auquel vient s’ajouter une allocation journalière de 2 625 F CFA pour l’alimentation. Celle-ci est accordée pour un tiers en deniers remis directement au chef du sous-groupement pour faire des emplettes dans le poste d’affectation, et pour deux tiers en denrées achetées à Abidjan et livrées sur le front. Avant de rejoindre son unité, le militaire reçoit des directives fermes lui rappelant, notamment, qu’il doit respecter l’autorité civile de la Cedeao, faire preuve d’un professionnalisme « sans faille », comprendre et respecter les principes du droit international humanitaire, éviter de se mêler du débat politique tout en respectant les « règles démocratiques », traiter avec respect les nationaux et les étrangers résidant en Côte d’Ivoire. Et le commandement doit, pour sa part, s’assurer que « tout le personnel est conscient des risques relatifs aux maladies sexuellement transmissibles et au sida », et prendre toutes les dispositions pour l’informer et lui faciliter l’accès aux préservatifs.
De fait, la Miceci, qui a installé son état-major à Zambakro, à une vingtaine de kilomètres au nord de Yamoussoukro, fonctionne selon des règles strictes et dans la transparence. Sa cellule communication, qui emploie à plein temps trois personnes à Abidjan (le commandant – béninois – Nestor Djido, le maréchal des logis – togolais – Ali Banibé, ainsi qu’une professionnelle ivoirienne, Hélène Sibailly) est d’une disponibilité qui étonne de la part de porte-parole du « pouvoir kaki ». Par ailleurs, le général Fall lui-même est un orthodoxe en matière de gestion. Il veille de manière scrupuleuse au respect de la règle de séparation de l’ordonnateur et du comptable. Ainsi, la moindre petite dépense est-elle soumise à de multiples approbations, visas et signatures, notamment des membres du « J8 », un des bureaux de l’état-major chargé de « l’organisation et de la mise en oeuvre de la fonction finance ».
En dépit de cette gestion rigoureuse, et alors même qu’il n’est pas exclu que son effectif soit porté à 3 200 hommes, la Miceci manque dramatiquement de moyens, au point qu’elle était, début avril, au bord de la cessation d’activités. Malgré les promesses, l’argent n’arrive qu’au compte-gouttes. La France, l’ancienne puissance coloniale, dont les troupes sont impliquées dans la crise ivoirienne, est la plus généreuse. Outre les 3,6 millions d’euros mentionnés plus haut, elle a à nouveau offert, début juin, 3,5 millions d’euros. La Belgique, aussi, a fait quelques efforts en déboursant 625 000 euros pour régler pendant six mois le per diem du sous-groupement béninois. Tout comme les États-Unis, qui ont fourni du matériel de transmission et, plus récemment, des vivres et du carburant aux gendarmes arrivés début juin en Côte d’Ivoire pour assurer la protection rapprochée des membres du gouvernement, notamment des ministres issus de la rébellion et du Rassemblement des républicains, le parti de l’ancien Premier ministre Alassane Dramane Ouattara. La contribution américaine (biens d’équipement, carburant, vivres) est évaluée à 8,5 millions de dollars. La Grande-Bretagne a, pour sa part, équipé le contingent ghanéen. « Une mission de ce type requiert beaucoup de moyens humains et financiers, souligne le général Fall. Mais, après trente-cinq ans d’armée, j’ai foi en l’Afrique et en la sagesse de la communauté internationale… »

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