Fin de partie pour les Moudjahidine du peuple

Publié le 30 juin 2003 Lecture : 4 minutes.

Le coup de filet du 17 juin a porté un coup très dur à l’Organisation des Moudjahidine du peuple iranien (OMPI). Les opposants au régime de Téhéran ont été réveillés aux aurores par la police française, qui n’a pas fait le voyage pour rien. Les 1 300 policiers et gendarmes mobilisés ont visé simultanément 13 sites, interpellé 165 personnes, saisi des millions de dollars et d’euros en liquide. Le 21 juin, 17 membres de la mouvance « islamo-marxiste » fondée par Massoud Radjavi dans les années soixante-dix pour lutter contre le chah d’Iran étaient mis en examen, pour « association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste ». Et 11 d’entre elles incarcérées, dont Maryam Radjavi, femme du sulfureux leader de l’OMPI et véritable numéro un bis de l’organisation. Elle avait été autorisée, début mai, à se réinstaller en France, dont elle avait été expulsée en 1993.
Les raisons qui ont poussé Paris à passer à l’offensive sont à la fois simples et compliquées. Les motifs avancés par le ministre de l’Intérieur Nicolas Sarkozy n’ont rien de farfelu. La structure militaire de l’OMPI, forte d’une quinzaine de milliers d’hommes bien équipés, disposait de camps d’entraînement en Irak du temps de Saddam Hussein. Elle était en voie de dissolution par les Américains. Les Moudjahidine, qui n’avaient pas renoncé à la lutte armée, étaient en train de transformer la France en base arrière. En centre opérationnel à partir duquel ils s’apprêtaient à coordonner des attentats contre le territoire ou les ambassades des mollahs. Paris, qui entretient des relations diplomatiques avec Téhéran et qui est engagé aux côtés de ses partenaires européens dans un dialogue critique mais constructif avec le gouvernement iranien, ne pouvait fermer les yeux. Des renseignements concordants émanant des services français et américains ont fait état de l’imminence d’une action. De bonne source, on affirme aussi que des commandos fuyant l’Irak s’étaient repliés en Europe. Ce sont ces activistes, bien davantage que les simples militants, qui étaient visés par l’action du 17 juin.
Pour autant, ces (bonnes) raisons de sécurité intérieure ne suffisent pas complètement à expliquer pourquoi les Français ont choisi de s’en prendre maintenant aux Moudjahidine. Voilà vingt-deux ans en effet qu’ils ont pignon sur rue à Auvers-sur-Oise et à Saint-Ouen-l’Aumône, en banlieue parisienne. La tolérance dont ils avaient bénéficié jusque-là pouvait les inciter à penser que l’impunité leur était acquise. Ils sont tombés de haut. La France a voulu envoyer un signal positif à Téhéran, qui demandait depuis longtemps des mesures énergiques à l’endroit de cette organisation responsable de 165 attentats en territoire iranien. Le geste de Paris intervient, opportunément, au moment où la frange des néoconservateurs américains accentue les pressions sur le pays des mollahs. Il confortera les réformateurs du président Khatami et leur prouvera que l’Europe, même si elle réclame des avancées sur le dossier du nucléaire, n’est pas l’ennemie de l’Iran. Et que chacun peut trouver son compte dans la poursuite du dialogue. Le coup de filet anti-Moudjahidine est aussi une façon de donner un coup de pouce au secrétaire d’État américain Colin Powell et à la CIA, qui défendent une ligne modérée sur la question iranienne. Donald Rumsfeld, le secrétaire à la Défense, faucon parmi les faucons, ennemi juré de Powell (et de Jacques Chirac), rêvait de retourner les cadres de l’OMPI installés en Irak. Le chef du Pentagone tentait d’obtenir de Massoud Radjavi qu’il transforme son mouvement, abandonne provisoirement la lutte armée et noue des alliances avec d’autres composantes de l’opposition iranienne en exil pour déstabiliser la République islamique. En portant des coups sévères à l’OMPI, et en établissant, preuves à l’appui, son caractère terroriste et clairement extrémiste, Paris veut faire échouer cette stratégie.
L’OMPI est une survivance du passé. Révolutionnaires, fer de lance de la contestation contre le chah d’Iran, les Moudjahidine du peuple se sont violemment opposés aux partisans de l’imam Khomeiny en juin 1981. Avant d’être défaits, les commandos de Radjavi ont infligé des coups très durs au régime. À leur actif, l’attentat du 28 juin 1981, qui a soufflé le siège du Parti de la Révolution islamique, tuant l’ayatollah Beheshti, quarante députés et quatre ministres. Ils sont aussi responsables de l’assassinat du président Mohamed Ali Rajâ’i et du Premier ministre Mohamed-Javad Bâhonar, le 30 août de la même année. Impitoyablement réprimés, les inconditionnels de Radjavi ont trouvé refuge en Irak et pactisé avec Saddam Hussein, à qui ils ont ensuite servi de supplétifs. Une faute qui leur a aliéné le soutien des Iraniens de l’intérieur comme de la diaspora. Coupée du peuple, l’organisation s’est recroquevillée sur elle-même, et a connu une dérive sectaire, tragiquement illustrée par la vague d’immolations qui a suivi l’arrestation en France de Maryam Radjavi. Massoud Radjavi et son épouse font l’objet d’un culte de la personnalité délirant. Ils décident des moindres détails de la vie personnelle des militants, séparent les parents des enfants, marient les adolescents, etc. Les Moudjahidine ont l’interdiction formelle de fréquenter des Iraniens qui ne sont pas membres de l’organisation. L’obéissance aux ordres est aveugle. Les actes de protestation suicidaires enregistrés un peu partout en Europe depuis l’opération du 17 juin n’ont rien de spontané. Mais ils permettent de mesurer le degré de désespoir des Moudjahidine, qui ont vu, en l’espace de quelques mois, leur monde s’effondrer. Orphelins de Saddam, pourchassés en Europe, inscrits sur la liste des organisations terroristes, ils sont maintenant complètement isolés. Maryam Radjavi, à qui ses partisans fanatisés promettaient un fabuleux destin, celui de « future présidente de l’Iran », finira peut-être par sortir de prison. Mais son avenir est derrière elle.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires