Bruxelles se dégonfle

Sous la pression de l’administration Bush, la Belgique décide de réduire considérablement la portée de son texte.

Publié le 30 juin 2003 Lecture : 3 minutes.

Les dénégations du gouvernement belge n’y feront rien : en décidant, le 21 juin, de procéder à une énième modification de la loi de compétence universelle, Bruxelles a vraisemblablement agi sous les pressions américaines. Cette loi habilitait les tribunaux du royaume à juger les crimes de guerre, de génocide et les crimes contre l’humanité, quels que soient la nationalité de leur auteur et le lieu où ils ont été commis.
Sa modification est le résultat d’un intense lobbying, qui s’est accentué depuis qu’une plainte pour crimes de guerre a été déposée en Belgique, le 14 mai, contre l’ex-commandant des forces américano-britanniques en Irak, le général Tommy Franks. Pourtant, Bruxelles avait clos le dossier de la plainte en la transmettant, dès le 21 mai, aux autorités américaines. Cela n’a pas suffi à apaiser les faucons de l’administration Bush.
Le 13 juin, Donald Rumsfeld, le secrétaire à la Défense, enfonçait le clou en menaçant de ne pas financer la construction du nouveau siège de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (Otan) dans la banlieue de Bruxelles : « Nous allons devoir nous opposer à tout déblocage de financements en vue de la construction du futur siège de l’Otan jusqu’à ce que nous soyons sûrs que la Belgique entend être un endroit hospitalier. […] Cela n’a pas beaucoup de sens de tenir des réunions au siège de l’Otan à Bruxelles si les responsables militaires et civils ne peuvent plus s’y rendre sans risquer d’être arrêtés. »
Installée à Bruxelles depuis 1967, l’Otan a rendu public, au début de 2003, un projet de construction d’un nouveau siège d’ici à 2009 pour un montant de plus de 300 millions d’euros. Selon une clé de répartition approuvée en décembre 1999, les États-Unis doivent financer les travaux à hauteur de 22,23 %. La quote-part belge est fixée à 2,76 %.
La Belgique a aussi subi des pressions des milieux d’affaires américains. Thomas Niles, le président du United States Council for International Business (USCIB), qui regroupe quelque trois cents entreprises et organismes économiques, avait écrit, début octobre 2002, à l’ambassadeur des États-Unis à Bruxelles pour le prier « d’attirer l’attention » des autorités belges sur les méfaits de la loi. Les membres de l’USCIB redoutaient l’ouverture de poursuites à leur encontre, au motif qu’ils « sont, ou ont été, en relations d’affaires avec des régimes non démocratiques ». Les hommes d’affaires belges ont fait état des mêmes craintes. Ceux d’entre eux qui travaillent dans le domaine portuaire ont même expliqué que les entreprises maritimes américaines menaçaient, au cas où la Belgique s’entêterait, de se rabattre sur les Pays-Bas ou l’Allemagne. Le trafic commercial des États-Unis représente 14 % du tonnage du port belge d’Anvers. C’est aussi par ce port que, durant la guerre du Golfe, a transité près de 60 % du matériel militaire américain passant par l’Europe.
Autre risque encouru par la Belgique : l’isolement. Car, dans sa croisade, Rumsfeld était sur le point d’obtenir le soutien de son homologue britannique, Geoffrey Hoon, depuis que de nouvelles plaintes ont été déposées contre George W. Bush et Tony Blair pour leur rôle présumé dans l’invasion de l’Irak. Certaines sources proches de l’ambassade américaine à Bruxelles ont affirmé, à la mi-juin, que Washington avait donné jusqu’à décembre au gouvernement belge pour modifier la loi de compétence universelle. Il s’agissait apparemment pas d’une menace en l’air : la Chambre des représentants a approuvé un amendement de la loi de finances du Pentagone demandant à Rumsfeld de mener une étude sur un éventuel déménagement du siège de l’Otan.
Les choses se sont compliquées quand, le 20 juin, Louis Michel en personne, le ministre belge des Affaires étrangères, a fait l’objet d’une plainte déposée par la Nouvelle Alliance flamande (NVA), un petit parti nationaliste, pour avoir autorisé, en 2002, la vente d’armes au régime népalais, engagé dans une lutte contre une guérilla maoïste. La Belgique, déjà en froid avec Washington pour s’être opposée à la guerre en Irak, a dû capituler. Et décider de restreindre la portée du texte en excluant de son champ d’application les pays démocratiques garantissant la tenue d’un « procès équitable ». La loi ne s’appliquera que si l’auteur présumé des faits est belge, ou si la victime est belge, ou si elle vit depuis trois ans au moins dans le royaume.
Enfin, la loi intégrera les règles d’immunité retenues par le droit international pour les dirigeants politiques et les responsables militaires. Dans l’ancienne version, c’est le Conseil des ministres qui décidait de renvoyer la plainte vers le pays d’origine. Dorénavant, c’est un haut magistrat, le premier président de la Cour d’appel, qui décidera « souverainement et en dernier ressort » de la recevabilité d’une plainte.

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