Sérieuses menaces…

Publié le 30 juin 2008 Lecture : 6 minutes.

Sur tous les continents, la plupart d’entre nous sommes sous l’emprise d’une préoccupation dominante : l’effet dévastateur de la vertigineuse montée des prix des produits alimentaires et du pétrole sur notre vie quotidienne.
Le pouvoir d’achat des familles s’érode en effet jour après jour, tandis que se désarticulent les budgets des individus comme ceux des nations.
Nous en oublions les conflits en cours et cessons de nous inquiéter de ceux qui menacent : qui se souvient encore que le 12 juillet 2006, il y a deux ans, dans cette terre de confrontations qu’est le Moyen-Orient, a éclaté, à l’improviste, un conflit armé qui a duré plus d’un mois, fait des milliers de victimes et ravagé le Liban ?

Je pense, pour ma part, qu’au moment même où l’État d’Israël négocie avec la Syrie, avec l’Autorité palestinienne et même avec le Hamas et le Hezbollah, le danger de guerre n’a jamais été aussi redoutable.
Je crois que ces palabres, dont personne n’attend de résultat tangible, ni à court ni même à moyen terme, peuvent être un rideau de fumée derrière lequel se prépare le presque inévitable conflit armé entre les deux puissances qui se disputent le leadership de la région : l’Iran et Israël.
Si vous partagez ma crainte, ayez la patience de me suivre dans mon raisonnement. Je consacrerai à ce sujet grave deux livraisons successives de cette chronique.

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I – Dissemblables et rivaux

Les pays arabes du Moyen-Orient ont perdu leur guerre contre Israël. Commencée en 1948, elle s’est achevée en octobre 1973, un quart de siècle plus tard.
Avec cette dernière bataille, l’Égypte et la Syrie estiment avoir sauvé l’honneur : elles ne cherchent plus dès lors qu’à récupérer leurs territoires perdus et à se retirer du combat, sans gloire et en acceptant les conditions du vainqueur israélien.
Les autres pays arabes gaspillent une partie importante des revenus que leur procure leur pétrole en achetant des armes, dont ils savent pourtant qu’elles n’ont pas de véritable utilité.
Restent sur le terrain deux pays – non arabes : l’Iran et Israël.
Ils n’échangent pour le moment qu’invectives et menaces, mais se disent prêts à l’affrontement armé.

Ils sont on ne peut plus dissemblables et l’on s’étonne de les voir « boxer dans la même catégorie » : avec 1 648 000 km2 de superficie, l’Iran est quatre-vingt fois plus vaste qu’Israël, et sa population, 72 millions d’habitants, est dix fois plus importante.
Mais le petit Israël reprend l’avantage au regard de son développement économique, de sa puissance technologique et militaire.
Dans La Revue pour l’intelligence du monde (n° 14 de mai/juin), Samir Gharbi a donné une comparaison saisissante des deux pays : « En Israël, un jeune sur deux est inscrit à l’université, contre un sur quatre en Iran. Cet écart confère à l’État hébreu une large avance en matière de recherche.
La part des produits de haute technologie dans les exportations totales est de 20 % en Israël (5 à 7 milliards de dollars de recettes d’exportations par an), contre 3 % en Iran (100 millions de dollars).
Le PIB iranien devrait atteindre 325 milliards de dollars en 2008, le PIB israélien, 154 milliards de dollars. En termes de parité de pouvoir d’achat, l’Iran atteint 700 milliards de dollars PPA, contre 246 milliards pour Israël. Cet écart ira croissant en raison de la hausse vertigineuse des cours du pétrole et du gaz, principales richesses de l’Iran, dont Israël est totalement dépourvu. Mais, ramenée à la taille de la population, la valeur ajoutée produite par un Israélien est en moyenne de 34 000 dollars PPA, contre 10 000 pour un Iranien.
Supérieure en effectifs, l’armée iranienne ne pèse pourtant pas lourd face à l’armada israélienne. Ses 600 000 soldats sont fort mal équipés. Sa puissance de feu n’a rien à voir avec celle des 200 000 hommes de Tsahal, qui dispose de l’arme nucléaire (plus de 200 têtes, selon la revue britannique Military Balance, contre aucune pour l’Iran), de plus de 400 avions de combat (l’Iran en possède 286), de deux fois plus de navires de guerre et de vingt fois plus de blindés.
Les dépenses militaires annuelles sont presque équivalentes : 13 milliards de dollars pour l’Iran (4 % du PIB), 12 milliards pour Israël (7,3 % du PIB). Mais les dépenses par habitant sont dix fois plus élevées en Israël (1 700 dollars) qu’en Iran (180 dollars). »

Voir tableau ci-dessous.

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Mais entre Israël et l’Iran, il y a une énorme différence : le premier est devenu, dès le début des années 1960, avec l’aide clandestine de la France et des États-Unis, une puissance dotée de l’arme nucléaire. Ce fait est établi et reconnu dans un mémorandum du 19 juillet 1969 adressé par Henry A. Kissinger à son président, Richard Nixon (mais qui n’a été rendu public – partiellement – que le 28 novembre 2007 : voir fac-similé ci-dessus). On peut y lire : « Nous [les États-Unis] voulons seulement faire en sorte que la possession par Israël d’armes nucléaires ne devienne pas un fait internationalement établi et reconnu ! »
Adversaire déclaré de la prolifération nucléaire, le président Jimmy Carter attendra lui-même trente ans après son départ du pouvoir pour confirmer publiquement qu’Israël dispose de l’arme nucléaire.
Il l’a fait il y a deux mois et il a donné des chiffres ; le quotidien israélien Haaretz a commenté les révélations de l’ancien président américain en ces termes : « Selon la déclaration de l’ancien président américain, Israël possède 150 bombes nucléaires. Mieux que toutes les estimations et les fuites qu’il y a eu sur le programme nucléaire d’Israël depuis un demi-siècle, les propos de Carter confèrent officiellement à l’État hébreu le statut de puissance nucléaire.
En effet, Jimmy Carter n’est pas un simple chercheur qui fonde ses supputations sur des calculs évaluant la production du réacteur de Dimona ; ce qu’il révèle n’est pas une information journalistique venant d’une source inconnue. La lumière sur l’arsenal nucléaire d’Israël est faite cette fois par un ancien président américain, lequel, lorsqu’il est arrivé à la Maison Blanche, avait entériné la politique américaine de coopération clandestine décidée par ses prédécesseurs.
L’arrangement nucléaire entre Israël et les États-Unis a été conclu en 1969, lors de la rencontre, à Washington, entre le président Richard Nixon et le Premier ministre Golda Meir. C’était la première fois que les États-Unis reconnaissaient officiellement le statut de puissance nucléaire d’Israël :
Israël s’engageait à ne pas faire d’essais nucléaires et à ne pas dire qu’il avait des armes nucléaires. De leur côté, les Américains promettaient de ne pas faire pression sur l’État hébreu pour qu’il signe le traité de non-prolifération nucléaire.
Depuis, tous les présidents américains et tous les hauts responsables de l’administration qui connaissaient les détails du programme nucléaire israélien ont gardé le silence.

Aujourd’hui, Carter change les règles du jeu. Quand il était à la Maison Blanche, il savait exactement ce que stockait Israël et s’il parle de la taille de l’arsenal nucléaire israélien lorsqu’il a quitté la Maison Blanche, on peut évaluer à partir de là sa taille actuelle.
Selon des sources fiables, Israël produit assez de plutonium pour fabriquer approximativement cinq bombes nucléaires par an. On peut en déduire qu’il en a fabriqué 150 depuis 1981, ce qui lui donnerait un total d’environ 300 bombes.
L’Iran aura maintenant la possibilité d’invoquer ces déclarations de Carter pour souligner le double jeu des pays occidentaux, qui acceptent sans vergogne un Israël nucléaire, mais qui font des pieds et des mains pour empêcher l’Iran d’avoir sa bombe. »

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Nous en sommes là, en effet : les pays arabes ayant fait acte de carence et leurs dirigeants ayant, bon gré mal gré, accepté la domination israélienne (scientifique, technologique et nucléaire), c’est à la République islamique d’Iran qu’a échu le rôle de challenger de l’État hébreu.
Elle a décidé, quoi qu’en disent ceux qui s’expriment en son nom, de se doter de l’arme nucléaire. Non pas pour « rayer Israël de la carte » comme a pu le dire sottement son président – elle n’en a ni l’intention ni la capacité -, mais pour disposer d’une force de dissuasion et rétablir entre elle et Israël un semblant d’équilibre.
Épaulés par leurs alliés européens, les États-Unis et Israël se disent résolus à l’en empêcher à tout prix – y compris, par conséquent, le bombardement, nucléaire ou conventionnel – et multiplient les mises en garde.
À cette place la semaine prochaine, j’indiquerai les raisons qui me font penser qu’ils pourraient passer à l’action dans les six mois qui nous séparent de la fin de cette année 2008.

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