Souaré à pas comptés

En formant une équipe inédite, le nouveau chef du gouvernement montre les premiers signes de changement. Réussira-t-il pour autant à remettre le pays sur les rails ?

Publié le 30 juin 2008 Lecture : 4 minutes.

« Une structure gouvernementale traduit forcément une approche politique qui reflète une perception des enjeux du moment et des défis à venir », déclarait le nouveau Premier ministre guinéen dans son allocution à la Radiotélévision guinéenne (RTG), le 19 juin. C’était quelques minutes avant l’annonce, très attendue, de la composition de son gouvernement.
Élégant dans son grand boubou en basin kaki, Ahmed Tidjane Souaré est serein. Un mois après avoir remplacé Lansana Kouyaté à la primature, il a enfin pu apporter la preuve de son indépendance, dont beaucoup semblaient douter au départ. Après quatre semaines de tractations, les trente-quatre ministres et deux secrétaires d’État qui forment son équipe sont désormais connus. Et les rumeurs d’un retour des caciques du pouvoir, poussés vers la sortie après les événements meurtriers de janvier et février 2007, du même coup balayéesÂÂ Aucun des barons du régime n’a obtenu de portefeuille. Ce n’est pourtant pas faute d’avoir essayé : beaucoup ont multiplié les pressions sur le nouveau chef du gouvernement dans l’espoir de décrocher un maroquin, mais Souaré est resté fidèle à l’idée qui veut que, sous son air timide, se cache un « vrai dur bénéficiant de la confiance absolue du président Lansana Conté ». Un avantage dont son prédécesseur, imposé par la rue, ne pouvait se prévaloir, loin s’en faut. Quant à la population, elle n’a pour l’instant manifesté aucune hostilité à son encontre, mais elle attend de voir la suite. Car fin mai, l’unique appel au calme adressé par Souaré aux militaires insurgés, puis son silence lors de la grève des policiers émaillée d’accrochages meurtriers avec des soldats (voir J.A. n° 2476) survenue à la mi-juin ont été perçus comme autant de signes de faiblesse. Si certains sont encore sceptiques, force est toutefois de constater que, depuis la nomination de son gouvernement, Souaré bénéficie d’un a priori favorable. Non sans raison.

Un geste vers l’opposition
Comme s’il voulait faire la preuve de sa volonté de rompre avec les habitudes d’une époque révolue, le nouveau Premier ministre a d’abord ouvert son équipe à trois partis d’opposition : l’Union des forces démocratiques de Guinée (UFDG) de Cellou Dalein Diallo, l’Union pour le progrès et le renouveau (UPR) d’Ousmane Bah et l’Union pour la prospérité de la Guinée (UPG) de Jean-Marie Doré. Si aucun membre de l’Union des forces républicaines (UFR) n’y figure, c’est parce que son leader Sidya Touré affirme ne pas en avoir désigné. Pourtant, Makalé Traoré, nommée au ministère de la Restructuration administrative et de la Fonction publique, faisait jusque-là partie de ses fidèles. Aujourd’hui chef d’entreprise, elle avait été désignée porte-parole de l’opposition en octobre 1993, lors de la première rencontre entre le général Lansana Conté et ses adversaires politiques.
En fait, seul le Rassemblement du peuple de Guinée (RPG) d’Alpha Condé a refusé de répondre à l’invitation du Premier ministre. Tout porte donc à croire que la Guinée s’engage sur la voie du changement et de l’apaisement, comme l’atteste encore l’entrée au gouvernement d’Almamy Kabélé Camara à la Défense, et de Youssouf Diallo au Développement industriel, aux PME et à l’Artisanat. Camara n’est que le deuxième civil nommé à la tête de la Grande Muette en vingt-quatre ans, en remplacement du général Baïlo Diallo, qui s’est révélé incapable de contenir la récente grogne des militaires, comme bon nombre de gradés ayant occupé le poste avant lui. Quant à Youssouf Diallo, sa promotion au gouvernement est vécue à Conakry comme un geste de bonne volonté destiné à calmer la violente dispute qui l’a opposé à El Hadj Mamadou Sylla pour décrocher la présidence du Conseil national du patronat.
Pour l’instant, ni la Confédération nationale des travailleurs de Guinée (CNTG) ni l’Union syndicale des travailleurs de Guinée (USTG) n’ont commenté la mise en place de ce cabinet new-look, considérant qu’elle constitue une violation des accords du 27 janvier 2007 qui avaient débouché sur la nomination de Lansana Kouyaté. Mais il est possible que le maintien au gouvernement des syndicalistes Ousmane Souaré et Ahmadou Diallo conduise la centrale syndicale CNTG-USTG, à l’origine du mouvement du début de 2007, à mieux « digérer » l’arrivée aux manettes d’une nouvelle équipe. Quoi qu’il en soit, les enjeux liés à l’installation de cette nouvelle équipe, seize mois après l’entrée en fonctions d’un gouvernement de consensus, sont de taille. L’opacité de la gestion des affaires de l’État, en particulier, fait toujours l’objet de critiques sévères de la part des partis politiques, de la société civile, de la presse et d’une bonne partie de la population.

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Pas de promesses
Présenté comme un fin technocrate, le chef du gouvernement saura-t-il déjouer les pièges qui ont fini par avoir raison de Kouyaté ? Dans son discours du 19 juin, il en a déjà évité un, en se gardant bien de faire des promesses formelles. Rares sont ceux en effet qui ont pardonné à son prédécesseur, à peine installé, d’avoir promis de rétablir l’eau et l’électricité dans un délai de quarante jours, alors qu’il avait à peine pris ses fonctions ! « Les défis à relever sont certes immenses, mais le gouvernement n’a pas la prétention de les relever tous, et tout de suite », s’est contenté de déclarer Souaré, jouant la carte de la prudence. Maturité acquise grâce à une longue expérience de l’administration guinéenne (voir J.A. n° 2472) ? Cela demande confirmation.
En attendant, le nouveau Premier ministre a annoncé la création d’une commission consultative placée sous son autorité directe et dont « les avis et recommandations [lui] permettront de prendre rapidement les décisions visant la résolution des conflits sociaux ». Si l’on en croit un haut responsable de l’État, Souaré ne devrait pas avoir de difficulté à mener sa barque. « Il connaît les Guinéens et leurs problèmes », assure celui-ci : « Souaré a ses hommes et le président, qui l’a nommé, lui laissera une marge de manoeuvre importante. » Reste à savoir si cela sera suffisant pour remettre sur les rails un pays miné par des crises à répétitionÂÂ

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