Ouyahia acte III

Inquiet du retard pris par les réformes et agacé par l’inertie du gouvernement, Abdelaziz Bouteflika rappelle son ancien Premier ministre pour donner un coup d’accélérateur. Une mission délicate, à moins de dix mois de la présidentielle.

Publié le 30 juin 2008 Lecture : 3 minutes.

Abdelaziz Bouteflika a tranché, à sa manière. Sans prendre de gants, sans tenir compte du « qu’en-dira-t-on ». Un coup de téléphone à son futur ex-Premier ministre Abdelaziz Belkhadem pour lui confirmer la fin de sa mission, c’est tout. Le 23 juin 2008 a donc marqué le grand retour d’Ahmed Ouyahia à la tête d’un gouvernement qu’il avait quitté le 24 mai 2006. Le troisième acte d’une carrière déjà bien remplie pour un homme de 56 ans dans un pays comme l’Algérie. Ces fonctions, il les a déjà occupées entre 1995 et 1998, puis entre 2003 et 2006. Ce self-made man de la politique est donc un homme de records : plus jeune Premier ministre de l’histoire du pays, il est aussi celui qui sera resté le plus longtemps à son poste.
La situation imposait son retour. Inertie politique, équipe gouvernementale sous le feu des critiques – y compris celles d’un chef de l’État de plus en plus inquiet du retard pris par les réformes -, grèves à répétition, émeutes sporadiques, flambée des prix des produits alimentaires, absence totale d’un projet politique et social clairement défini, etc. « Boutef », comme l’appellent ses compatriotes, a horreur de l’immobilisme. Il a pu constater que l’Algérie, ces derniers mois, n’avançait plus. Pis : elle ne savait même plus dans quelle direction regarder. Le très conservateur Abdelaziz Bel­khadem est parti se « ressourcer » à La Mecque. Le très libéral et pragmatique Ahmed Ouyahia revient aux affaires. Un changement radical pour relancer la machine. Certains se sont étonnés du retour d’Ouyahia, comme si la classe politique algérienne était incapable de fournir de nouveaux dirigeants. Ouyahia est taillé pour la mission périlleuse qui l’attend, il l’a déjà prouvé. Il dispose cependant de moins de dix mois (la prochaine présidentielle est prévue pour avril 2009) pour redresser la barre, mettre fin au « règne » des islamo-conservateurs (très influents sous Belkhadem), mener à bien le programme de réformes élaborées par Abdelaziz Bouteflika, préparer la révision de la Constitution et, surtout, répondre aux attentes des millions d’Algériens qui s’interrogent chaque jour davantage sur l’usage fait par leurs dirigeants de cette fameuse manne pétrolière. Certes, ils voient bien que leur pays se dote enfin d’infrastructures à la hauteur de son statut de potentiel dragon africain (voir le Plus pp. 61-86). Mais ils souhaitent avant tout que leur quotidien change : trouver un emploi ou un logement, s’affranchir des tabous imposés par une minorité qui n’est pas en phase avec l’évolution du monde. Pour ne plus ressentir le besoin impérieux d’aller chercher ailleurs ce qu’ils devraient pouvoir trouver dans leur pays.
Abdelaziz Bouteflika et Ahmed Ouyahia ne sont pas les meilleurs amis du monde, ce n’est plus un secret. Mais Ouyahia a toujours fait montre de compétence, de loyauté et de rigueur, souvent au détriment de sa popularité. Il a le sens de l’État, ce qui ne signifie pas qu’il est dénué de toute ambition. Mais il sait la contrôler Il est de la génération « intermédiaire » : celle qui était trop jeune pour se battre lors de la guerre d’indépendance, mais qui l’a tout de même vécue. Celle aussi qui est appelée à assumer le passage de témoin entre la génération au pouvoir et les plus jeunes, qui composent l’écrasante majorité de la population. Le « ticket » Bouteflika-Ouyahia est certainement le mieux à même de réussir ce défi. Le temps presse : les Algériens sont impatients. Cela tombe bien, Bouteflika aussi.

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