Les nouveaux colons chinois

Ils reconstruisent des routes ou tiennent des commerces à Luanda. Enquête sur les investisseurs et les travailleurs venus de Pékin pour participer à la reconstruction d’un pays dévasté par vingt-sept années de guerre civile. Non sans arrière-pensées.

Publié le 1 juillet 2008 Lecture : 5 minutes.

Les expatriés chinois en Afrique ? C’est simple, ils arrivent sur le continent en cachette pour travailler dans de grandes entreprises chinoises, triment comme des bêtes pour presque rien, prennent le boulot de la main-d’oeuvre locale et n’entretiennent pratiquement aucun contact avec la population. Tels sont les clichés que les Occidentaux véhiculent volontiers sur les Chinois installés en Afrique.
Tout n’est pas entièrement faux. On estime que, depuis une dizaine d’années, plusieurs centaines de milliers de Chinois sont arrivés sur le continent pour y reconstruire, entre autres, les infrastructures détruites. En échange, Pékin bénéficie d’un accès préférentiel à ses ressources. Ce nouveau partenariat, que beaucoup considèrent comme l’un des plus importants changements que l’Afrique ait connus depuis la fin de la guerre froide, au lendemain de la chute du mur de Berlin en 1989, suscite toutefois des interrogations sur les intentions réelles de la Chine, accusée de fermer les yeux sur les exactions des dirigeants des pays d’accueil. Notamment en Angola, où sa stratégie commerciale est particulièrement offensive.

Mystère et « confusão »
Le visiteur qui ne s’était pas rendu à Luanda depuis plusieurs années s’étonnera aujourd’hui de voir à quel point il est facile de s’y déplacer en voiture. L’Angola, déchiré par vingt-sept années de guerre civile, a longtemps possédé les routes les plus impraticables d’Afrique. Au lendemain de l’accord de paix signé en 2002, la capitale est demeurée une cité-État : elle abritait les institutions, contrôlait les gisements pétrolifères offshore et accueillait plusieurs millions de déplacés qui fuyaient l’intérieur du pays et s’entassaient dans une ville conçue pour accueillir un demi-million d’habitants.
Les kilomètres d’autoroutes récemment construits témoignent du travail accompli par les bâtisseurs chinois. Celle du sud est bordée des deux côtés par les logements des employés des entreprises de BTP. Ils sont entourés de hauts murs et de barbelés, coupés de la population locale. La barrière la plus impressionnante est celle qui protège les immeubles du China International Fund Management, une entreprise de Hong Kong très proche du gouvernement angolais.
« Lorsque les premières sociétés chinoises sont arrivées, témoigne un Angolais, elles amenaient avec elles leur main-d’oeuvre et leur matériel. » Ce qui en dit long sur la nature des relations entre Luanda et Pékin. Même si les autorités angolaises se sont efforcées de gérer les finances avec plus de transparence, il reste difficile de savoir où passe l’argent provenant de Chine. La ligne de crédit de 2,9 milliards de dollars accordée par le China International Fund Management est contrôlée par une mystérieuse commission, qui rend directement compte au chef de l’État, José Eduardo dos Santos, au pouvoir depuis vingt-huit ans. Le tout alimente un sentiment de confusão (un mot que les commentateurs utilisent volontiers lorsqu’ils tentent de décrire la confusion qui règne dans le partenariat sino-angolais).
Confusão ou pas, une chose est sûre : avec les plus gros revenus pétroliers de l’Afrique subsaharienne après le Nigeria – soit 10,6 milliards de dollars en 2007 -, l’Angola ne pouvait que faire rêver une Chine à l’appétit vorace. Les Occidentaux pointent régulièrement du doigt le manque de transparence du gouvernement de l’Angola. Pékin, qui entretient également d’excellents rapports avec les régimes du Soudan et du Zimbabwe, tous deux mis au ban de la communauté internationale, ne fait pas tant de manières. L’Angola a été, en 2006, le plus gros exportateur d’or noir vers la Chine. Le pays bénéficie également de prêts garantis sur le pétrole d’au moins 7 milliards de dollars, selon des chiffres officiels, et d’un afflux d’entreprises chinoises de BTP. L’engagement chinois, cependant, ne s’arrête pas là.

la suite après cette publicité

Idéalisme
Yi Bing vient d’ouvrir un cabinet d’acupuncture dans le centre de Luanda. Cette jeune femme est l’une des centaines – ou même des milliers – de Chinois qui ont récemment débarqué dans la capitale angolaise pour diriger des bureaux, créer des entreprises et, comme les plus idéalistes des colons européens du XIXe siècle, pour vivre une aventure ou « se rendre utile ». Dans sa salle d’attente dallée d’un marbre importé de Chine, aux meubles modernes et élégants avec, accrochée au mur, une télévision à écran plat, Yi Bing incarne parfaitement – le sourire en plus – cette présence chinoise, même si elle reconnaît que la vie d’un expatrié en Angola n’est pas toujours facile. Nombreux sont, à Luanda, ses jeunes compatriotes qui, comme elle, se débattent avec le portugais et le coût de la vie – Luanda est l’une des villes les plus chères au monde -, mais qui débordent d’enthousiasme sur l’avenir de leur terre d’accueil et le rôle qu’ils pourront y jouer. Mais lorsque l’on se risque à leur parler de « néocolonialisme », tous se montrent surpris, voire blessés.
De fait, beaucoup d’entre eux se considèrent davantage comme des volontaires d’une quelconque ONG que comme des colons. « Si nous travaillons d’arrache-pied, l’avenir du pays n’en sera que meilleur, affirme Xuebao Ding, fan des Beatles. Je suis venu en Angola pour bâtir une société nouvelle. Les gens, ici, ont besoin de maisons. Je gagne de l’argent, mais nous ne sommes pas venus ici uniquement pour cela. Il y a trente ans, la Chine était comme l’Angola. La vie y était très difficile, mais maintenant tout va beaucoup mieux. »
Ingénieur à la China National Electronics Import & Export, Song Jing, 27 ans, a dirigé la construction, aux normes olympiques, d’une salle de basket-ball à Huambo (centre). L’ouvrage est aujourd’hui terminé, mais les difficultés furent nombreuses : « Les routes en piteux état, la pluie, la bureaucratie et la barrière de la langue. » Song Jing reste toutefois très fier d’avoir fait venir tous les matériaux de Chine et d’avoir tenu les délais : « Cela a été pour moi une grande expérience. Je n’aime pas travailler dans un bureau. Je suis très heureux d’avoir relevé tous ces défis. C’est une expérience à laquelle je repenserai quand je serai vieux. »
Pas difficile, en effet, d’imaginer ce jeune Chinois dans cinquante ans, vieillard aux cheveux blancs dans sa province de Jiangsu, racontant à ses petits-enfants les premières années de la grande aventure chinoise en Afrique. Un peu comme ces anciens colons anglais qui se rappellent encore dans leur village pluvieux le soleil d’Afrique.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires