Le Rossignol du Caire à Paris
Plus de trente ans après sa mort, Oum Kalsoum demeure toujours aussi présente dans les mémoires et les discothèques. L’Institut du monde arabe à Paris lui rend hommage, avec pour la première fois une exposition.
As-Sett (la Dame), le Rossignol du Caire, la Voix de l’Égypte, l’Astre de l’Orient Les surnoms qu’on lui a donnés sont nombreux. Et sa vie fut un véritable roman. Comment une petite paysanne inculte, fille de l’imam d’un village pauvre du delta du Nil, a-t-elle pu devenir cette diva férue de poésie, dont l’art a franchi les pics des pyramides jusqu’à faire se pâmer des millions de gens ?
Ouverte le 17 juin à Paris, l’exposition Oum Kalsoum, la quatrième pyramide restera à l’affiche de l’Institut du monde arabe (IMA) jusqu’au 2 novembre. Pour mieux rendre compte du personnage, la galerie se décline en quatre espaces : L’Égyptienne, Le Talent, L’Engagement et L’Héritage.
Comme le disent si bien les Égyptiens, deux choses ne changeront jamais dans leur pays : les pyramides et la voix d’Oum Kalsoum. Née au seuil du XXe siècle – la date est incertaine : 1898 ? 1904 ? -, la chanteuse a commencé à se produire aux côtés de son père et de son frère, travestie en jeune Bédouin (hors de question pour une jeune fille, même prépubère, de s’exposer devant un public d’hommes).
Un grand maître ès déclamations tombe sous le charme de sa voix. Il convainc la famille de venir s’installer au Caire pour lui permettre d’exercer pleinement son talent. La jeune femme arrive dans la capitale au début des années 1920, et sa carrière décolle. Le premier jeudi de chaque mois, jour de son concert mensuel retransmis à la radio nationale, les rues du Caire sont désertes. Dans son petit salon cairote, reconstitué pour l’occasion à l’IMA, un téléviseur d’époque diffuse des interviews qu’elle a données.
Callas, Piaf, Ella Fitzgerald
Oum Kalsoum, quasi immobile sur scène des heures durant, les bras ouverts, son mouchoir dans la main droite, tout entière de force contenue et le visage transfiguré, est l’image qui demeure en mémoire. Il suffit qu’elle entame ses vocalises pour que son public en frissonne. Jusqu’à susciter l’extase – le tarab en arabe – de l’assistance. Chantant aussi bien en dialecte égptien qu’en arabe classique, elle porte la poésie aux sommets de l’art vocal. Sans doute sa longue collaboration avec Ahmed Shawqi, dit le Prince des poètes, y est-elle pour quelque chose. Ahmed Rami, le fidèle ami – et amoureux transi -, en fit sa muse, pour laquelle il a écrit 135 des quelque 285 chansons de son répertoire.
Oum Kalsoum n’a pas ?seulement chanté des auteurs égyptiens. Omar Khayyam (Perse), George Jurdaq (Liban), Nizar Kabbani (Syrie), Al-Hadi Adam (Soudan) sont ceux dont elle a mis les vers en musique Et, au-delà de la dimension proprement égyptienne et arabe de la diva, il y a le talent, universel. Oum Kalsoum rejoint le panthéon des ?Callas, Piaf ou Ella Fitzgerald.
Tout le monde ne comprend pas l’arabe, mais la puissance et la pureté de sa voix ont conquis les mélomanes. L’exposition en donne un aperçu, entre concerts projetés sur grand écran et « douches musicales », sous lesquelles il suffit de se placer pour que se déverse sur soi l’un des airs de la Dame. On la voit interpréter « Al-Atlal » (« Les Ruines »), farouche cri d’amour et son plus gros succès, et « Anta omri » (« Tu es ma vie ») notamment. Ainsi que des extraits des six films qu’elle a tournés entre 1935 et 1948. Pochettes de disques d’époque, robes de scène et des effets personnels complètent le tout.
« Dévoilez-vous mes sÂurs ! »
En 1967, dans la foulée de la terrible défaite de l’Égypte face à Israël, Oum Kalsoum se lance dans une vaste tournée militante dans les pays arabes. Les recettes sont versées au profit de l’effort de guerre. Son périple l’amène jusqu’à Paris, en France, seul pays non arabe dans lequel elle se soit produite. Son concert à l’Olympia, en novembre 1967, fait salle comble et la une des journaux, comme en témoignent les coupures de presse exposées au mur. Des articles d’époque rendent compte de la médiatisation de ses apparitions et de son engagement politique.
Sur fond de chants patriotiques, de vieux clichés la montrent aux côtés du président égyptien Nasser, dont elle fut très proche. Un détail saute aux yeux : sur toutes les photos exposées, Oum Kalsoum est entourée d’hommes, seule reine parmi eux. Au fait, féministe, la Dame ? Le mot est fort mais il faut se souvenir d’elle, lors de son dernier concert en Libye. Face à la salle, elle lance aux femmes de l’assistance, toutes voilées : « Dévoilez-vous mes sÂurs ! Nous sommes la force productrice de nos sociétés, nous pouvons garder la tête haute et nue ! » Mona Khazindar, commissaire de l’exposition, raconte, enthousiaste : « La salle a applaudi à tout rompre et les femmes ont retiré leur voile ! »
Du Caire à Rabat, en passant par Beyrouth, Damas Oum Kalsoum a incarné le panarabisme de l’époque. Le 3 février 1975, jour de ses funérailles, plusieurs millions d’Égyptiens se joignent au cortège – filmés par le grand cinéaste égyptien Youssef Chahine. Et c’est tout le monde arabe qui est en deuil.
Sacralisée de son vivant, Oum Kalsoum s’est muée en icône, qui continue d’inspirer nombre d’artistes contemporains. Vingt-cinq d’entre eux exposent leurs Âuvres à l’IMA, dont des peintres, plasticiens et des créateurs de mode, tels les Libanais Khaled el-Masry et Sarah Beydoun. Au Caire, la Voix fuse toujours des haut-parleurs des taxis et des cafés populaires. Plus de 300 000 cassettes de la chanteuse sont vendues chaque année dans son pays natal. Des dizaines de milliers d’autres dans le reste du monde arabe. En écho à la dimension panarabe d’Oum Kalsoum, les organisateurs de la rétrospective de l’IMA ont un rêve : en faire une exposition itinérante qui sillonne les pays du Maghreb, du Proche- et du Moyen-Orient.
Oum Kalsoum, la quatrième pyramide, jusqu’au 2 novembre à l’Institut du monde arabe à Paris.
Renseignements sur : www.imarabe.org
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