Le rabbin, l’imam et la baston
Juifs et musulmans se sont choisi de nouveaux dirigeants consensuels, laïcs et modérés. Au moment précis où un pénible fait divers ravive les tensions intercommunautaires.
C’est dans l’ambiance d’un fait divers inquiétant que les cultes juif et musulman de France ont renouvelé leurs instances dirigeantes, le 22 juin. La veille, on avait appris que le jeune Rudy H., 17 ans, avait été passé à tabac dans le quartier des Buttes-Chaumont, à Paris, par une dizaine de jeunes d’origines africaine et maghrébine, et hospitalisé dans le coma.
Comme il était porteur d’une kippa, les élus et la presse ont jugé qu’il avait été victime d’une agression antisémite et l’indignation a enflé jusqu’à devenir nationale. Depuis, Rudy est sorti du coma et cinq mineurs ont été entendus comme témoins assistés. Les enquêteurs privilégient la thèse de la « baston » entre bandes rivales, phénomène qui se généralise dans le XIXe arrondissement, pour des histoires de cyclos volés, de territoires ou de filles. Toute la journée du 21 juin, des affrontements avaient d’ailleurs opposé des ados juifs à d’autres ados « black-beurs ». En décembre 2007, le jeune Rudy avait lui-même été mis en examen et placé sous contrôle judiciaire pour avoir pris part à d’autres affrontements violents. Un médiocre remake du film West Side Story, en quelque sorte.
« Profonde indignation »
L’intérêt de ce fait divers tient aux réactions qu’il a suscitées chez les nouveaux responsables des deux communautés. À peine élu président du Conseil français du culte musulman (CFCM), Mohamed Moussaoui (44 ans), imam à Avignon et vice-président du Rassemblement des musulmans de France (RMF), a publié un communiqué pour exprimer sa « profonde indignation » devant l’agression dont a été victime Rudy H. De son côté, Gilles Bernheim (56 ans), le tout nouveau grand rabbin de France, a cherché à calmer les esprits en déclarant que l’acte antisémite était « probable, mais pas certain »*.
Mohamed Moussaoui est un Marocain en cours de naturalisation, ainsi que sa femme et ses trois enfants. Né à Figuig, à la frontière algérienne, il a fait des études de mathématiques à Montpellier. Il est agrégé dans cette discipline et maître de conférences à l’université d’Avignon-Sud. Il prêche à la mosquée Al-Boukhari. Lors de la consultation des musulmans de France, son mouvement a pris la tête d’une coalition constituée, outre du RMF, de l’Union des organisations islamiques de France (UOIF), de sensibilité traditionaliste, et du Comité de coordination des musulmans turcs de France (CCMTF). Il a obtenu 43 % des suffrages exprimés.
La mouvance algérienne incarnée par la Fédération nationale de la Grande Mosquée de Paris (FNGMP), du recteur Dalil Boubakeur, président sortant du CFCM, avait choisi de boycotter la consultation en raison du mode de scrutin, qui pondérait le corps électoral en fonction de la surface cultuelle et minorait la Mosquée de Paris (15 % de la surface des mosquées françaises).
Gilles Bernheim a pour sa part gardé de son enfance à Aix-les-Bains (Savoie) une passion pour la montagne. Agrégé de philosophie, il a été le rabbin des étudiants et des universitaires avant de prendre en charge la synagogue la plus importante de France, celle de la rue de la Victoire, à Paris. Il est vice-président de l’Amitié judéo-chrétienne et a signé avec le cardinal Philippe Barbarin un essai intitulé Le Rabbin et le Cardinal. Il a quatre enfants, dont deux sont installés en Israël.
Malgré ces parcours très différents, Moussaoui et Bernheim présentent de nombreux points communs. Le premier est que leurs communautés respectives sont extrêmement divisées. Les musulmans d’origine algérienne ont longtemps été politiquement dominants, au grand dam de coreligionnaires d’origine marocaine qui prennent le pouvoir aujourd’hui. Chez les juifs, les tiraillements ne sont pas moins réels, comme on a pu le constater au cours de la campagne électorale au cours de laquelle Bernheim l’a emporté sur Joseph Sitruk, son prédécesseur, après avoir fait l’objet de vives critiques concernant son intellectualisme et sa trop grande proximité avec les chrétiens.
Juste milieu
L’imam et le rabbin ont encore en commun d’être des conciliateurs. Moussaoui, qui aime son métier d’enseignant-chercheur et la vie en province, n’était pas volontaire pour prendre la tête du CFCM. S’il s’est imposé en avril comme le fédérateur des mosquées, c’est qu’il est apparu, selon un de ses amis, comme « le candidat capable de s’ouvrir suffisamment aux autres composantes » de la communauté. Pour pouvoir continuer d’assurer ses cours, il déléguera au maximum ses pouvoirs. À la satisfaction de ses colistiers. Prônant un islam « du juste milieu », il envisage d’organiser une journée portes ouvertes dans les mosquées. Bernheim se veut pour sa part ouvert sur les autres confessions et sur la société civile, auxquelles il souhaite « donner à réfléchir » sur la foi juive, selon l’expression de ses amis de l’Union des étudiants juifs de France (UEJF).
L’un et l’autre sont des orthodoxes, mais laïcs au sens français du terme, c’est-à-dire acceptant de ne pas mélanger totalement foi et vie publique. Ainsi, le rabbin philosophe refuse-t-il « un judaïsme français inféodé à l’étranger », même s’il aime Israël, dont Jérusalem est, selon lui, la capitale, sans discussion ni division possibles. Quant à l’imam mathématicien, il déclarait récemment au Figaro : « Dans la vie privée, chacun peut conserver ses habitudes vestimentaires et alimentaires. Au niveau collectif, la loi française s’applique pour tout le monde. Nous respectons la loi sur les signes religieux ostentatoires à l’école. Mais nous veillons à ce que l’interdiction du foulard ne s’étende pas à l’université, dans les mairies ni sur le lieu de travail. »
Enfin, les deux hommes portent le même intérêt à la vie cultuelle. En particulier à la formation des ministres du culte. Moussaoui veut réformer la formation des imams pour que leur soit fournie « une instruction religieuse ouverte sur le progrès et connaissant le contexte français ». Bernheim, qui se veut « le rabbin des rabbins », souhaite offrir à ceux-ci des perspectives de carrière et des rémunérations plus attractives, afin de susciter des vocations, notamment en province, « terre de désertification du judaïsme ». Le séminaire rabbinique de Paris n’accueille en effet pas plus d’une dizaine d’étudiants, chiffre notoirement insuffisant pour guider les fidèles et cimenter la communauté au cours des prochaines années.
* Le même jour, un autre scrutin au sein de la communauté juive a porté Joël Mergui, un dermatologue de 50 ans né au Maroc, à la tête du Consistoire central, en remplacement de Jean Kahn.
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