Le pari Sarkozy

Création d’un État palestinien viable, arrêt total et immédiat de la colonisation, reconnaissance de Jérusalem comme capitale de deux États… Rarement un président étranger « ami d’Israël » a expliqué aussi clairement, qui plus est devant la Knesset, ce

Publié le 30 juin 2008 Lecture : 6 minutes.

La visite d’État du président Nicolas Sarkozy en Israël du 22 au 24 juin a été marquée par la franchise avec laquelle il s’est adressé à ses hôtes. Il leur a parlé comme un ami intime – certainement le meilleur ami d’Israël en Europe -, mais il n’a pas mâché ses mots, ni à son arrivée à l’aéroport Ben-Gourion ni le lendemain à la Knesset. « Il faut faire la paix immédiatement, a-t-il dit aux Israéliens. Demain, il sera trop tard. » Rarement un chef d’État étranger a expliqué aussi clairement ce que l’État hébreu doit faire pour instaurer la paix – et qu’il a cherché à éviter à tout prix.
Sarkozy a particulièrement insisté sur trois points, qu’il a martelés à chaque occasion. Le premier, et le plus important, est celui-ci : « La sécurité d’Israël ne sera véritablement assurée que lorsque, à ses côtés, on verra un État palestinien, indépendant, moderne, démocratique et viable. » Deux autres affirmations ont été assénées avec la même force – et ont également déplu à beaucoup d’Israéliens. « Il ne peut y avoir de paix sans l’arrêt total et immédiat de la colonisation », a-t-il déclaré. Les colons devront avoir droit à « une compensation et à un relogement en Israël ». Après quoi, il a ajouté, sacrilège pour tous les ultras israéliens : « Il ne peut y avoir de paix sans la reconnaissance de Jérusalem comme capitale de deux États et la garantie de la liberté d’accès aux Lieux saints pour toutes les religions. »
Les membres de la Knesset ont accueilli ces déclarations avec des applaudissements polis, mais pas vraiment enthousiastes. C’est le discours que le président américain, George W. Bush, aurait dû faire lorsqu’il a assisté aux cérémonies célébrant le soixantième anniversaire d’Israël en mai. Le discours que le candidat démocrate à la Maison Blanche, Barack Obama, aurait dû faire lorsqu’il a rendu visite à l’Aipac, le lobby pro-israélien, au début de juin. Le discours que la chancelière allemande, Angela Merkel, aurait dû faire lorsqu’elle était en Israël en mars. Le discours que Tony Blair aurait dû faire lorsqu’il était le Premier ministre britannique, mais qui lui est resté dans la gorge et qu’il n’a toujours pas osé faire en tant que représentant du Quartet.

Entrer dans l’histoire
Dans sa réponse à Sarkozy, le Premier ministre israélien, Ehoud Olmert, n’a pas tardé à marquer le coup : « Nous ne sommes pas toujours d’accord sur tous les problèmes, tous les détails, nous ne voyons pas toujours les choses de la même façon. » Manifestement, il pensait à son électorat de droite et au puissant lobby des colons. Depuis qu’il est arrivé au pouvoir après l’attaque dont a été victime Ariel Sharon, Olmert a encouragé au maximum l’expansion israélienne en Cisjordanie et a noyauté la Jérusalem arabe de colonies juives pour la couper de son arrière-pays. Il s’est engagé à ce que la ville reste la capitale indivisible d’Israël jusqu’à la fin des temps, balayant les protestations arabes et les timides objections américaines.
Quand, lors de sa dernière et vaine visite dans la région ce mois-ci – la quinzième en quelques mois -, la secrétaire d’État américaine Condoleezza Rice s’est permis de dire que « la poursuite de la colonisation présentait potentiellement le risque de nuire aux négociations de paix », Danny Dayan, président du conseil des colons Yesha, a répliqué que ces remarques étaient « impertinentes et honteuses ». « On a craché au visage d’Israël, a-t-il déclaré, et le gouvernement a fait comme s’il s’agissait de gouttes de pluie. » Washington a préféré ne pas répondre à l’insulte.
Reste à savoir si Sarkozy obtiendra des résultats ou si ses belles paroles resteront lettre morte comme toutes les décisions, injonctions et résolutions internationales qu’Israël a obstinément ignorées. Sarkozy est un homme politique ambitieux qui aime les coups spectaculaires. S’il devait être à l’origine d’un processus qui aboutirait à une paix générale au Moyen-Orient, il aurait sa place dans l’Histoire. Pour beaucoup d’observateurs, ce que tente de faire Sarkozy, c’est rien de moins que de transférer le rôle d’arbitre de la paix des États-Unis à l’Europe, et plus particulièrement à la France, qui assumera, le 1er juillet, la présidence de l’Union européenne (UE). Il faut relire ce qu’il a déclaré en Israël : « La France est prête à organiser sur son sol tous les pourparlers qui pourraient conduire à la paix, qu’il s’agisse de la négociation israélo-palestinienne, du dialogue israélo-syrien ou des discussions qui devront reprendre, un jour prochain je l’espère, entre Israël et le Liban. » Sur ces trois volets du processus de paix, la France est prête à apporter sa garantie, à mobiliser sa diplomatie, ses ressources, ses soldats, comme elle le fait déjà avec d’autres partenaires européens, au Sud-Liban.
Pour que son image et son ambition soient acceptables par les États-Unis et par Israël, Sarkozy n’a épargné aucun effort pour courtiser les deux pays. Il s’est présenté comme leur meilleur ami et leur plus fidèle allié. Il s’est aligné sur Washington et a flatté Israël – déclarant que c’était « l’une des démocraties les plus authentiques du monde », et s’engageant à être à ses côtés s’il était menacé. De bonne source en France, on indique que la diplomatie de Sarkozy part du sentiment largement répandu chez beaucoup de dirigeants européens que la politique de Bush au Moyen-Orient a été un désastre. Les derniers mois de sa présidence affaiblie donnent à l’Europe l’occasion de reprendre la main. Sarkozy considérerait également que l’État hébreu se met dans une situation impossible avec le sort qu’il fait subir aux Palestiniens et la politique qu’il mène au Liban, comme lors de la guerre de 2006. Les tentatives menées pour étouffer le Hezbollah au Liban et le Hamas à Gaza ont été des échecs retentissants. Ces deux mouvements de résistance à ses frontières ont réussi à se forger une capacité de dissuasion, et l’ont contraint à accepter un échange de prisonniers, et, dans le cas du Hamas, une trêve.
Sarkozy se voit comme l’homme qui peut sortir Israël de ses errements, le remettre sur le droit chemin de la paix et le faire accepter dans la région. Dans sa relation avec l’État hébreu, le président français a un atout de poids. Israël souhaite très vivement renforcer ses liens politiques, économiques, universitaires, militaires et scientifiques avec l’Europe au cours des six mois de présidence française de l’UE. Mais Sarkozy est un homme de tempérament prêt à prendre la mouche si on ne le suit pas. Si les Israéliens n’écoutent pas son message, ils risquent de ne pas avoir avec l’Europe le partenariat privilégié auquel ils aspirent.

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Foison d’obstacles
Mais il y a d’autres obstacles plus redoutables. Peut-on revenir sur le vol de la terre et la colonisation ? Peut-on remettre au pas les colons fanatiques à la gâchette facile ? La fatale combinaison d’arrogance et de paranoïa dont fait preuve Israël peut-elle laisser la place à une volonté de coexistence pacifique avec ses voisins ? Pour Israël, les bienfaits de la paix seraient énormes. Des relations normales avec les vingt-deux membres de la Ligue arabe ; la fin de la résistance armée du Hezbollah et du Hamas ; un nouveau chapitre des relations avec l’Iran ; une chance de restaurer son image internationale ternie par les guerres et les agressions et souffrances infligées aux Palestiniens par l’occupation. Il y a une chance – même si c’est une toute petite chance – que Nicolas Sarkozy puisse être le leader qu’attendaient l’Europe et le Moyen-Orient, un leader qui, en partenariat avec un nouveau président américain, pourrait mobiliser le monde pour un authentique effort de paix.

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