Mario Pezzini : « Les réticences à rejoindre la Zlec résultent d’une précaution exagérée »

L’OCDE vient de publier, avec l’Union africaine, un nouveau rapport consacré aux « dynamiques du développement », qui met notamment en avant le rôle clef que doit jouer l’État en Afrique.

Mario Pezzini (à gauche), en janvier 2018 © DR / Mario Pezzini

Mario Pezzini (à gauche), en janvier 2018 © DR / Mario Pezzini

VICTOR_BERENGER-ConvertImage

Publié le 12 juillet 2018 Lecture : 4 minutes.

Le 11 juillet, l’OCDE et l’Union africaine ont publié le premier opus d’une nouvelle série annuelle consacré aux Dynamiques du développement en Afrique.

Fruit d’une collaboration entre des économistes des deux organismes (une première pour l’OCDE après dix-sept ans de collaboration avec la BAD pour la production de son rapport sur les Perspectives économiques en Afrique, que la banque africaine mène désormais en solo), cette publication a pour objectif « d’animer le débat » dans le cadre du plan d’action de l’organisation panafricain pour accélérer le développement du continent – l’agenda 2023. Rencontre avec l’économiste Mario Pezzini, qui dirige le Centre de développement de l’OCDE.

la suite après cette publicité

Jeune Afrique : Dans le cadre de l’Agenda 2063, l’Union africaine s’est fixé pour objectif d’atteindre un taux de croissance annuel moyen de 7 % sur la période 2016-20. Or les analystes prévoient une croissance moyenne de 2,8 % pour 2018. Qu’est-ce qui explique cette différence ?

Mario Pezzini : Il faut mettre la situation en perspective. L’Afrique a enregistré un taux de croissance de 4,6 % par an depuis l’année 2000. C’est bien plus élevé que l’Amérique latine, avec 2,8 % entre 2000 et 2016. C’est certes inférieur aux 7,2 % de l’Asie mais l’Afrique se situe au milieu des continents en développement. Cependant, et malgré un solide processus d’accumulation du capital et de nouveaux partenaires commerciaux, la croissance africaine est restée volatile.

En outre, ce n’est pas seulement le niveau de la croissance qui est en question, mais c’est aussi sa qualité. On raisonne toujours en termes de PIB, or cet indicateur mesure mal l’amélioration du bien-être objectif et subjectif des populations. Ce dernier a en partie augmenté malgré un taux de croissance inférieur aux objectifs, mais il reste une grande marge d’amélioration.

Le secteur manufacturier reste dans une situation difficile, en particulier car le taux de change risque d’être surévalué

Un des problèmes de la croissance africaine, c’est la spécialisation productive dans les ressources naturelles non renouvelable. Cela entraîne ce que l’on appelle la maladie hollandaise : une croissance concentrée, limitée à une partie de la population, qui est employée notamment dans le secteur extractif, et le secteur des services non-échangeable. Le secteur manufacturier reste dans une situation difficile, en particulier car le taux de change risque d’être surévalué.

la suite après cette publicité

En deux, la faible l’intégration régionale. Même si la création de marchés internes progresse, la demande régionale, porteuse de croissance potentielle, n’est pas encore arrivée au niveau où elle devrait être.

Troisièmement, la conjoncture internationale n’est pas nécessairement favorable : les investissements étrangers ont commencé à baisser, le niveau de commerce international s’est réduit.

la suite après cette publicité

Vous faites le constat que la croissance n’a pas été suffisamment créatrice d’emplois de qualité. Quelles stratégies doivent être mises en place par les États africains ?

L’objectif de l’Union africaine est ambitieux, puisqu’il s’agit de réduire la part de l’emploi vulnérable à 41 % d’ici à 2023. Si rien ne change, l’emploi vulnérable restera supérieur à 66 % en 2022.

Pour cela, il faut en premier lieu développer le commerce intra-africain, aider les producteurs africains à exploiter le marché intérieur et surtout celui à forte croissance. Et en plus, développer le capital privé pour des investissements productifs. En effet, le niveau de l’épargne est particulièrement élevé, mais sa conversion en investissement est faible.

Il faut se concentrer sur des activités endogènes et locales

Ça, c’est le constat « macro ». À un niveau plus spécifique, c’est évident qu’en Afrique, on peut davantage exploiter l’utilisation des revenus des ressources naturelles, notamment en se connectant davantage aux chaînes globales de valeurs. En 1993, 1,4 % de la production globale de biens intermédiaires était effectuée en Afrique. Aujourd’hui, on est à 2,2 %.

Troisièmement, on peut essayer d’utiliser davantage l’instrument budgétaire. À ce jour, le niveau d’entrées fiscales reste faible, ce qui empêche de faire de fortes politiques de relance.

In fine, pour améliorer la qualité de la croissance, il faut se concentrer sur des activités endogènes et locales, notamment l’agriculture et toute la filière agricole, et faire des politiques d’appui à des activités locales, au niveau régional. Il faut des services réels aux entreprises, pas seulement en termes de financement, mais aussi de capacités : connaissances de marchés, productivité dans les PME…

Le 21 mars 2018, 44 pays ont signé l’accord sur la Zone de libre-échange continentale (Zlec). Quels facteurs contraignent sa mise en place ?

L’Afrique a diversifié ses partenaires commerciaux externes et a fait de la Chine son premier partenaire commercial à partir de 2009. Mais à l’intérieur du continent, les progrès sont plus compliqués. Oui, il y a des barrières qu’il serait mieux de réduire pour bénéficier d’un marché plus vaste.

Pourquoi certains pays ne le souhaitent pas ? Parce que, probablement, ils ont peur que cela puisse tuer des éléments de leur économie qui ne sont pas encore stabilisés et qu’ils veulent protéger. Est-ce que c’est une bonne perspective sur l’échelle régionale ? Nous, on pense que non, car les différences entre économies ne sont pas d’une si grand ampleur. Nous considérons donc qu’il y a une précaution exagérée là-dessus.

Est-ce que les traités commerciaux sont l’élément principal du renforcement de l’intégration régionale ?

J’ai des doutes là-dessus. Sur le coût de revient d’un produit, les coûts de la logistique et du transport sont au moins sept fois supérieurs aux barrières douanières. Un fort élément qui conditionne l’intégration régionale est plutôt à chercher au niveau des infrastructures.

L'éco du jour.

Chaque jour, recevez par e-mail l'essentiel de l'actualité économique.

Image

La rédaction vous recommande

Contenus partenaires