De Casa à Libreville, une étonnante diversité

Ingénieurs, enseignants, commerçants, chefs d’entreprise, cadres en tout genre… Mais aussi retraités et aventuriers. Et, surtout, beaucoup de binationaux. La présence française est multiforme.

Publié le 30 juin 2008 Lecture : 10 minutes.

Maroc
Au royaume des jeunes retraités

Qu’on l’en loue ou qu’on s’en afflige, le royaume chérifien présente une caractéristique : il n’a jamais toléré durablement sur son sol aucune autre présence étrangère que celle de ses invités. Quels qu’aient été leur religion et leur pays d’origine, les envahisseurs ont par milliers laissé leur peau sur les pentes de l’Atlas ou sur les rivages de l’Atlantique et de la Méditerranée. En revanche, qu’ils aient été juifs d’Andalousie ou, plus récemment, chrétiens de France, les hôtes du Maroc y ont bénéficié, malgré les secousses de l’Histoire, d’un accueil généreux dont leurs descendants cultivent encore la mémoire. Les Dominique de Villepin, les Élisabeth Guigou, les Michel Jobert ou les Dominique Strauss-Kahn – né à Neuilly, il a grandi à Agadir -, pour ne parler que des politiques, ont transporté avec eux, à leur retour sur la scène française, ce pays de leur enfance dont ils se sont éloignés sans que le lien fût jamais rompu.
Il va de soi qu’en 2008 la population des Français du Maroc n’a plus grand-chose à voir avec ce qu’elle était à l’époque de Lyautey et du protectorat : statistiquement, elle a fondu – même si le Maroc occupe encore la deuxième place de « la France en Afrique » – en proportion de la baisse continue des effectifs des « coopérants » et autres cadres expatriés dans les entreprises. Socialement, elle s’est métamorphosée : officiers, fonctionnaires et marchands des villas du quartier « Vieux-Marocains » de Temara, du centre historique de Rabat ou de la Dar-Baïda Arts-Déco (« Maison blanche » en arabe, c’est-à-dire Casablanca), ont laissé la place aux enseignants, restaurateurs ou promoteurs des marques siglées « Paris ». Ceux-ci côtoient sans la fréquenter l’élite des « authentiques » Français du Maroc, eux-mêmes souvent « doubles-nationaux » et anciens de « la mission », ce réseau d’écoles et de lycées français qui a littéralement enfanté la génération au pouvoir à RabatÂÂ
Depuis peu (les arrivées se sont multipliées durant ces trois dernières années jusqu’à un total de plus de 9 000 personnes pour la seule ville de Marrakech, soit presque le tiers des expatriés enregistrés dans les consulats du royaume), une nouvelle catégorie de Français a fait son apparition au Maroc.
Ceux-là n’ignorent certes pas que le prix du mètre carré, à Guéliz, dans les riads de la médina ou dans les résidences édifiées hors des murailles de la Ville ocre, leur assure – pour combien de temps encore ? – un habitat plus vaste et confortable que celui auquel ils auraient accès sur la Côte d’Azur, mais ce n’est pas l’appât du gain qui les motive. Ils sont le plus souvent de « jeunes » retraités qui rêvent de soleil, de chaleur, apprécient la sécurité du royaume et sa facilité d’accès, du fait de liaisons aériennes de plus en plus nombreuses.
Bref, ces derniers venus espèrent profiter au mieux des charmes du nouvel eldorado qu’un euro fort met à leur portée. Voilà qui en fait des consommateurs, voire des employeurs – de personnel domestique – tout à fait bienvenus. Du coup, le fisc marocain les chouchoute, en leur concédant un abattement de 40 % sur leurs revenus déclarés et en réduisant encore de 80 % leur impôt s’ils transfèrent dans leur pays d’accueil la totalité de leur pension de retraite française. Et même les islamistes ouvrent les bras à ces seniors étrangers, décidément bien inoffensifs. Bref, au Maroc, si le Français nouveau se multiplie, il n’est plus tout à fait de première jeunesse !

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Algérie
Pas de panique, mais beaucoup de vigilance
Diplomates, ingénieurs, chefs d’entreprise, cadres financiers, enseignants ou religieux, ils sont au total près de 65 000 à vivre sur le sol algérien. En avril 2008, la communauté française dans l’ex-colonie compte quelque 36 000 ressortissants inscrits au registre des Français établis hors de l’Hexagone, auxquels s’ajoutent quelque 30 000 personnes non inscrites. Vivant pour l’essentiel dans le nord du pays, ils sont 22 082 enregistrés à Alger, 8 645 à Annaba et 5 880 à Oran. L’immense majorité est constituée de Franco-Algériens, les expatriés ne représentant qu’un peu plus de 600 personnes.
Alors qu’ils formaient la plus forte communauté française à l’étranger durant la colonisation, les « pieds-noirs » ne sont plus aujourd’hui que 300, dont une trentaine exerçant encore une activité professionnelle.
Mais, nostalgiques de leur terre natale, des centaines de rapatriés d’Algérie reviennent régulièrement pour des visites dans les quartiers où ils vécurent jusqu’à l’indépendance, en juillet 1962.
Depuis les attentats kamikazes du 11 avril 2007 qui ont visé le Palais du gouvernement à Alger et deux commissariats à Bab-Ezzouar, les autorités algériennes et françaises ont décidé de prendre de nouvelles mesures pour assurer la sécurité des entreprises – entre grands groupes et PME-PMI, on en dénombre plus de trois cents à travers le pays – ainsi que celle des ressortissants français.
Toutefois, en dépit des menaces répétées d’Al-Qaïda au Maghreb islamique et de la persistance des attentats – un ingénieur du groupe Razel a été tué le 8 juin lors d’une attaque terroriste -, les Français d’Algérie refusent de quitter le pays. « Ni psychose ni imprudence » semble être la formule qui résume le mieux actuellement leur état d’esprit.
Tenus de respecter les consignes de sécurité régulièrement délivrées par l’ambassade de France à Alger et par les trois consulats (Alger, Oran et Annaba), ils ne continuent pas moins de fréquenter assidûment restaurants et boîtes de nuit, plages, montagnes et autres lieux de détente.
« Nous vivons presque comme les Algériens, assure Delphine, professeur de français au lycée Alexandre-Dumas d’Alger. Je suis bien en Algérie. Pourquoi devrais-je partir ? »

Côte d’Ivoire
En attendant le grand retour
Catherine Delon est une figure à Bouaké. Ce petit bout de femme à l’oeil pétillant et à l’énergie débordante que les ex-rebelles appellent affectueusement « maman » force l’estime. Au plus fort de la crise ivoirienne, elle a maintenu ouvert son magasin de livres et journaux, alimentant le Nord en nouvelles fraîches. « Toute ma vie est ici », aime à rappeler cette irréductible qui témoigne d’une époque révolue de la présence française en Afrique. Les aventuriers attirés par l’exotisme, l’espoir d’une vie plus confortable et le challenge économique ne sont en effet plus légion.
Au lendemain de l’indépendance, entre 50 000 à 60 000 expatriés et colons vivent dans le pays et quelque 4 000 coopérants occupent différents postes à responsabilité dans les structures gouvernementales. C’est la grande époque, le commerce est florissant, la communauté mène grand train, on surnomme Abidjan le « Petit Paris », le pays est un havre de paix, un modèle de développement pour toute l’AfriqueÂÂ
Mais, rapidement, la présence des « Frenchies » va diminuer en raison de la baisse constante de la coopération culturelle et technique, de l’insécurité grandissante, des troubles politiquesÂÂ En 1985, on ne comptait plus que 30 000 résidents. Les violences antifrançaises de novembre 2004 marquent une grande cassure : quelque 8 000 Français sur les 16 000 recensés quittent le pays dans la plus grande panique. Un traumatisme encore vivace, même si l’amélioration du climat politique augure un retour des Hexagonaux. « L’espoir renaît, atteste Catherine Rechenmann, présidente de l’UFE-CI (Union des Français de l’étranger-Côte d’Ivoire). Les familles commencent progressivement à se réinstaller. » Symboles de ce retour, la visite du Medef (patronat français) à Abidjan au début de juin et, surtout, la réouverture du lycée Blaise-Pascal d’Abidjan, mis à sac pendant les pillages de novembre 2004. Remis à neuf, l’établissement enregistre déjà de nombreuses inscriptions et devrait accueillir quelque 800 élèves dès la rentrée prochaine.
Mais le pays d’Houphouët-Boigny ne fait plus autant rêver que par le passé. Sur les quelque 9 800 ressortissants français, les deux tiers sont des binationaux. Et la majorité d’entre eux vit à Abidjan au plus près de la base militaire du 4e Bima. Ils font essentiellement tourner les 500 entreprises françaises présentes dans le pays. On ne compte plus que quelques familles à San Pedro, dans le Sud-Ouest, où les Hexagonaux travaillent au port, d’autres à Daloa (Centre-Ouest) ou à Bouaké (Centre).
Les Français ont retrouvé leurs loisirs. Même si le centre culturel d’Abid­jan a fermé ses portes, ils s’adonnent toujours à leurs activités sportives favorites : tennis, golf, nautismeÂÂ Et vont se ressourcer, le temps d’un week-end, dans les hôtels-restaurants de la côte, à Grand Bassam ou à Assinie. Les célibataires se distraient dans les bars et les restaurants de la Zone 4, comme le Havannah Café, le Jimmy’s, le Lagune Palace et le Planet W. Les amateurs de danse et de « petites pépées » sont assidus au Saint-Germain et au Taxi-Brousse, les deux night-clubs à la mode, tandis que les plus téméraires s’aventurent de nouveau dans les quartiers périphériques comme Yopougon et sa fameuse rue Princesse (celle des boîtes, des bars et des prostituées).

Sénégal
Toujours aussi accueillant
« Il fait bon vivre au Sénégal », « les gens sont ouverts », « c’est un pays de paix »Â Les mots ne manquent pas parmi les Français pour vanter les atouts du pays de la Teranga (« hospitalité » en wolof). Et pourtant, tout n’est pas rose sous les cieux sénégalais, où vivent plus de 25 000 Français, dont 40 % de binationaux. Selon Richard Alvarez, conseiller à l’Assemblée des Français de l’étranger depuis 1991, « chaque année, le consulat rapatrie plusieurs dizaines de ressortissants français totalement démunis. La plupart d’entre eux sont des ÂÂsacs à dos (aventuriers) qui ont parfois vendu leurs biens et quitté leur travail pour tenter leur chance ailleurs. Certains s’en sortent en trouvant des emplois avec des salaires de 150 000 F CFA, comme leurs collègues sénégalais, tandis que d’autres n’ont aucun revenu ». On est donc loin du cliché de l’expatrié bénéficiant d’un gros salaire et d’innombrables avantages.
Si aucun chiffre ne permet de dire combien de retraités français résident aujourd’hui au Sénégal, les personnes du troisième âge sont nombreuses à y poser leurs valises. Mais, là encore, si l’on en croit Simone de Vriendt, la présidente de l’Association des retraités français du Sénégal, « tous ne vivent pas des retraites dorées ».
Pour sa part, Josette Marie, 67 ans, ancien agent d’une société de courtage en assurance, divorcée sans enfants, estime que, « dans tous les cas, la vie d’un retraité est meilleure au Sénégal qu’en France ». Elle dit pourtant avoir été victime d’une « arnaque » qui lui a coûté la bagatelle de 35 millions de F CFA destinés à la construction d’une maison sur la Petite Côte (littoral Sud). Cette même Petite Côte dont la ville balnéaire de Saly a vu le nombre de ressortissants français passer de quelques centaines, il y a quelques années, à plus de 1 000 aujourd’hui. Une nouvelle école primaire et un collège ont même été construits pour permettre aux enfants de suivre un programme d’études français.
Si Dakar accueille toujours la très grande majorité des Français (17 800), il n’est plus le principal point de chute des nouveaux arrivants. Des jeunes n’hésitent pas à monter des entreprises à l’intérieur du pays. Pierre-Gilles Commeat, 28 ans, en est un exemple. Il a investi, sur fonds propres, 15 millions de F CFA dans la création de Baobab des saveurs, une société de valorisation des produits agricoles installée à Thiès, deuxième ville du pays, à environ 60 km de Dakar. En 2007, son chiffre d’affaires a atteint 12 millions de F CFA et son entreprise faisait travailler indirectement une centaine de personnes.

Gabon
Une vieille histoire d’amour
Le Gabon est francophile et les Français le lui rendent bien. En 2007, dans un pays qui compte à peine 1,2 million d’habitants, les registres des consulats généraux de Libreville et de Port-Gentil – les deux principales villes d’implantation de la communauté – indiquaient 9 647 Français. Leur nombre a connu une progression légère mais constante depuis 2000. Ils étaient alors 8 523.
Malgré la baisse de la production pétrolière et minière amorcée au début des années 2000, le pays n’a rien perdu de son attractivité. Il n’y a pas eu de transfert au profit de la Guinée équatoriale, nouvel émirat pétrolier du golfe de Guinée, où la présence hexagonale reste faible. Globalement, selon le ministre de l’Intérieur gabonais André Mba Obame, si l’on tient compte des 5 % à 10 % de Français en situation irrégulière, ils seraient en réalité plus de 10 000.
Ils sont banquiers, pétroliers, assureurs, ingénieurs, enseignants, militaires et ouvriers. Ils travaillent pour le compte de près de 150 filiales et succursales de c, de PME, ou dans le cadre de la coopération. Total, Bouygues, Axa, Sogea, CFAO font venir de France des cadres et agents qui travaillent aux côtés des nationaux. Néanmoins, le quart de cette communauté est constitué de binationaux. Le corps de métier le plus représenté est sans conteste l’armée, par le fait de l’implantation de la base des Forces françaises du Gabon.
Parmi les plus représentatifs d’entre eux, on compte des anciens comme Jean-Claude Baloche, PDG de la Société de construction de bâtiment-Entreprise de dragages et de travaux publics de la Lowé (Socoba-EDTPL) et président de la Confédération patronale du Gabon (CPG) de 1995 à 2003, qui vit au Gabon depuis 1982. Mais aussi Paul Bory, patron de la Sonapresse, société éditrice de L’Union, le quotidien le plus influent du pays, ou encore Édouard Valentin, PDG des assurances Ogar-Ogarvie. On relève par ailleurs une concentration remarquable de Corses. Ces Français originaires de l’île de Beauté sont particulièrement actifs dans les jeux, les services ou le transport.

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