Dans les coulisses d’un changement inattendu

Publié le 30 juin 2008 Lecture : 6 minutes.

La chute de Belkhadem

Le président Abdelaziz Bouteflika n’a pas jugé utile de laisser quelque trace historique, des images par exemple, de l’audience durant laquelle il a signifié son congé à Abdelaziz Belkhadem. Ni de sa rencontre avec Ahmed Ouyahia quand il lui a remis sa feuille de route. Cela n’aurait du reste pas contribué à donner une meilleure lecture d’un changement à la tête de l’exécutif qui n’a presque pas surpris. Abdelaziz Belkhadem n’était plus l’homme de la situation. Même le Front de libération nationale (FLN, première force politique dans les deux Chambres du Parlement), dont il est le secrétaire exécutif, n’a pas ressenti le besoin de se fendre d’une quelconque déclaration pour défendre le bilan de ses vingt-cinq mois (mai 2006-juin 2008) à la tête du gouvernement.
Incarnation du courant conservateur au sein du pouvoir, Abdelaziz Belkhadem a vu fondre comme neige au soleil le capital confiance dont il disposait auprès du chef de l’État. L’agenda politique de ce dernier (un éventuel troisième mandat, présentation dans quelques mois du bilan des réalisations promises) ne lui permettait pas de s’accommoder des carences de l’ex-Premier ministre. Plutôt effacé sur les dossiers chauds de l’heure, Belkhadem ne s’est pas suffisamment impliqué dans la réalisation du programme d’investissements initié par le président. Des engagements dont Abdelaziz Bouteflika se sentira comptable à la fin de son mandat, en avril 2009. En outre, Belkhadem a commis, ces dernières semaines, un certain nombre de bourdes. En avril, il déclarait que « le Coran est la Constitution de la société civile algérienne », suscitant l’inquiétude de quelques chancelleries occidentales à Alger, mais pas seulement. Autre maladresse : il annonce un remaniement, démenti le lendemain par son propre ministre de la Communication et porte-parole du gouvernement, Abderrachid Boukerzaza, qui précise que cela relève des prérogatives du président de la République. Quant au FLN, il est au bord de la crise de nerfs : un congrès à venir (prévu avant la présidentielle d’avril 2009) sur fond de fronde au sein du Conseil national, des structures incontrôlables, une base qui s’effiloche et des résultats électoraux décevants.
Les plus indulgents à l’égard du passage de Belkhadem au Palais du gouvernement pourront toujours dire que la décision d’Abdelaziz Bouteflika s’explique par sa volonté de voir l’ex-Premier ministre consacrer toute son énergie à mettre de l’ordre dans la maison FLN, dont le chef de l’État assure la présidence d’honneur et qui reste, quoi qu’on dise, une machine électorale plutôt efficace.

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Pourquoi Ouyahia ?

Les raisons de son retour resteront, sans doute, aussi mystérieuses que celles de son limogeage, en mai 2006. En revanche, si les observateurs de la vie politique algérienne ont été pris de court par son départ du gouvernement, ils ont reçu plusieurs signaux annonciateurs de son retour en grâce auprès du président de la République. À l’évidence Ahmed Ouyahia, 56 ans, a habilement géré sa mise entre parenthèses. Au lieu de crier à l’injustice, il a fait le dos rond, s’abstenant de toute déclaration fracassante, renouvelant son soutien à la Réconciliation nationale et au programme de développement chers à Abdelaziz Bouteflika et se cantonnant sagement à la seule gestion de son parti, le Rassemblement national démocratique (RND, voir encadré). Quelques mois plus tard, il bouleverse l’échiquier politique en remportant de probants succès électoraux lors des législatives et, surtout, des municipales. Il détrône les islamistes du Mouvement de la société pour la paix (MSP, d’obédience Frères musulmans), jusque-là deuxième force au Parlement. Il consolide l’implantation nationale du RND, organise ses structures internes et met en place un appareil efficace doté de comités de réflexion performants. Bref : Ouyahia a mis à profit son éloignement de l’exécutif pour faire de la politique. Ce n’est pas pour déplaire à Boutef.
L’appartenance du RND à l’Alliance présidentielle (avec le FLN et le MSP) ne l’empêche cependant pas de se montrer critique à l’égard de la gestion de son successeur. Et ses interventions sont le plus souvent appropriées. Il évite la langue de bois et s’interdit de sombrer dans la démagogie et le populisme de nombreux opportunistes dont le fonds de commerce est le soutien indéfectible à l’action présidentielle.
Ses deux précédents passages au Palais du gouvernement ont fait la preuve de ses qualités d’homme d’État. Doigté dans le traitement de la crise kabyle, efficacité de la gestion des grands chantiers, expérience diplomatique. Ouyahia peut se prévaloir d’un CV convaincant. Mais son principal atout, qui a dû être déterminant dans le choix du président Abdelaziz Bouteflika, est sa capacité à faire face à un Parlement hostile. Contrairement à son successeur, qui ne s’est jamais prêté à l’exercice, Ahmed Ouyahia est également réputé pour ses longues et harassantes séances nocturnes de réponses aux questions des députés. Autant de bras de fer dont il est toujours sorti vainqueur. Ce savoir-faire pourrait se révéler utile. Surtout quand on envisage de procéder à une révision de la Constitution par voie parlementaire.

Les partants, les nouveaux et les changements

Saluons, en premier lieu, la nomination du premier Algérien noir dans un gouvernement de l’Algérie indépendante. Hamid Bessalah, la cinquantaine à peine entamée, brillant universitaire, efficace gestionnaire du Centre national des technologies avancées (CNTA), est le nouveau titulaire du maroquin des Technologies de l’information et de la communication. Il remplace Boudjemaa Haichour (FLN) à la tête d’un secteur prioritaire aux yeux de Bouteflika avec deux chantiers en souffrance : la démocratisation de l’Internet, avec les ratés de l’opération Ousratic (raccordement de six millions de foyers à la Toile) et la privatisation de l’opérateur public de téléphonie mobile, Algérie Télécom. Autre ministre remercié pour la médiocrité des résultats de son secteur : Mohamed Maghlaoui (RND), en charge des Transports. Tancé à plusieurs reprises par le président de la République, il était sur la sellette. En revanche, le limogeage de Fatiha Mentouri, secrétaire d’État à la Réforme financière, est plus mystérieux. Sa prudence dans la gestion de la privatisation du Crédit populaire algérien (CPA, troisième banque publique) a évité des pertes colossales. Mais on évoque une incompatibilité d’humeur avec plusieurs membres de l’équipe gouvernementale. Fatiha Mentouri n’ayant pas été remplacé, son ministre de tutelle, Karim Djoudi, conforte sa position de grand argentier par la prise en charge d’un dossier particulièrement sensible. S’il y a bien un gagnant dans ce remaniement, il s’agit de Djamel Ould Abbas. Le ministre de la Solidarité nationale voit ses prérogatives s’élargir à la Famille (rattaché avec un secrétariat d’État) et surtout à la Communauté algérienne à l’étranger. Saïd Barkat (FLN), qui a fait ses preuves durant huit ans à l’Agriculture, succède à Ammar Tou (FLN également), ministre de la Santé, lequel remplace Maghlaoui aux Transports.

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Et maintenant ?

Quelques heures après la cérémonie de passation de service, Ahmed Ouyahia recevait en audience un ministre émirati puis le Premier ministre sahraoui. Il remettait ensuite sa casquette de président du RND pour diriger les travaux du troisième congrès (du 25 au 28 juin, à l’hôtel Aurassi, à Alger). Maintenant les choses sérieuses devraient commencer. Une fois le feu vert donné par le président, il devra défendre le projet de révision de la Constitution devant le Parlement. Mais il n’attendra aucun signal pour reprendre en mains les chantiers en souffrance (programme d’un million de logements, éradication des bidonvilles, lutte contre l’économie informelleÂ). Abdelaziz Belkhadem a fait perdre beaucoup de temps. De nombreux textes législatifs traînent sur le bureau du secrétaire général du gouvernement. La commission de suivi de la Charte de la Réconciliation nationale est paralysée et aucune évaluation d’étape n’a été faite. La stratégie industrielle n’est toujours pas mise en Âuvre. Autant dire que les prochains mois ne seront pas de tout repos.
Sur la feuille de route du nouveau Premier ministre figure en bonne place la préparation du bilan du programme quinquennal (2004-2009) de soutien à la croissance, autrement dit le bilan du second mandat d’Abdelaziz Bouteflika, et, partant, l’esquisse du prochain programme (2010-2014). Il lui reviendra sans doute de concevoir et de mener la campagne électorale pour le troisième mandat d’Abdelaziz Bouteflika. Un Premier ministre directeur de campagne pour la réélection du président ? Ce ne serait pas une première, d’autant que la tâche semble convenir au profil psychologique du personnage. Si Ahmed Ouyahia a foi en son destin national, ses ambitions légitimes ne sont pas en contradiction avec le maintien d’Abdelaziz Bouteflika à El-Mouradia. Ne s’est-il pas publiquement engagé à ne jamais entrer en compétition avec Abdelaziz Bouteflika pour quelque poste électif ? Certes, en politique, une telle promesse n’engage que ceux qui l’écoutent. Mais, en l’occurrence, le vécu et l’expérience d’Ahmed Ouyahia lui permettront de maîtriser les démons de l’impatience qui ont relégué tant d’autres à l’anonymat.

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