Ces entreprises qui tiennent tête aux multinationales
Depuis l’ouverture des marchés, les marques européennes multiplient les succès dans l’alimentaire, l’habillement, les cosmétiques Mais en Algérie, au Maroc et en Tunisie, la résistance s’organise.
Sidi Maârouf, aux portes de Casablanca, le 19 juin. Derrière son vaste bureau en bois sombre, Aziz El Hajouji affiche un sourire éclatant. Le patron fondateur d’OroMécanica, une entreprise marocaine de joaillerie de 913 salariés et de 46 millions de DH (4 millions d’euros) de chiffre d’affaires, étale au grand jour ses ambitions à l’international. Depuis deux ans, il travaille à la création d’une marque de luxe : Rafinity. Elle prendra son véritable envol en 2009. Bien plus qu’une marque de joaillerie et d’orfèvrerie avec, par exemple, des créations uniques serties de diamants, Rafinity se composera d’une gamme complète de produits dans la haute couture, les sacs, l’optique, les parfums, les montresÂ
Folie des grandeurs ? « J’ai l’ambition et la fierté de créer une marque 100 % marocaine pour prouver au monde notre capacité de création et nos savoir-faire. J’éprouve le besoin d’être reconnu en dehors de nos frontières », admet Aziz El Hajouji. Parti de rien en 1972, il détient 25 % du marché marocain de la joaillerie. À 53 ans, il se sent à l’étroit dans ses frontières et investit près de 200 millions de DH dans un nouveau site de production, qui sera opérationnel en 2009. « Ce sera la plus grande usine de joaillerie d’Afrique », avance le PDG. Elle créera 1 000 emplois, doublera la production et devrait tripler les ventes grâce à des boutiques à Paris et à Genève, complétées par la suite d’un réseau de franchises en Europe, dans le Golfe, en Asie et aux États-Unis.
L’objectif peut paraître démesuré pour une PME familiale sur un marché du luxe déjà très concurrentiel et dominé par d’immenses groupes à l’image du leader mondial LVMH et sa soixantaine de marques (Louis Vuitton, Chaumet, Christian DiorÂ). Mais, comme une nouvelle génération de patrons maghrébins, Aziz El Hajouji veut saisir sa chance. Dans l’alimentaire, le cosmétique, l’ameublement, le textile et l’habillement, l’informatique des milliers de patrons passent à l’offensive, même s’ils trouvent sur leur route l’ombre menaçante des grandes marques mondiales.
Symbole du « Made in Bladi »
Bien sûr, tous les chefs d’entreprise n’évoluent pas dans un environnement identique et affichent donc des performances différentes. En Algérie, les marques nationales sont portées pour l’essentiel par des entreprises familiales devenues des groupes industriels face à un Danone omniprésent dans les produits laitiers (alliance avec Djurdjura), les biscuits et les eaux minérales (rachat de Tessala). Mais certaines résistent plutôt bien à l’offensive du groupe français : les biscuits et gaufrettes Bimo, les pâtes SIM, les yaourts Soummam et Trèfle Plus sucrés, plus gras et tous au même prix (12 DA, soit 0,12 euro, le yaourt), ces derniers sont plébiscités. Ce qui a poussé Danone à aligner ses tarifs et à revoir la composition de ses produits pour satisfaire les palais algériens. Avec ses limonades et ses sodas, le groupe familial centenaire Hamoud Boualem symbolise cette résistance algérienne du « Made in Bladi » (« produit au bled »). Fer de lance de la marque : le fameux Selecto. Malgré leur force de frappe, les mastodontes Coca et Pepsi sont à la peine alors que le limonadier algérois exporte en France, en Angleterre, au Canada et aux États-UnisÂ
De son côté, la Tunisie a développé un tissu de PME très solides dès la fin des années 1960. La marque de fromage fondu Président (du groupe Mabrouk) a par exemple fait barrage à La Vache qui rit. Quant au Maroc, qui s’est ouvert aux multinationales à la même époque, l’environnement concurrentiel favorise l’émergence d’entreprises contraintes de développer des marques locales fortes si elles veulent survivre. C’est le cas de Marwa, lancée en 2003 dans le prêt-à-porter. « Nous sommes passés de l’âge du souk à celui de la distribution, explique Karim Tazi, le patron. Aujourd’hui, presque toutes les enseignes sont là : Zara, Celio Nous sommes l’enseigne qui a le chiffre d’affaires le plus élevé au mètre carré. Et si nous sommes une marque de mode internationale, c’est que nous avons trouvé un équilibre entre la mode et les particularités de la femme marocaine. » Comptant douze points de vente aujourd’hui, Marwa en comptera seize à la rentrée. Le succès de la marque repose aussi largement sur son outil industriel. « Nous avons l’avantage d’être sur place et, dans cette logique de renouvellement hystérique des collections, nous pouvons avoir plusieurs jours d’avance sur nos concurrents », précise Karim Tazi.
S’appuyant sur leurs solides bases nationales, certaines entreprises s’aventurent dans les pays voisins. En Tunisie, les marques de prêt-à-porter Dixit, Sasio ou Blue Island s’inspirent du modèle intégré de l’espagnol Zara et développent des chaînes de distribution avec des réseaux de franchises dans le Maghreb, notamment en Algérie, où leurs boutiques égaient la rue Sidi Yahia, la plus fashion de la capitale. Avec leurs noms, ces entreprises entretiennent l’ambiguïté sur leur origine, c’est le signe de leur adaptation au marché.
Cap à l’international
Au Maroc, Kitea, qui a lancé les meubles en kit en 1993, s’étend sur le continent depuis cinq ans (Sénégal, Niger, Cameroun, Mauritanie, GabonÂ) à travers un réseau de revendeurs indépendants. « Nous avons démocratisé les meubles en kit au Maroc. Ce modèle peut aussi fonctionner en Afrique, remarque Mina Lahlou, la directrice marketing. Surtout que pour baisser nos prix nous devons acheter en quantité et parier sur les économies d’échelle. Il nous faut donc élargir le plus possible notre réseau de distribution. »
Fort de leur succès, des entreprises n’hésitent plus à venir batailler sur les fiefs historiques des marques mondiales. « Le développement international est devenu incontournable pour notre enseigne car le marché marocain est un petit marché, notamment à cause des ravages de l’informel, et il est très difficile d’y amortir des méthodes de gestion modernes », justifie Karim Tazi, le patron de Marwa. La marque de prêt-à-porter, qui compte 12 points de vente, inaugurera son premier magasin à l’étranger en Espagne, à Saragosse, en septembre 2009. Une autre ouverture est en cours de finalisation à Riad et des projets sont à l’étude à Paris, au Liban et en Turquie.
Les marques à succès deviennent des proies
De son côté, Bigdil, la première franchise marocaine d’accessoires de mode féminins (bijoux, sacs, foulards, sandalesÂ) lancée en 2001, compte déjà 49 boutiques dans le pays. Rebaptisée Flowell pour l’export, la marque a ouvert trois magasins à Paris depuis le début de l’année. « Bigdil est un concept purement marocain mais avec des perspectives internationales, explique Abdellah Marrakchi, le directeur du pôle distribution du groupe Saham, à propos de sa filiale. La mode est standardisée aujourd’hui. La consommatrice marocaine a les mêmes envies que celles de New York, Paris ou Milan. Le développement de Bigdil à l’international est donc la suite logique du succès de l’enseigne au Maroc. » Avec l’ouverture de 80 boutiques dans les cinq prochaines années en France, le programme de déploiement de Flowell est particulièrement ambitieux. Et, en cas de succès, elle lorgne déjà vers d’autres pays européens ainsi que le Moyen-Orient.
Mais même très entreprenantes, les marques maghrébines ne sont pas près de bousculer la hiérarchie mondiale. « Plus une entreprise marche, plus elle devient une cible pour d’éventuels acquéreurs », observe Hassen Zargouni. Au bout de quatre ans de partenariat, Henkel a neutralisé et « croqué » l’algérien Enad dans les détergents et sa célèbre marque Isis. Idem en Tunisie dans le cosmétique : le Laboratoire Jasminal a tenu tête pendant trois décennies aux géants mondiaux Procter & Gamble, Unilever, L’Oréal, Colgate-Palmolive ou Henkel. En 2007, la PME tunisienne, fondée par Nejmeddine Frikha en 1978, détenait en effet 43 % du marché local. Mais c’est aussi en 2007 que le groupe Henkel a mis la main sur l’entreprise et ses parts de marché pour 13 millions d’euros. En Tunisie, les exemples se multiplient. Presque coup sur coup, le brasseur néerlandais Heineken s’est emparé de 49,99 % du capital de la Société de production et de distribution des boissons (SPDB) ainsi que de la Société nouvelle de boissons gazeuses (SNBG) pour 25 à 30 millions d’euros. Ou encore la biscuiterie Tom, rachetée par les Indiens d’Iffco, installés à Dubaï, pour plus de 10 millions d’euros.
Dans d’autres cas, les marques locales, incapables de surenchérir en matière de marketing et de communication, finissent par disparaître, comme les Cafés Nizière en Algérie. Et si elles ne s’adossent pas à un groupe national, comme c’est souvent le cas en Tunisie, elles sont tout bonnement « tuées » par les groupes étrangers pour faire place nette. C’est le cas en Tunisie des deux marques de yaourts Baldi et Mamie Nova, asphyxiées par l’implacable Danone. Pionnier du meuble en kit au Maghreb, Kitea vit de son côté avec la rumeur de l’arrivée prochaine d’Ikea au Maroc. « On leur a préparé le terrain », raille Mina Lahlou. L’enseigne attend le géant suédois de pied ferme. Kitea ouvre des magasins géants de 4 000 à 6 000 m2 au lieu des 1 500 m2 habituels. Les entreprises maghrébines ont appris à se battre.
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