Tunisie : le syndicat de la Garde nationale réclame davantage de moyens

Manque de moyens, manque de reconnaissance, instrumentalisation politique… le porte-parole du syndicat de la Garde nationale, Mehdi Bouguerra, se livre à Jeune Afrique.

Les funérailles d’Anis Ouerghemmi, garde national tunisien, mort avec cinq de ses frères d’armes dans l’attaque terroriste survenue dimanche 8 juillet 2017, à la frontière algérienne. © AP Photo/Hassene Dridi

Les funérailles d’Anis Ouerghemmi, garde national tunisien, mort avec cinq de ses frères d’armes dans l’attaque terroriste survenue dimanche 8 juillet 2017, à la frontière algérienne. © AP Photo/Hassene Dridi

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Publié le 14 juillet 2018 Lecture : 5 minutes.

Le syndicat de la Garde nationale monte au créneau après l’attaque qui a visé une patrouille à Ghardimaou dans le nord-ouest tunisien, à la frontière algérienne, dimanche 8 juillet. Elle a coûté la vie à six membres de ce corps de sécurité dépendant du ministère de l’Intérieur. Comme pour chaque attentat meurtrier, le drame est au cœur des débats en Tunisie.

Jeune Afrique : Dans un communiqué publié mardi 10 juillet, l’Union des syndicats de la Garde nationale, dont vous êtes membre, appelle à soutenir davantage les agents travaillant dans les zones frontalières. Pourquoi ?

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Mehdi Bouguerra : Nous sommes les premières victimes du terrorisme. Ce que nous voulons, c’est une véritable union nationale autour de la lutte contre le terrorisme. Nous demandons à l’État un meilleur soutien et une plus grande considération. Cela doit aussi passer par une revalorisation de nos moyens et des garanties qu’il nous offre. Malheureusement, le travail syndical des sécuritaires n’est pas encore pris en compte par le gouvernement, ce sont surtout les citoyens et les journalistes qui réagissent à nos déclarations, pas les autorités. Nous avons été grandement déçus par l’Assemblée. Seuls 97 députés sur 217 se sont présentés lors de la séance plénière consacrée à cette attaque de Ghardimaou. Au-delà de cet épisode, l’assemblée n’a pris aucune décision favorable aux agents sécuritaires.

Vous demandez l’adoption d’un projet de loi de protection des forces armées dont la dernière mouture a été  jugée dangereuse par des associations de défense des droits de l’homme. Quelles mesures concrètes en attendez-vous ?

Cela fait plusieurs années que ce projet de loi est au point mort. Or, nous sommes en situation de guerre et nous avons réellement besoin de lois adéquates. Si ce texte a été jugé liberticide par certains, il peut être révisé mais il ne doit pas être enterré. Nous finissons par avoir l’impression que l’Assemblée joue contre nous.

Nous sommes prêts à risquer nos vies pour ce pays sans aucune hésitation, mais nous voulons de meilleures garanties de la part des autorités

La loi contre le terrorisme ne couvre pas non plus suffisamment le volet des indemnités pour les blessés et les martyrs des forces sécuritaires. Nous demandons à ce qu’une administration leur soit entièrement dédiée au sein ministère de l’Intérieur. 

La caisse de compensation des accidents de travail distribue des sommes ridicules aux bénéficiaires. Nous sommes prêts à risquer nos vies pour ce pays sans aucune hésitation, mais nous voulons de meilleures garanties de la part des autorités.

Dans ce contexte, comment se porte le moral des troupes aux frontières ?

Les hommes avec qui nous avons pu discuter ne souhaitent qu’une chose : venger l’honneur de leurs confrères. Ils vouent à la Tunisie une adoration sans limites. Tout ce qu’ils souhaitent, c’est en finir avec le terrorisme. Mais pour les aider, il faut que l’État leur assure une meilleure sécurité à travers de plus amples moyens et une réévaluation de la stratégie aux frontières. Il faut renforcer les équipements, racheter du matériel de déminage et des véhicules blindés mais aussi nous procurer du matériel de pointe tel que des drones ou des lunettes infrarouges. Le terrorisme mondial est en train de se développer, la lutte doit s’y adapter.  

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>>> A lire – En Algérie et en Tunisie, les sécuritaires dans tous leurs états

Le ministre de l’Intérieur, Ghazi Jeribi, a déclaré dans une interview à la chaïne Al Watania que le budget alloué à l’achat de véhicules blindés n’avait pas été utilisé depuis 2015. Il a promis l’ouverture d’une enquête. Souffrez-vous d’un manque de matériel de ce genre ?

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Oui, c’est la raison principale de la mort des six agents de la Garde nationale dans cet attentat terroriste. S’ils avaient été à bord d’un véhicule blindé, il n’auraient pas perdu la vie, c’est eux qui seraient venus à bout des terroristes !

Nous avions constaté un manque de véhicules blindés depuis 2014 et nous l’avions signalé au ministère à plusieurs reprises. Les autorités nous ont assuré que la situation budgétaire ne permettait pas de tels achats. Étant donné que le pays est dans une situation économique très délicate, nous y avons cru.

Grâce aux déclarations du ministre, nous découvrons que le budget était en fait bien disponible. Nous souhaitons aussi qu’une enquête soit ouverte pour que les responsables soient jugés.

Le ministre a également évoqué 250 postes vacants avant son arrivée, 107 auraient depuis été pourvus. Avez-vous remarqué qu’il manquait des cadres, et si oui cela a-t-il eu un impact sur les chaînes de commandement ?

Oui en effet, des postes sont restés vacants pendant deux ans et demi. C’est une première dans l’histoire de la gendarmerie nationale. Bien-sûr le travail de terrain en a été fortement impacté, surtout au niveau de la décentralisation des décisions. Un cadre se retrouvait parfois à la tête de quatre gouvernorats à la fois, une situation intenable. Forcément cela conduit à des erreurs sur le terrain et la responsabilité incombait à des personnes qui étaient en fait totalement submergées par leur charge de travail.

Nos forces ne dépendent pas de la personnalité d’un homme

Les propositions de nominations de l’ex-ministre de l’Intérieur Lotfi Brahem avaient toutes été refusées par la présidence du gouvernement mais nous ignorons pourquoi.

De nombreuses voix dénoncent le limogeage de l’ex-ministre de l’intérieur Lotfi Brahem, ou mettent en cause les nouvelles nominations au sein du ministère.

Nos forces ne dépendent pas de la personnalité d’un homme. Le limogeage de Lotfi Brahem n’a pas changé notre manière de travailler. Mettre en doute la légitimité des personnes nommées aux postes vacants par le nouveau ministre de l’Intérieur sème le doute dans les rangs des sécuritaires mais aussi au sein de la population et porte grandement atteinte au prestige du ministère.

Après son limogeage, ces postes ont été pourvus et nous en sommes très satisfaits. Les personnes nommées sont des hommes d’expérience et des références dans le domaine sécuritaire.

Vous demandez à ne pas être impliqués dans les conflits politiques. Que voulez-vous dire exactement ?

Depuis quelques mois, le ministère de l’Intérieur est de nouveau au centre des tiraillements politiques. L’affaire du limogeage de Lotfi Brahem a marqué le retour d’une instrumentalisation politique des affaires sécuritaires. Le ministère de l’Intérieur est devenu ces derniers temps le terrain de tiraillement entre les pro et anti Youssef Chahed. Des agents s’expriment aujourd’hui dans les médias et servent en réalité l’agenda politique de tel ou de tel parti. Nous cherchons justement à préserver la neutralité de nos services.

Insulter nos organes et laisser penser que l’État est faible en Tunisie, c’est de la pure politique politicienne et cela porte gravement atteinte à la crédibilité des sécuritaires. Les terroristes eux-mêmes peuvent être encouragés à intensifier leurs actions par de telles déclarations.

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