L’or blanc n’est plus ce qu’il était

De plus en plus menacés par une conjoncture mondiale défavorable, les planteurs voient venir la libéralisation de la filière avec appréhension.

Publié le 30 mai 2005 Lecture : 5 minutes.

Dioïla, à environ 150 kilomètres de Bamako. Une piste en latérite, trouée de nids-de-poule, parfois gros comme des cratères, mène au centre local de la Compagnie malienne de
développement des textiles (CMDT). Le trajet, à bord d’un camion de la société cotonnière, dont l’état délabré n’a rien à envier à celui de la route, est acrobatique.
Depuis la réorganisation de la filière en 2001 et le désengagement partiel de la Compagnie de ses fonctions de transporteur et d’entretien des pistes rurales, le résultat est plus que mitigé. Les retards d’évacuation du coton se multiplient, les routes se
dégradent et les populations se retrouvent enclavées. Pour les producteurs, cela ne représente pas seulement une défaillance technique, un manque à gagner financier, mais
aussi une atteinte à la dignité de leur travail. « C’est le fruit de notre sueur qui est abandonné à la pourriture », dénoncent-ils. Il suffit d’avoir visité un village un jour de collecte pour comprendre. La fête bat alors son plein. Des montagnes de fibre blanche sont alignées à l’entrée du village. Les jeunes garçons chargent avec fierté et enthousiasme les balles de coton sur les camions de la CMDT. Les vieux observent avec soulagement et satisfaction le travail accompli. Tandis que des ribambelles d’enfants viennent contempler le spectacle.
Depuis que la libéralisation a été décidée, la CMDT n’investit plus ni dans le matériel ni dans la maintenance ni dans les réparations. Il y avait auparavant une vingtaine de tracteurs pour le cercle de Dioïla, gérés par la Compagnie, mais tous sont tombés en
panne. Les usines, elles, marchent « à pas de caméléon », selon un paysan. Conséquence: du coton reste sur les bras de la Compagnie. En outre, 500 emplois ont été supprimés à la
CMDT en 2003. À Dioïla, une vingtaine de personnes ont été remerciées, et la Direction du développement rural est devenue la « Direction de la production agricole ». Tout un symbole.
Dans le village de Ballan, à 5 kilomètres de Fana, l’association « Fala bolo » fonctionne au ralenti. Jusqu’en 2003, à travers cette modeste structure, la CMDT proposait à une centaine de femmes du village des petits prêts pour l’équipement ou pour l’élevage.
Aujourd’hui, il n’y a plus d’argent dans les caisses. Et les villageoises peinent à obtenir des prêts auprès des autres structures de microfinancement. Fanta Diarra Diakité,
représentante pour le cercle de Dioïla du Syndicat des cotonniers et vivriers (Sycov, le principal syndicat du pays), souligne que, « en réorganisant la filière, on a laissé de côté les préoccupations des femmes ». Fanta se montre intarissable sur les méfaits de la libéralisation. Outre la facilitation de l’accès au crédit, elle indique que la CMDT
assurait également des cours d’alphabétisation, des campagnes de distribution de nivaquine pour la lutte contre le paludisme, la maintenance des pistes rurales ainsi que
l’équipement et l’entretien des réseaux d’hydraulique villageoise. Mais ni l’État ni aucune autre structure n’ont repris à leur charge ces fonctions cruciales pour le développement local. Récemment, les trois pompes manuelles qui permettaient de puiser l’eau sont tombées en panne. Il y a quelques années, la CMDT s’en serait chargée. Mais aujourd’hui, il n’y a ni argent ni technicien pour les réparer. Résultat : du petit matin à la tombée de la nuit, un défilé de femmes et de fillettes marchant courbées sous le
poids des seaux qu’elles sont allées chercher à près de 2 kilomètres de chez elles. Autant de « pertes sèches pour les habitants », s’indigne Fanta. À côté d’elle, une de ses amies précise : « Nous autres, paysans, nous sommes pauvres. Le prix du coton baisse. Nous ne faisons aucun bénéfice. Nous avons tout juste de quoi survivre. Mon mari et moi, nous n’avons même plus les moyens d’envoyer les enfants à l’école. »
Pour les producteurs et leurs familles, le constat est simple : « Nous sommes les principales victimes d’une privatisation qui n’amène rien de bon. L’objectif des bailleurs de fonds internationaux est de nous évincer de la culture du coton au profit des multinationales. Si l’on privatise la CMDT, seuls les paysans qui disposent de gros
moyens pourront continuer de produire. Les autres devront se retirer. En outre, les sociétés privées ne seront pas obligées d’acheter tout le coton, contrairement à la CMDT », analyse Keffa Diarra du Sycov. La libéralisation, visant à créer un secteur économiquement viable sur le long terme, entraînera inévitablement une diminution du nombre de producteurs.
Binafou Sempara, lui, ne risque pas d’abandonner la culture de l’or blanc. D’un tour de bras, le vieil agriculteur englobe l’horizon et désigne, de sa main large et calleuse, les limites de son champ. Des fleurs de coton blanches et roses se balancent sur les tiges de cotonniers qui mesurent près de 1,50 m. Les plantes sont bien plus hautes que celles qui poussent sur les parcelles voisines. L’année dernière, il a produit 2,7 tonnes de coton à l’hectare, soit deux fois plus que la moyenne nationale, d’environ 1,2 tonne/hectare. Son secret ? S’investir sur de petites surfaces et utiliser de la fumure organique, qu’il obtient grâce à son troupeau de près de 100 têtes de bétail. Binafou Sempara est un modèle comme il en existe peu. Mais « en concentrant les capacités d’encadrement sur un nombre plus réduit de paysans, tous pourraient atteindre de tels rendements, affirme Abdoulaye Bamba, chef de division de la production agricole de la CMDT à Fana. Le Mali pourrait produire 600000 tonnes de coton avec moitié moins de producteurs. » Sauf que, ajoute-t-il, « notre objectif n’est pas de produire le plus possible. Notre problème est la pérennité de la filière. Nous voulons que le plus grand nombre puisse profiter des retombées du coton. »
Mais la Banque mondiale et les bailleurs de fonds sont las de renflouer les comptes d’une
société déficitaire qui peine à mettre fin à certaines pratiques de mauvaise gestion. Les
planteurs le savent. « Les problèmes de gestion de la CMDT nous desservent, indique l’un d’eux. Si nous refusons la privatisation, les bailleurs refuseront de financer le déficit de la CMDT. Nous avons le couteau sur la gorge. » « Notre seule chance de garder le
contrôle de notre avenir est de participer au capital des futures sociétés privatisées », conclut Keffa Diarra. Pour les autorités, l’entrée des producteurs dans le capital est l’une des conditions sine qua non de la libéralisation.

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