« Je vous ai compris ! »

Publié le 30 mai 2005 Lecture : 3 minutes.

Ce 4 juin 1958, des dizaines de milliers d’Européens, brandissant de nombreux drapeaux tricolores, se massent sur la place du Forum d’Alger, devant le siège du gouvernement général de l’Algérie. La foule, compacte, attend impatiemment le discours du général de Gaulle.
Investi des pleins pouvoirs par l’Assemblée nationale quatre jours plus tôt, l’homme du 18 juin 1940 a choisi l’Algérie pour son premier déplacement officiel. Juste retour des choses : les pieds-noirs sont à l’origine de son spectaculaire come-back. Redoutant d’être « lâchés » par les politiciens défaitistes de Paris, comme l’avaient été avant eux leurs compatriotes d’Indochine, les Français d’Algérie s’étaient soulevés, le 13 mai 1958, et avaient remis leur sort entre les mains d’un comité de salut public dirigé par les généraux Massu et Salan. Sous les vivats populaires, ce comité en avait immédiatement appelé à Charles de Gaulle.

Il est environ 19 heures lorsque la haute silhouette du chef de la France libre apparaît au balcon. Son allocution, la seule de son voyage à avoir été rédigée à l’avance, s’ouvre par un tonitruant : « Je vous ai compris ! » L’orateur marque une pause, lève les bras au ciel en signe de victoire. Les acclamations montent. L’essentiel semble avoir été dit : l’Algérie restera dans le giron de la France. Pieds-noirs et colons exultent. Personne ne prête plus vraiment attention à la suite du discours, dans lequel le général se garde d’utiliser l’expression « Algérie française » et défend l’idée d’un collège unique d’électeurs, réunissant les Européens mais aussi les musulmans, qui passent ainsi d’un statut d’indigènes de seconde zone à celui de citoyens à part entière.
Que de Gaulle soit parvenu à faire applaudir par les pieds-noirs le principe du collège unique contre lequel ils avaient si longtemps bataillé constitue, à en croire les observateurs de l’époque, un singulier tour de force. Mais de là à imaginer que le général puisse, comme la suite allait le montrer, renoncer à l’idée même d’Algérie française et engager des négociations directes avec le Front de libération nationale (FLN), voilà qui n’avait traversé l’esprit de personne. Et pourtant…
Le malentendu, total, a duré plusieurs mois, pendant lesquels Européens d’Algérie et partisans de l’Algérie française se sont bercés d’illusions sur les intentions réelles de De Gaulle. Les a-t-il trompés sciemment, ce 4 juin 1958, afin de pouvoir mieux manoeuvrer ensuite ? Ou a-t-il évolué sur la question, en grand pragmatique qu’il n’a jamais cessé d’être ? Le débat, qui continue de passionner les historiens, est loin d’être tranché.
Plusieurs intimes du général affirment qu’il aurait prophétisé, le 30 octobre 1957, devant un petit cercle d’amis : « L’Algérie sera indépendante, qu’on le veuille ou non. » Quoi qu’il en soit, une chose est sûre : de Gaulle ne nourrissait aucune tendresse particulière à l’égard de ces Français d’Algérie, qui, lorsque son gouvernement de la France libre s’était installé à Alger, en 1943-1944, étaient restés majoritairement acquis à Pétain et à Giraud.

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Surtout, il savait que le maintien d’un statu quo colonial qui ne profitait qu’aux seuls « petits Blancs » n’était pas de l’intérêt de la France. Et que la formule, autrement plus ambitieuse – à supposer qu’elle fût voulue des musulmans -, d’une intégration pleine et entière à la France serait rejetée par l’opinion métropolitaine en raison de ses conséquences politiques et financières. Enfin et surtout, la crise algérienne, véritable épine dans le pied de la diplomatie française, plaçait cette dernière en porte-à-faux avec les pays du Tiers Monde, acquis à la cause de l’indépendance de l’Algérie, comme avec les alliés de l’Alliance atlantique.
De Gaulle, après avoir longtemps privilégié la solution d’une Algérie « pacifiée, transformée, et développant sa personnalité en étroite association avec la France », finit, en 1960, par se résoudre à l’inéluctable – l’indépendance totale -, en entamant des pourparlers avec les maquisards du FLN. Une trahison que ne lui pardonneront pas pieds-noirs et militaires de l’Organisation de l’armée secrète (OAS) qui tenteront, plusieurs fois, de l’assassiner.

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