Divine surprise

Le chef de l’État sortant a été proclamé vainqueur de la présidentielle. Le plus surprenant n’est pas là. Mais dans l’attitude de son challengeur et le climat de maturitédémocratique qui a prévalu tout au long du scrutin.

Publié le 30 mai 2005 Lecture : 4 minutes.

Il est des soulagements qu’on ne cache pas. Ainsi en va- t-il du happy end sur lequel s’est achevé, mardi 24 mai, le processus électoral centrafricain. Une conclusion idéale et inespérée dans un pays longtemps réputé pour sa violence politique, avec un vainqueur modeste et consensuel, un vaincu digne et responsable et des électeurs exemplaires. Une vraie leçon de démocratie et un petit miracle auquel on ne s’attendait guère sur les rives de l’Oubangui ensanglantées par tant de putschs. Un anti-Togo en quelque sorte, qui laisse espérer d’un avenir meilleur pour l’Afrique centrale alors que de Bissau à Lomé en passant par Abidjan, l’Afrique de l’Ouest n’en finit plus d’exorciser ses démons.
La leçon de Bangui n’est pas tombée du ciel. Elle a son histoire, sa genèse, ses parrains et ses acteurs – à commencer bien sûr par les principaux protagonistes, dont l’action et la retenue ont été déterminantes.

– François Bozizé, tout d’abord. Arrivé au pouvoir par un coup d’État en mars 2003, le général de Bossangoa n’était pas précédé d’une réputation de démocrate. Cet homme timide
et méfiant, à la voix douce et au sourire inquiet, cachait depuis longtemps une vraie ambition, réalisée à la pointe des baïonnettes. Il a pourtant eu la sagesse de mettre en place immédiatement un gouvernement de large ouverture, puis de mener, vaille que vaille, une transition de deux ans. Candidat ce dont nul ne doutait, malgré ses dénégations initiales , François Bozizé a fini par se plier aux exigences de l’opposition, alors même qu’elles réduisaient a priori ses chances d’être élu. Ses adversaires invalidés ont été autorisés à se présenter, et la Cour constitutionnelle a été dépouillée de ses prérogatives électorales au profit d’une commission réellement indépendante. À l’issue du premier tour, le 31 mars, il a résisté aux pressions d’une partie de son entourage qui souhaitait le voir « passer en force » alors même qu’il n’avait recueilli que 43 % des voix. Le résultat final aura été à la hauteur de son pari: 64,6 % et un bonus inespéré aux législatives. Ainsi, la déroute des partis traditionnels fait que Bozizé n’aura pas à affronter les affres d’un gouvernement de cohabitation.

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– Martin Ziguélé, ensuite. Le candidat de l’opposition a recueilli 35,4 % des voix, au terme d’un parcours qui fut pour lui initiatique. Peu connu, il ne s’était en outre jamais
présenté à une élection (contrairement à Bozizé, battu en 1993). Il a gagné dans l’affaire une notoriété et une respectabilité, s’est distancié de son mentor Ange-Félix Patassé (leur dernière conversation téléphonique remonte à il y a six mois) et peut désormais espérer reprendre en main son parti, le MLPC, qui en a bien besoin une douzaine de députés élus seulement. À 48 ans, l’ancien Premier ministre a tout l’avenir devant lui, d’autant que son attitude responsable face au verdict des urnes lui vaut la reconnaissance des partenaires extérieurs de la Centrafrique. Enfin et en dépit de certains dérapages verbaux, Ziguélé a, tout comme son adversaire, mené une campagne d’où étaient bannis les appels à la haine et à l’exclusion.

– Les voisins bien sûr, et en particulier Omar Bongo Ondimba et Denis Sassou Nguesso. Réalistes, les présidents gabonais et congolais, ainsi que la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (Cemac) en tant qu’institution régionale, ont refusé de suivre Alpha Oumar Konaré et la Commission de l’Union africaine, qui prônaient la mise en quarantaine de François Bozizé pour cause de coup d’État. Bongo, Sassou, mais aussi le Camerounais Paul Biya, n’ont cessé de renforcer la transition tout en prenant quasiment en charge la paie des fonctionnaires centrafricains pendant deux ans. En échange, ils ont fait pression sur François Bozizé pour qu’il organise des élections crédibles. En réunissant autour de lui à Libreville, peu avant le premier tour, Bozizé et ses opposants, le président gabonais a fait baisser la température et préparé les conditions d’une élection sereine. Quant au Congolais, il s’est activé entre les deux tours pour obtenir le ralliement au général-candidat de quelques-uns des battus du premier tour et pour calmer les velléités des « durs » de l’entourage d’André Kolingba. Certes, tous les chefs d’Etat de la Cemac ont en quelque sorte « voté » Bozizé. Mais ils sont suffisamment sages et expérimentés pour prôner une politique d’ouverture à l’égard de l’opposition. Signe qui ne trompe pas : alors que le nouvel élu, François Bozizé, se rendait le 26 mai à Oyo (Congo) pour y remercier les présidents congolais et gabonais – réunis dans le cadre des obsèques de l’ancien ministre Antoine Ndinga Oba, oncle de Denis Sassou Nguesso -, Martin Ziguélé s’apprêtait à le suivre de peu pour rencontrer les mêmes…

– Les électeurs centrafricains, enfin. C’est à eux que le secrétaire général de l’ONU Kofi Annan a tenu à rendre hommage, et c’est évidemment justifié. Aussi bien le taux élevé de participation que le calme qui a entouré les opérations électorales et même le réflexe de vote utile qui a porté François Bozizé démontrent une maturation à laquelle on ne s’attendait guère. Economiquement épuisés, recrus de troubles, de pillages et de putschs fratricides, les Centrafricains ont pour la première fois manifesté les prémices d’un vote transethnique, sacrifiant par pertes et profits quelques-unes des grandes figures politiques de ces quarante dernières années. Pour Abel Gouma, André Kolingba et peut-être Ange-Félix Patassé (étonnamment silencieux en son exil de Lomé), l’heure de la retraite a sonné. La vraie opposition, le vrai défi auquel François Bozizé, 58 ans, va devoir désormais faire face est multiforme : le front social, dans un pays exsangue. Si la communauté des bailleurs de fonds ne l’y aide point, ici et maintenant, la divine surprise du 24 mai n’aura été qu’une parenthèse dans un long cauchemar.

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