Bréviaire de la haine, volume II

Publié le 30 mai 2005 Lecture : 3 minutes.

Oriana Fallaci était considérée, il y a quelques décennies, comme la meilleure « intervieweuse » du monde. N’avait-elle pas embarrassé Kissinger ? N’avait-elle pas tiré les vers du nez à l’ayatollah Khomeiny ? Soit dit en passant, elle accepta, pour l’occasion, de mettre un hijab, ce qui ne prouve pas une grande constance dans les principes. Elle avait aussi soumis à la question d’autres grands de ce monde, si grands qu’on ne sait plus où ils sont passés : sic transit gloria mundi. Puis on l’oublia, tout cela ne dure qu’un temps. Elle écrivit des livres, dont un, remarquable, sur un Grec qu’elle avait beaucoup aimé.
Et soudain, le livre scandale, La Rage et l’Orgueil, publié en 2002. Où étaient passées les vertus de la journaliste modèle ? À moins d’admettre que l’amalgame en est une, il y avait de quoi s’alarmer. Musulmans et extrémistes, pour la Fallaci déchaînée – qui vit à New York, ceci explique peut-être cela – c’est la même chose. Holà ! Ma pauvre grand-mère d’Essaouira, murmurant ses prières et demandant à Dieu le bonheur du monde entier, et les assassins qui décapitent sur vidéo, c’est kif-kif ? Notre Mohamed Talbi intra-muros, qui fait du dialogue entre religions la priorité de l’honnête homme, et l’Oussama des deux tours, c’est du pareil au même ?
Au moins, si le style sauvait le livre… Même pas. Goûtez ces citations : « Les fils d’Allah se multiplient comme des rats. » L’Oriana a-t-elle oublié l’ignoble film nazi où les Juifs étaient dépeints comme des rats sortant par milliers d’un égout ? Sans doute, puisqu’elle prend bien garde de retourner l’argument avant qu’on puisse le lui servir : ce sont les musulmans « les nouveaux SS, les nouvelles Chemises noires ». Ils ont, dit-elle, « le cul en l’air cinq fois par jour, à prier ». Est-elle jamais entrée dans une église ou une synagogue, où l’on prie Dieu tout aussi humblement, même si la gymnastique est différente ? Elle considère aussi que « les mosquées grouillent jusqu’à la nausée de terroristes ou d’aspirants terroristes ». Grouillent…
Le choix des verbes n’est bien sûr pas innocent, il doit susciter chez le lecteur une vision d’Apocalypse, car le grouillement précède le débordement, l’invasion… Quant à la foi musulmane, elle « sème la haine à la place de l’amour, et l’esclavage à la place de la liberté ». Sur sa lancée, la dame se fend d’un vibrant hommage à la « culture occidentale ». Celle-ci est bien évidemment supérieure à la culture musulmane, comme l’affirmait sans doute le commandant d’Auschwitz en écoutant une sonate de Bach jouée par des Juifs promis aux fours crématoires.
Oriana Fallaci, qui a fait la fortune de son éditeur – 1 million d’exemplaires vendus en Italie et 500 000 dans le reste de l’Europe -, remet ça avec un autre livre qui a pour titre The Strength of Reason (« La Force de la raison »). Elle y dénonce la faiblesse de l’Église catholique face au monde musulman. Oups… Cela tombe mal, car si Sa Sainteté Benoît XVI a, dès sa première homélie, rappelé à juste raison la position de Vatican II vis-à-vis des Juifs – il ne s’agit pas d’une fausse religion mais de nos frères aînés ou quelque chose de ce genre -, il n’a pas pipé mot sur l’islam. L’Église de Ratzinger n’est peut-être pas aussi faible que ne le craint la Fallaci. Faisant fi de toutes les statistiques, elle qualifie l’Europe de « province de l’islam ». D’ailleurs, l’Europe n’est plus qu’une Eurabia qui s’est vendue comme une prostituée aux musulmans. Remplacez les termes « musulmans » par « juifs » et « islam » par « judaïsme », et le livre n’est même plus possible. Si le plus enragé des racistes s’avisait de le publier, l’inculpation d’incitation à la haine raciale suivrait dès le premier jour ouvrable après la publication.
En fait, c’est bien ce qui s’est passé. Oriana Fallaci a bel et bien été inculpée par un juge de Bergame pour diffamation contre l’islam. Cette décision a d’ailleurs été dénoncée par le ministre italien de la Justice, Roberto Castelli, au nom de la liberté d’expression. Il est vrai que celle-ci est sacrée ; mais entre liberté d’expression et incitation à la haine raciale, la justice italienne devra montrer qu’il y a une différence.

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