Védrine contre la myopie européenne

Pour l’ancien ministre français des Affaires étrangères, l’Europe peut encore se ressaisir. À condition qu’elle regarde le monde tel qu’il est.

Publié le 30 avril 2007 Lecture : 3 minutes.

L’Occident n’est plus le centre du monde. Et ses « valeurs universelles » sont de plus en plus contestées dans les pays arabo-musulmans, en Chine et en Afrique. Les Européens, qui avaient cédé à l’euphorie après la chute du mur de Berlin et cru, un peu vite, à la fin de l’Histoire et au triomphe sans appel de la paix, de la démocratie et du marché, sont aujourd’hui désemparés face à une mondialisation équivoque, qui se traduit avant tout par la montée et l’affirmation des particularismes. Bousculés dans leurs certitudes, répugnant à l’idée de puissance, « par rejet de leur passé, par pacifisme ou simple fatigue, ils aspirent à une grande Suisse, un ensemble sûr, protégé, riche, qui exercerait, via les ONG et l’aide au développement, une importante activité humanitaire et philanthropique ». Cette idée est au coeur de la réflexion développée par Hubert Védrine dans son dernier essai, Continuer l’Histoire (écrit en collaboration avec Adrien Abécassis et Mohamed Bouabdallah).
Une forme de dépit affleure derrière l’analyse concise (150 pages) et lucide. L’ancien ministre des Affaires étrangères de Jacques Chirac et Lionel Jospin (1997-2002), disciple de François Mitterrand, dont il a été le secrétaire général de l’Élysée entre 1991 et 1995, est désolé par la naïveté diplomatique confondante des Européens. Ces derniers, fervents adeptes d’une « communauté internationale » qui en réalité n’existe pas, rêvent d’un monde policé et à leur image, « peuplé d’Européens de l’Ouest ».
Cette myopie, il la voit comme la manifestation d’un déclin qu’il croit cependant possible d’enrayer. À condition que les Vingt-Sept regardent le monde tel qu’il est. Qu’ils se souviennent que les rapports de force et d’intérêt guident toujours l’action des États. Et que l’angélisme n’a pas sa place en politique étrangère. L’une des tares de la construction européenne a justement consisté à rogner les ailes des États au profit d’instances de régulation supranationales. Mauvais calcul, dit Védrine, car « la souveraineté ainsi abandonnée n’a pas été transférée au niveau européen ou mondial, non plus qu’à un quelconque nouvel espace démocratique. Si elle a été récupérée quelque part, c’est par le marché ! »
L’auteur invite donc les Européens, et ses compatriotes français en premier lieu, à se ressaisir, car, sinon, l’histoire du monde continuera à s’écrire, mais sans eux. Comment ? D’abord, en clarifiant les choses, en fixant des frontières et en assignant une identité à une Union actuellement en panne de projet, et qui n’aura sans doute jamais la « capacité d’absorption » suffisante pour intégrer la Turquie ou l’Ukraine. Le noyau dur de cette Europe des cercles concentriques devra être constitué par la zone euro. Vis-à-vis des États-Unis, sa philosophie diplomatique s’inspirera de la ligne suivie grosso modo par la France depuis 1958 : amie, alliée, mais pas alignée. Son poids et sa cohésion amèneront mécaniquement les Américains à composer avec elle, à rechercher des compromis et des synthèses. L’Europe, par le simple fait de son existence, exercera une influence régulatrice et modératrice sur la marche du monde. Et rendra possible une vraie relance du processus de paix israélo-arabe, ou des négociations sincères avec Téhéran. Nous n’en sommes malheureusement pas encore là. Le sursaut qu’appelle de ses voeux Hubert Védrine suppose une prise de conscience des élites comme du grand public. Et, à voir la place insignifiante occupée par les questions de politique étrangère dans la campagne présidentielle française, on imagine que la partie est loin d’être gagnée.
Déprimée, hantée par le sentiment de son déclin, exagérément nombriliste, arc-boutée autour de la défense de ses chers « acquis sociaux », la France ne semble plus avoir ni ambition ni volonté. Pis : culpabilisée par ses intellectuels au nom de la repentance, elle passe plus de temps à régler des comptes avec son passé qu’à se projeter dans l’avenir. L’idée même de politique étrangère, arabe ou africaine, est discréditée auprès de larges secteurs de l’opinion (voir J.A. n° 2405). La France aurait besoin d’une bonne thérapie. Mais a-t-elle seulement trouvé son médecin ?

Continuer l’Histoire, d’Hubert Védrine, avec la collaboration d’Adrien Abécassis et Mohamed Bouabdallah, éditions Fayard, 150 pages, 10 euros.

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